L'édit de tolérence
Le 20 octobre 1781, Joseph II, empereur germanique, corégent des Etats des Habsbourg et fils aîné de François 1er et de Marie-Thérèse, a publié l'édit de tolérance. Celui-ci a permis au souverain de pratiquer une politique de surveillance et de contrôle à l'égard de l'Eglise, entrée dans l'histoire sous le nom de joséphisme. Voici les raisons et les circonstances historiques de ce document qui a 221 ans cette année.
Le règne de Joseph II ne durait que dix ans, de 1780 à 1790, il représenta néanmoins l'une des plus importantes périodes du féodalisme tardif dans l'empire austro-hongrois. Ses réformes furent radicales à tel point qu'elles risquaient de menacer le principe même du régime féodal et d'ouvrir la voie à la formation de la société bourgeoise. Aujourd'hui, les historiens considèrent Joseph II comme un monarque éclairé et un réformateur radical qui fut l'unique membre de la famille des Habsbourg à jouer un rôle aussi important dans l'histoire de la monarchie ce qui lui a valu l'approbation générale et la sympathie du peuple.
Néanmoins, le règne illuminé de Joseph II n'était pas dû seulement au tempérament et aux qualités morales de ce dernier mais aussi à des raisons objectives, dont le développement des forces productrices et des émeutes populaires contre la corvée. Joseph II a compris ces profonds changements et a su tourner le gouvernail vers la bonne direction. La décomposition du système de corvée ne pouvait pas ne pas se refléter dans les domaines politique, idéologique et religieux. Le conflit entre l'Eglise catholique et les intérêts de l'absolutisme réformateur s'imposaient en effet de plus en plus. C'est pourquoi Joseph II soutenait les courants éclairés qui se développaient au sein de l'Eglise catholique mais il devait avant tout résoudre la question de la tolérance religieuse devenue un problème brûlant vers la fin des années soixante-dix. Après des protestations massives des protestants moraves, Joseph II voulait stopper leur exode vers la Prusse ennemie qui les acceptait et les aidait avec complaisance. Les protestants émigrés réclamaient même l'intervention militaire de la Prusse et d'autres pays étrangers pour protéger la population protestante dans les pays tchèques. Le départ des protestants avait un impact négatif sur le domaine économique, car il freinait le développement de la production manufacturière.
Le conflit entre les catholiques et les protestants s'est exacerbé en 1781, l'année de la mise en vigueur de l'édit de tolérance, le 20 octobre, qui non seulement autorisait les protestants à pratiquer leur religion mais leur octroyait aussi les pleins droits civiques. L'idée principale de l'édit est contenue dans son introduction : « ... étant convaincu de la nocivité de la violence dans les affaires de conscience et de l'utilité de la vraie tolérance religieuse, j'autorise (Joseph II) tous les protestants, qu'ils soient luthériens ou calvinistes, à pratiquer leur religion... ». Cela ne voulait pas dire pour autant que la confession catholique perdit automatiquement sa position de l'unique Eglise publique reconnue par l'Etat. En témoigne une série de mesures en vue de limiter la liberté religieuse de la population protestante : à titre d'exemple, les protestants pouvaient construire leurs églises et oratoires à condition seulement qu'il y ait eu dans la commune au moins 100 familles de cette confession, les oratoires protestants ne pouvaient pas imiter l'architecture des églises catholiques et ils devaient rappeler les maisons privées sans cloches, sans tours et leurs entrées ne devaient pas donner sur la rue principale. La confirmation des pasteurs eut lieu par l'intermédiaire des consistoires avec consentement de l'empereur. L'éducation religieuse des enfants dans les familles mixtes, elle aussi, respectait des règles rigoureuses : lorsque le père était catholique, les enfants devaient recevoir l'éducation catholique et lorsqu'il était protestant, ses fils furent protestants et ses filles catholiques, selon la mère.
Parmi d'autres conséquences de l'édit de tolérance il y a aussi le fait qu'il ne prenait pas en considération la situation spécifique des pays tchèques où survivait encore une poignée de membres de l'Eglise hussite et de frères moraves. Ces derniers n'avaient pas le droit de fonder leur propre Eglise et devaient donc choisir entre les calvinistes et les luthériens.
Malgré ses inconvénients, l'édit de tolérance fut un tournant dans l'histoire tchèque qui avait considérablement affaibli la position de l'Eglise catholique et permit le développement du mouvement national tchèque. Au départ, le gouvernement avait peur que l'édit ne provoque un départ massif des catholiques de leur Eglise mais rien de pareil ne s'est produisit, car la majorité de la population tchèque étaient des catholiques fidèles, grâce à la contre-Réforme qui avait duré 150 ans, depuis la bataille de la Montagne Blanche.
Comme je l'ai déjà dit, le règne de Joseph II menaça non seulement la position politique de l'Eglise catholique mais aussi sa force économique. L'Etat absolutiste ne voulait pas tolérer que l'Eglise ait une position indépendante du pouvoir d'Etat, qu'elle soit un Etat au sein de l'Etat. C'est pourquoi le gouvernement plaça successivement l'Eglise catholique sous son contrôle non seulement politique mais aussi économique.
L'empire austro-hongrois comptait à l'époque beaucoup de couvents qui ne servaient pas tous à des fins humanitaires ou charitables et dans lesquels les moines ou les religieuses s'adonnaient à une vie contemplative. Cette forme de religiosité étant inacceptable pour un souverain éclairé, Joseph II décida de supprimer tous les couvents qui ne s'occupaient pas du traitement des malades ou de l'éducation de la jeunesse. Cette décision toucha la moitié des couvents tchèques et moraves, dont les biens ont été confisqués en faveur du fonds religieux et les bâtiments mis à la disposition du pouvoir laïque. En général, les couvents ont été transformés en bureaux, casernes ou manufactures. Cette fermeture des couvents a eu un impact fort négatif sur le plan culturel. Le mobilier, les oeuvres d'art qui décoraient les intérieurs des couvents ont été vendus aux enchères, les livres et les manuscrits précieux ayant fini dans des stocks de vieux papiers...