La peinture de Max Svabinsky : les femmes et la nature
La rétrospective du peintre tchèque, Max Svabinsky, qui est ouverte, jusqu'à la fin du mois de mars, au manège Wallenstein, sera sans doute l'un des événements majeurs de la vie culturelle pragoise de cette année. Chaque week-end, des queues de plusieurs mètres se forment à l'entrée de la galerie. Et il n'y a pas que les historiens de l'art qui se précipitent pour aller voir les oeuvres de ce maître de la peinture tchèque, du début du 20e siècle. L'art de Max Svabinsky, qui glorifie l'amour, les beautés de la vie et de la nature, séduit tout le monde, sans égard à l'âge et la profession.
Max Svabinsky est né en 1873, à Kromeriz, l'une des plus belles villes de la Moravie du sud. Son atmosphère, surtout ses vastes parcs et jardins, et aussi ses environs, le beau paysage morave, tout cela s'est gravé, une fois pour toutes, dans la mémoire du futur peintre. D'ailleurs, Max a commencé à dessiner très tôt : il n'a que dix ans, lorsqu'il « expose » ses travaux, pour la première fois, dans la vitrine de la pharmacie de Kromeriz. Il s'est révélé, très vite, que Max était extrêmement doué pour le portrait. Parmi ses premiers modèles, trois femmes qui l'élevaient : sa mère, sa tante et sa grand-mère. Leurs portraits, dessinés au fuseau ou à l'encre de Chine, sont aussi présentés à l'exposition pragoise. A dix-sept ans déjà, l'enfant prodige entre à l'Ecole des Beaux-Arts de Prague et... sa brillante carrière artistique commence.
Le dessin, l'art graphique et la peinture, voilà les trois techniques préférées de Max Svabinsky, techniques qu'il maîtrisait à merveille. Il aimait dessiner, nous l'avons déjà dit, le paysage et les gens qu'il aimait bien. Avec un simple crayon, il a su montrer comment change une forêt au cours de la journée, comment est-elle le matin, quand elle se baigne dans les premiers rayons de soleil, à midi, quand la lumière est la plus perçante, et dans la soirée, quand elle est, de nouveau, très douce. Lors de ses promenades, l'artiste recherchait des coins romantiques et un peu perdus, là où coulent des ruisseaux et poussent des fougères, où volent des papillons et des libellules... Et les portraits ? De ces proches, l'artiste passe aux hommes et aux femmes illustres de son époque : musiciens, écrivains, scientifiques, peintres, sculpteurs. Antonin Dvorak, Bedrich Smetana, Bozena Nemcova, Mikolas Ales, voilà seulement quelques-uns des Tchèques célèbres, que Max Svabinsky a immortalisés.
A-t-il, dans sa création, complètement oublié sa famille ? Bien au contraire. Ce sont toujours les femmes qui reviennent sur ses tableaux. Seulement celles qui l'on vu grandir ont cédé leur place aux élues de son coeur. Elles étaient deux, Ela et Anna. Sa première et sa seconde épouse...
Ela et Anna, deux amours de Max Svabinsky
Le jeune Svabinsky se sentait très bien, en compagnie de la fragile et sublime Ela et de sa grande famille bourgeoise, accueillante et cultivée. Pendant de longues années, la belle Ela aux cheveux châtains, était sa muse, son modèle préféré, son idole. C'est elle que l'on voit sur ses peintures les plus connues. Habillée en robes magnifiques, assise sur un canapé, pensive, en train de lire ou de se coiffer... Svabinsky peint, aussi, les autres membres de la famille, y compris les domestiques. Il fait de grands portraits familiaux qui dégagent une bonne ambiance, l'amitié, le bonheur. Soudain, on y voit un nouveau visage, inconnu jusqu'à présent : une jeune femme blonde et souriante, pleine d'élan, de vitalité. Et s'est elle, Anna, qui prend la relève. Anna était la femme du frère d'Ela, donc la belle-soeur de Svabinsky. La famille de son mari a mis un certain temps, avant d'accueillir cette femme, issue d'un milieu modeste.
A l'exception de Max Svabinsky. Pour lui, c'est un coup de foudre. Pour sa belle-soeur, aussi. Dans la famille, tout le monde est au courant, mais personne ne fait rien. Le silence dure plus de quinze ans ! Svabinsky, lui, continue à peindre. Un de ses fameux tableaux de cette période s'appelle « Atelier ». On y voit le peintre en personne, en train de faire le portrait d'Anna. Le mari d'Anna, Rudolf, les observe. Au milieu du tableau, Ela, en train de s'amuser avec la fille d'Anna et de Rudolf. Ela tourne le dos à tous le monde, et aussi, dirait-on, à l'amour entre son mari et la femme de son frère. Quand Zuzana, la fille d'Anna, s'est marié, Anna a pu, enfin, divorcer de Rudolf et épouser Max. C'était en 1930, elle approchait de la cinquantaine, Max avait dix ans de plus. En 1942, Anna meurt, des suites d'une crise cardiaque. Depuis, Svabinsky vit avec Zuzana et sa famille. Sa première femme, Ela, n'a jamais complètement disparue de sa vie. Elle l'aidait à faire des gravures.
Les mémoires de Zuzana Svabinska
L'exposition de Max Svabinsky, organisée quarante ans après sa mort, le 10 février 1962, est une grande révélation pour tous les Tchèques. Sous l'ancien régime, l'artiste était connu surtout pour ses portraits de Tchèques célèbres, dont je vous ai parlé tout à l'heure, pour ses magnifiques timbres, avec des motifs naturels, et ses vitraux, à la cathédrale St-Guy, au Château de Prague. Sans négliger cette partie importante de son oeuvre, l'exposition nous présente Max Svabinsky en tant qu'admirateur du corps et de l'esprit féminins. En tant que maître imbattable de toutes les techniques graphiques que vous pouvez imaginer. En tant qu'auteur, non seulement de peintures à l'huile et de dessins, mais aussi de magnifiques tableaux dessinés à l'encre de Chine et colorés, qui, vus de loin, ressemblent à des peintures. Comme un peintre qui savait merveilleusement dessiner des tissus : robes, dentelles, rideaux et nappes... Bref, comme une légende de la peinture réaliste, aimée jusqu'à nos jours.
Une bonne nouvelle pour les amateurs de l'oeuvre de Svabinsky et de son époque : les mémoires de Zuzana Svabinska, 90 ans, vont bientôt paraître dans les éditions tchèques, Academia. Elle y raconte, à part son enfance et sa jeunesse, les moments heureux et moins heureux de la vie de sa famille : de son père Rudolf, amoureux du théâtre d'avant-garde, de tante Ela, douée pour les langues et passionnée pour les idées communistes, et aussi, bien sûr, de sa mère Anna et de son oncle Max, qui défendaient l'art classique contre les mouvements modernes, dans la peinture et dans l'art en général. Espérons qu'un jour, le livre sera traduit en français.