La problématique des décrets du président Benes
55 ans après la guerre, les décrets du président Benes, conséquence de cette guerre, ne cessent d'être ranimés. Les Rassemblements sudéto-allemands en Allemagne et en Autriche invitent à leur abrogation, des voix se font entendre du parti des Libéraux autrichiens appelant au dédommagement des Allemands des Sudètes... Les décrets Benes, avaient-ils vraiment stipulé le transfert des Allemands des Sudètes? La Tchécoslovaquie, était-elle l'unique pays dans lequel le transfert de populations allemandes avait lieu?
La problématique des décrets Benes et de leur validité est remise sur le tapis depuis la chute du régime, en 1989. Le premier acte du président Vaclav Havel a été de présenter, en janvier 1990, une excuse officielle et une condamnation du transfert des Allemands des Sudètes. Le traité tchéco-allemand de bon voisinage et de coopération de 1992 devait mettre un point final au passé. Dans la Déclaration tchéco-allemande signée en 1997, Prague et Berlin se sont excusés des torts du passé. Leurs rapports ne devaient plus être hypothéqués par les problèmes du passé. La pratique est, hélas, autre. Commençons par la question fondamentale: qu'est-ce que les Décrets Benes?
Cette notion est utilisée pour désigner un ensemble de 143 dispositions juridiques édictées entre 1940 et 1945 par le président Edvard Benes durant son exil, à Londres, et après son retour à Prague. Avant 1945, leur sens était d'ancrer l'organisation étatique provisoire de la Tchécoslovaquie rompue par le diktat de Munich, et après 1945, de rétablir l'état de droit avant que les organes réguliers de l'Etat démocratique ne soient renouvelés. Ce sont les décrets d'après-guerre qui sont les plus critiqués.La première chose qu'il faut souligner est qu'aucun des décrets ne se référait au transfert des Allemands des Sudètes. Un concours de circonstances a joué son rôle. Le 2 août 1945, la conférence de Potsdam des puissances victorieuses a décidé du transfert des Allemands de Pologne, de Hongrie et de Tchécoslovaquie. Ce même jour, le 2 août, le président Benes a signé le décret numéro 33 sur le retrait de la nationalité tchécoslovaque. Le décret en question stipulait que les Allemands et les Hongrois, qui avaient auparavant acquis la nationalité allemande ou hongroise, ont perdu, le jour de son acquisition, la nationalité tchécoslovaque. C'est ainsi que, à l'avis des historiens, les conditions pour le transfert ont été créées.
Outre le décret 33, le plus critiqué est le décret sur la confiscation des biens et des terres, et celui imposant aux Allemands et aux Hongrois déchus de la nationalité l'obligation de travailler. Il faut souligner aussi que le transfert et l'expropriation ne concernaient pas tous les Allemands des Sudètes. Les Allemands antifascistes et les victimes du nazisme ont pu rester en Tchécoslovaquie.
L'idée du transfert n'était pas nouvelle. Le projet de déménagement des minorités ethniques vers leurs pays est apparu en mai 1940 dans une étude du ministère britannique des Affaires étrangères. Encore avant la fin de la guerre, le gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres était conscient de la nécessité de résoudre la question de la minorité allemande, ayant en vue la victoire de l'orientation pro-hitlérienne au sein du parti sudéto-allemand en 1937, qui a permis le rattachement des Sudètes au Reich. On a envisagé deux variantes de la solution de ce problème - la cession d'une partie du territoire ou la création des régions à un certain degré d'autogestion. Entre-temps, le transfert de populations allemandes a obtenu une base juridique à Potsdam.
L'article numéro 13 des accords de Potsdam du 2 août 1945 indique que les puissances victorieuses reconnaissent la nécessité de transférer la population allemande de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la Hongrie vers l'Allemagne. En Tchécoslovaquie, le transfert a eu lieu en trois étapes. La première remonte à la dernière période de la guerre, lorsque les Allemands quittaient le territoire vers lequel s'approchait l'Armée rouge. La deuxième étape, sauvage, a été accompagnée d'un certain nombre d'atrocités et de violences, pour lesquelles la Tchéquie s'est excusée à l'Allemagne. La troisième a suivi en décembre 1945, sous le contrôle des organisations internationales. Les derniers Allemands ont quitté la Tchécoslovaquie en 1951. Les chiffres sur le nombre de personnes transférées divergent: on parle de 3 millions d'Allemands des Sudètes, et d'environ cent mille Hongrois du sud de la Slovaquie qui ont dû quitter la Tchécoslovaquie.
La Tchécoslovaquie n'était pas l'unique pays où le transfert de populations allemandes avait lieu, conformément aux stipulations de la conférence de Potsdam. La même situation existait dans d'autres pays d'Europe occidentale: le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas ou la Belgique. Les gouvernements de ces pays ont pris également les mesures de confiscation des biens aux personnes de nationalité allemande.
En rapport avec les décrets Benes, le Rassemblement des Allemands des Sudètes soulève la question du dédommagement. D'après de nombreux historiens et juristes tchèques, la confiscation et les réparations consécutives sont ancrées dans des conventions internationales, des accords bilatéraux et dans l'article 107 de la Charte de l'ONU. Les revendications de réparation de la Tchécoslovaquie dépassaient d'un sixième la valeur des biens allemands confisqués. Les Allemands transférés ont déjà été, dans le passé, dédommagés par l'Allemagne. Il convient de rappeler que les compensations versées entre 1956 et 1990 par l'Etat allemand aux Allemands transférés de la Tchécoslovaquie ont dépassé une somme de 50 milliards de marks. L'Allemagne a dédommagé également les Allemands transférés en Autriche, par 325 millions de marks.
Le dédommagent des Allemands des Sudètes en Autriche est exclu par la convention tchéco-autrichienne du 19 juillet 1965, dans laquelle l'Autriche s'engage à renoncer à toutes les revendications présentées par les "nouveaux" Autrichiens, devenus citoyens après 1945.