LA DAME ALTIERE
Non loin de la place de la Vieille ville, près du Marché Havelsky, se situe une petite ruelle étroite appelée Dans les cabanes à lapins. Jadis, on donnait cette appelation aux cabanes à lapins dans de petits magasins de bouchers, épiciers, boulangers, drapiers, pelletiers et autres, placés en rang, bordant les deux côtés de la rue. A l'origine, les cages à lapins étaient en bois.
Une marchande aisée vivait dans le quartier au 14ème siècle. Elle tenait un commerce de volaille situé justement dans une des cabanes à lapin. Elle achetait la marchandise à différents fournisseurs. Un matin elle fit la réception d'une livraison de poulets, d'un nouveau fournisseur de la Bohême du Sud. L'envie lui est venue de manger du poulet à midi. Elle donna l'ordre à sa cuisinière d'égorger un poulet et de le faire rôtir. En éviscérant le poulet, la vieille cuisinière trouva des graines d'or dans l'estomac. La brave femme avertit immédiatement la patronne de son étrange découverte. La commerçante fit égorger et éviscérer l'ensemble des poulets de la livraison. Tous les volatiles avaient dans l'estomac des graines d'or. Ne cherchant pas à comprendre, la marchande de volaille persuada le fournisseur de la Bohême du Sud, de livrer la volaille uniquement à son magasin. En peu de temps, la commerçante est devenue une très riche bourgeoise. Elle acheta une magnifique maison avec un grand jardin. A la place des cabanes à lapin en bois, la riche bourgeoise fit construire de petits commerces maçonnés. Un tel geste fut fort apprécié par les petits commerçants. Ils louaient la riche bourgeoise, mais les louanges ne firent que de courte durée.
La richesse changea le caractère de l'ex-commerçante qui, à l'origine, avait bon coeur. Elle prit goût à la vie mouvementée, devint orgueilleuse, mesquine et cynique. La dame altière organisait des fêtes, des soirées et des dîners sompteux. Jamais elle ne donnait de charité. Un après-midi, en traversant le pont Charles, la riche bourgeoise passa à côté d'un mendiant assis sous la grande croix. Il était très vieux, son visage était parcheminé par des rides de souffrance, ses yeux reflètaient une profonde tristesse. Tout le monde, même les gens d'habitude insensibles à la mendicité, posaient des pièces de monnaie à l'intérieur des son chapeau. La dame ne lui prêta aucune attention et continua son chemin. Le mendiant inclina sa tête blanche, leva les yeux vers la dame en disant : " Ton coeur est très dur. Méfie-toi car un jour tu pourrais te retrouver à ma place ". La dame le regarda d'un air hautain. Puis elle ôta de son doigt une bague en or sertie de diamants et la jetta dans la Vltava en s'écriant : "Cette bague disparaîtra dans le fleuve, comme tes paroles se dissiperont dans l'air ". Le soir suivant, la dame altière donna un grand dîner. Soudain, le cuisinier lui apporta sa bague, qu'il avait trouvée dans les entrailles du brochet destiné aux ripailles. La dame n'a pu s'empêcher de penser à l'étrange cohésion des circonstances, ce qui lui gâcha la soirée. Le destin ne se fit pas attendre! La dame tomba gravement malade et fut incapable de s'occuper de ses affaires. Tous ses magasins furent détruits par l'incendie. La faillite l'obligea à vendre sa maison ainsi que tous ses biens aux enchères. Elle avait tout perdu, y compris les amis comme il en est dans les habitudes du genre humain. La dame mondaine est devenue mendiante. Elle mendiait près de la place de la Vieille ville et pensait souvent au pauvre mendiant auquel elle avait refusé la charité.