L'Union européenne raisonne les agriculteurs tchèques
Comme nos auditeurs le savent, la semaine dernière, des agriculteurs tchèques, estimés au nombre de 3000, ont fait une marche de manifestation qui les a conduits au siège du gouvernement et à la Chambre des députés, où ils ont successivement remis une pétition signée par 100 000 personnes et réclamant l'assistance des pouvoirs publics. A noter que les agriculteurs se sont montrés quelque peu excédés, à en juger par le ton. Ils demandent au gouvernement de tenir ses promesses, sous peine de revenir dans la rue. C'est donc cette problématique de l'agriculture tchèque qui fait l'objet de cette émission...
Mais les agriculteurs demeurent quelque peu sceptiques sur le succès de leur manifestation, précisément et paradoxalement, parce qu'ils ont obtenu partout le soutien des officiels. Un certain Jiri Löwy, agriculteur de la région de Plzen en Bohême de l'ouest, a déclaré à la CTK qu'il est persuadé que les actions de protestation ne rapportent rien. Une manifestation pareille a déjà été organisée, a-t-il dit, sous le précédent gouvernement, à cause du marché de la viande du porc, sans rien rapporter. "Les 20 à 25% de la dotation des agriculteurs de l'Europe occidentale, qu'accorde l'Union européenne aux agricultures tchèques sont toujours supérieurs à la dotation que leur accorde l'Etat tchèque", a conclu Löwy. Certains, comme Libor Greg, de l'Université agricole et forestière, estiment que l'Union européenne pourrait parfaitement aller au-delà des 25% accordés, si les Etats candidats coordonnaient leur action. Il est en revanche difficile, ajoute-t-il, d'obtenir de l'Union qu'elle différencie son comportement en nous accordant un soutien plus grand et aux autres Etats un soutien de moindre importance. Un autre agriculteur, de Jicin au nord de Prague, a déclaré à ce propos : "L'Union européenne n'est ni le patron ni le sponsor de la Tchéquie, mais un concurrent. La politique agricole du gouvernement a été fondée sur l'attente d'une gigantesque dotation de l'Union européenne qui devrait nous asseoir tous dans une carrosse royale." Voilà un peu l'Union européenne dans l'optique des agriculteurs tchèques. Nous verront le point de vue de l'Union à la fin.
Dans une information datée du 1er novembre, la CTK fait une mise au point des relations avec Bruxelles. On y lit : "La nouvelle attitude commune de l'Union européenne vis-à-vis de la Tchéquie, par rapport à celle du printemps, n'a subi que des retouches de cosmétique. Et c'est elle qui servira de base dans les négociations à venir du dossier agricole. Pour certains cas, la commission a pris à la légère l'offre de quotas de production dans le cadre desquels les dotations sont accordées à partir du budget de l'Union européenne". Et la dépêche de souligner que le document en question a été adopté par les ambassadeurs des "quinze". Du point de vue formel, le plus important dans la nouvelle attitude de l'Union est que, pour la première fois -je cite toujours l'agence-, une partie du soutien direct à l'agriculture est reconnue aux agriculteurs tchèques par le dernier sommet extraordinaire de Bruxelles. La dotation, qui est actuellement de 25%, prendra 5% par an pour atteindre en 2007 40%. Par la suite, l'augmentation annuelle sera de 10% jusqu'à la parité, prévue pour l'an 2013. Tout au long de cette période, l'Union européenne reconnaît au gouvernement tchèque le droit d'accorder des dotations étatiques qui ne doivent pas dépasser la différence entre la dotation accordée par l'Etat tchèque avant l'admission et la dotation accordée par l'Union européenne après l'admission, excusez ces méandres !
La Tchéquie souhaite par ailleurs que le montant des dotations accordées par l'Union soit tel que, ajouté aux dotations de l'Etat tchèque, donne un montant équivalent à la dotation obtenue par les agriculteurs de l'Europe des "Quinze". Récemment encore, le négociateur tchèque à l'admission, Pavel Telicka, soulignait que la position actuelle de l'Union est inacceptable pour la Tchéquie. Sans mettre en cause le principe de la progressivité des dotations jusqu'en 2013, il a néanmoins exprimé le souhait que l'Union européenne ait une attitude positive en ce qui concerne les quotas de production. Sur ce point-là, il y a toute une série de disparités entre ce que demande la Tchéquie et ce que tolère la Commission européenne, pour une foule de denrées qu'il serait fastidieux d'exposer. Notons toutefois quelques exemples : pour le sucre, la Commission accorde 445 237 tonnes alors que la Tchéquie réclame 505 000 tonnes. La limite à ne pas dépasser dans la production du lait est 2,5 tonnes, la Tchéquie demande 3, 1 tonnes, etc.
En attendant, les agriculteurs s'alarment. Selon le président de la Chambre agraire, Vaclav Hlavacek, la perte de revenu pour les agriculteurs au titre de cette année est de 20 milliards de couronnes, soit environ 670 000 euros, pertes aggravées par les inondations d'août. De plus, ajoute-t-il, les fermiers ne peuvent pas augmenter les prix, car tout de suite l'importation augmentera. "J'ai peur, a-t-il dit, qu'il n'y ait un effondrement dans l'agriculture, car, environ 25 à 30% des agriculteurs sont au bord de la faillite. C'est pourquoi une assistance adéquate de l'Etat devient nécessaire.
C'était la voix de Frantz Fischler, membre de la Commission européenne, responsable pour l'agriculture et les campagnes ; il a fait le voyage de Prague cette semaine, précisément pour s'expliquer sur l'agriculture au sein de l'Union européenne. Tôt dans la matinée de ce vendredi, il a donné une conférence de presse au Centre d'information sur l'Union européenne à Prague. Il ne s'agit pas ici de présenter le contenu de sa conférence sur lequel nous reviendrons, mais d'exposer certaines des idées fortes de son intervention.
D'entrée de jeu, Fischler a souligné les grands progrès réalisés par la Tchéquie sous la houlette de l'Union. Mais beaucoup reste à faire dans le domaine de la modernisation, la productivité et la qualité des produits. L'intérêt de l'élargissement, selon Fischler, ne réside pas dans les quotas et les subvention, mais ailleurs : d'abord le développement des campagnes tchèques, ensuite l'amélioration de la qualité des produits agricoles, et enfin l'augmentation des prix. Avec ou sans l'Union, la restructuration est inévitable et ce que demande l'Union est de toute façon inévitable sur le marché mondial. L'Union européenne, a-t-il dit en substance, veut dire : sortir de l'isolement et compter sur un soutien technique et financier très important. L'admission à l'Union européenne ne concerne ni l'Union, ni la Commission européenne, c'est à vous qu'il appartient de savoir où vous voulez être à l'avenir, c'est le choix d'un avenir pour vos enfants : appartenir à une grande famille ou rester seuls, a conclu Fischler.