Un portrait de la baronne Sidonie Nadherna
Le peintre Max Svabinsky a fait son portrait, le poète Rainer Maria Rilke l'adorait, le dramaturge Karl Kraus l'aimait et Max Thun-Hohenstein l'a épousée. La femme dont il est question, c'est la baronne Sidonie Nadherna, mécène et amie d'artistes célèbres, femme exceptionnelle qui a devancé son temps. Une exposition installée au Clementinum, à Prague - les documents, les photos et la correspondance de Sidonie Nadherna, est une occasion de vous la rapprocher...
La baronne a vécu une vie riche, splendide mais tourmentée, comme si elle y était prédestinée par son nom, Nadherna, qui veut dire la Splendide, en tchèque. Son destin reflétait les péripéties de l'histoire tchèque de la première moitié du 20e siècle. Chassée d'abord par les nazis, puis par les communistes, de sa ville natale de Vrchotovy Janovice près de Benesov, en Bohême centrale, elle ne pouvait même pas y être enterrée comme elle le souhaitait dans sa volonté. La baronne est morte en septembre 1950 à Londres où l'avait conduite son bref exil qui n'a duré qu'un an. L'inscription en deux langues, tchèque et anglaise, gravée dans la pierre de sa sépulture, était laconique: "Où est ma maison, où est ma patrie?" La réponse ne lui allait être donnée que 50 ans plus tard. Sa dépouille a été, en mai 1999, transférée et déposée au cimetière de Vrchotovy Janovice, près du château familial.
Dans les années 20, Sidonie Nadherna a été une personnalité connue qui s'est fait remarquer surtout dans les milieux artistiques comme amie et mécène d'artistes célèbres. Elle est née en 1885 dans une famille d'aristocrates. Elle parlait l'allemand, l'anglais, aimait les littératures et rêvait d'une vie de grande femme de lettres. Elle était prototype de femme moderne: elle a beaucoup voyagé, elle a connu 15 pays européens, l'Egypte, la Syrie et la Palestine. Le siège familial de Vrchotovy Janovice est resté pour elle un refuge. Elle a fait de lui le lieu de rencontres d'éminentes personnalités de la vie culturelle et politique non seulement tchèque, mais aussi européenne. Ses hôtes les plus célèbres ont été, entre autres, le peintre Max Svabinsky, l'architecte Adolf Loos, la petite-fille du Président Masaryk, Anna, le comte Lobkovicz, mais surtout le poète Rainer Maria Rilke, sans oublier le dramaturge autrichien, Karl Kraus. Pendant presque 40 ans, son salon au château familial a été une source d'inspiration pour une pléiade de personnalités de la culture autrichienne, allemande, anglaise, tchèque et même française.
Bien que d'une grande beauté et en dépit de nombreuses demandes en mariage, la baronne Sidonie est restée assez longtemps célibataire. Elle ne s'est mariée qu'après le premier conflit mondial, en épousant Maxmilian Thun-Hohenstein. Leur union n'a pas duré longtemps - six mois après le mariage, elle l'a quitté pour Karl Kraus. Leur liaison a été interrompue par la mort de Kraus, en juin 1936. Dans le journal présenté à l'exposition, la baronne a écrit à ce propos: Karl ne s'est plus jamais remis des blessures à la suite d'un accident causé par un cycliste dans une rue de Vienne. Or, une lettre adressée à son ami Vaclav Wagner, est beaucoup plus éloquente: "Ma vie privée qui, après la perte de mon frère aimé et mes amis, allait en dégradant, ne tenait que grâce à Karl Kraus, au travers d'un lien du coeur et de l'âme. Après sa mort, ma vie est tombée en ruines..."
Sidonie, seule et abandonnée à Vrchotovy Janovice, s'est mise à rédiger une chronique de sa ville natale, son dernier amour. Mais comme cela ne lui a pas été prédestiné non plus: les nazis ont fait du parc du château familial un espace d'entraînement de l'armée. La baronne s'est réfugiée dans la commune voisine où elle attendait la fin de la guerre. Or, après le putsch communiste de 1948, la propriété familiale a été confisquée par les communistes. A l'aide des amis Lobkowicz, Sidonie est partie en exil en Angleterre, où elle meurt, un an après, en 1950, à l'âge de 64 ans. En dépit de sa volonté, elle a été inhumée au cimetière anglican de Denham, près de Londres.
Avant son départ en exil, elle a écrit: "Le sort - ou une instance supérieure - a voulu que chaque être qui m'était cher, que ce soit un homme ou un chien, me soit arraché par la mort. Rien et personne n'est resté. Rien que le désir."
Le dernier désir de Sidonie - retourner à Vrchotovy Janovice, a été accompli un demi-siècle plus tard. La baronne célèbre est retournée là où elle était née...