Thomas Gunzig, un écrivain belge aimé par les éditeurs tchèques

Thomas Gunzig (Photo : Marc Brasseur, www.cfwb.be)

Auteur prometteur, surdoué, pour ne pas dire génial - c'est en ces termes que la critique parle du jeune écrivain belge, Thomas Gunzig. Auteur de plusieurs recueils de nouvelles, cet écrivain né en 1970, prix Rossel en 2001, a publié, récemment aussi, un roman intitulé Mort d'un parfait bilingue, oeuvre qui a confirmé son talent. Une imagination surprenante et un humour corrosif, qui frôle le cynisme, font de ce roman une vision noire et rocambolesque d'un monde dans lequel nous allons peut-être vivre un jour. Les écrits de Thomas Gunzig paraissent en Belgique, en France et aussi en République tchèque, aux éditions Dauphin et Volvox Globator. Il y quelques jours, il est venu à Prague pour participer à des débats littéraires et lire ses nouvelles au public. Il a aussi répondu à quelques questions.

Vous êtes un auteur relativement jeune. Comment on devient écrivain en Belgique? Est-ce que c'était difficile? Quels étaient vos débuts littéraires?

"Devenir écrivain ce n'est jamais difficile, parce qu'il suffit d'avoir du papier et un crayon. Ce qui est plus difficile c'est de se faire publier. Moi, j'ai eu la chance dans la mesure où j'ai gagné un prix sur manuscrit. L'objet de ce prix était d'être publié. Donc je n'ai jamais du faire des démarches auprès de différents éditeurs, je n'ai jamais eu de refus. J'ai eu énormément de chance. J'ai donc eu des débuts relativement faciles. Après cela, la chose était en route, j'ai été contacté par d'autres éditeurs qui m'ont demandé si j'avais des choses, j'en avais, donc, de fil en aiguille, j'ai toujours eu, relativement, des facilités à publier."

Malgré votre âge vous avez déjà réuni une jolie collection de prix littéraires. Qu'est-ce que ces prix représentent pour vous?

"Ce qui est difficile dans le métier d'écrivain c'est le côté quelquefois très solitaire du boulot, on est tout seul face à son travail. Quand un livre sort, on a très peu d'échos de ce qui se passe. Alors, un prix littéraire c'est d'abord une forme de reconnaissance qui est extrêmement importante, agréable et presque nécessaire pour ce dire qu'on ne parle pas dans le vide. Cela représente, évidemment aussi, l'intérêt d'autres éditeurs, peut-être de plus en plus importants, cela représente quelquefois la perspective, même éloignée, de pouvoir vivre un jour de son travail, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Mais, avant tout, le prix est important parce que c'est une reconnaissance de son travail et donc un encouragement."

Votre roman "La mort d'un parfait bilingue," est situé dans un pays qui ressemble vaguement à la Yougoslavie. Est-ce que c'est l'image de notre monde ?

"Je ne sais pas si c'est l'image de notre monde, mais ce qui m'a fort frappé dans la guerre en Yougoslavie c'est que de mon vivant, dans les trente années que j'ai vécu, je n'avais jamais eu d'image de la guerre occidentale. On avait eu toutes les images de guerre en Asie, en Afrique, ça on le connaissait, mais le fait de voir les images de guerre occidentale, avec, c'est idiot à dire, avec des modèles de voitures qu'on connaît, des magasins qu'on connaît, cela avait l'air très proche, terriblement proche. Et c'était cette proximité que je voulais rendre dans mon livre. Je ne voulais pas parler d'une guerre exotique, je voulais une guerre très proche de moi et de nous et, à mon avis, cela multipliait la force et l'impact des images de cette guerre. J'avais envie, une envie presque esthétique, d'écrire un environnement comme celui que je connais quotidiennement, mais dévasté par la guerre."

Pouvez-vous résumer ce roman?

"C'est compliqué mais, en gros, c'est l'histoire de quelqu'un qui, malgré lui, va être amené à faire des choses terribles pendant une guerre. C'est une guerre particulière, parce que c'est une guerre qui est un produit d'appel, d'audience pour une chaîne de télévision, donc c'est une guerre organisée par une chaîne de télévision, pour faire de l'audience, et c'est une guerre qui sert de support publicitaire où les militaires, les blindés, les tanks mettent de la publicité sur leur dos. C'est ça en gros."

C'est un roman réaliste ou fantastique?

"Ni l'un ni l'autre, il n'y a aucun élément fantastique, dans la mesure où nulle part il n'y a de notion de magie ou des choses surréalistes. Je pense que c'est crédible, que c'est un peu décalé. C'est plus un roman caricatural, je pense, je fais dans la caricature, c'est une caricature réaliste du monde vers lequel on va."


On vient d'entendre la lecture de vos nouvelles. Est-ce que vous aimez Boris Vian? J'ai l'impression que votre style rappelle quelque chose qu'on pourrait trouver dans les romans de Boris Vian, par exemple dans L'Ecume des jours.

"Oui évidemment. Beaucoup de jeunes ados découvrent Boris Vian quand ils ont treize, quatorze, quinze ans. Pour moi c'était très important parce que j'ai découvert une liberté, une aisance, une liberté d'imagination et de style complètement débridée. C'est vrai, dans mes premières nouvelles j'ai fait des plagiats complets de Boris Vian. J'ai complètement imité deux nouvelles, Le Loup-garou et Les Fourmis, les nouvelles qui m'avait vraiment marqué. Et puis Boris Vian, lui aussi, a parlé de la guerre, dans la nouvelle Les Fourmis, d'une manière un peu drolatique, un peu caricaturale qui me plaisait énormément. Je n'essaie plus d'imiter Boris Vian mais c'est quelqu'un qui a beaucoup compté pour moi et m'a ouvert les yeux sur des choses..."

Vous avez lu vos nouvelles au public de Prague et vous avez écouté aussi la lecture de vos nouvelles en tchèque. Est-ce que cette lecture de vos nouvelles traduites dans une langue inconnue vous a donné quelque chose?

"C'est très bizarre parce qu'on a l'impression d'entendre autre chose, évidemment. Je ne connais absolument pas le tchèque, la seule chose à laquelle je peux me raccrocher, ce sont des éléments rythmiques. Mais ce qui était aussi très bizarre c'était de voir la réaction du public qui avait l'air de bien aimer et riait à certains endroits. C'était donc la première fois que j'avais l'impression d'être le spectateur de moi-même. Je me dis, ce n'est plus du tout moi, ce n'est plus ma langue, ce n'est plus mon rythme, mais il y a encore des morceaux de moi là-dedans. Je ne le comprends pas très bien mais les gens ont l'air d'aimer. C'était très bizarre."

Vous êtes maintenant à Prague. Comment vous trouvez la ville ? Est-ce que vous vous sentez dépaysé?

"Ah oui, clairement. C'est amusant parce qu'on n'est pas très loin de Bruxelles, une petite heure d'avion, et c'est un autre univers."

Quelles sont les différences?

"Elles sont infinies. Tout est différent. D'abord, c'est une ville qui est sublime. Ce n'est pas très original de dire que c'est une ville magnifique. Je ne peux pas vous dire que de gros clichés sur Prague. C'est une ville qui a une lumière, une odeur, une luminosité qui est assez incroyable. C'est une ville d'eau, j'aime bien, parce qu'il y a une grande rivière, qui passe au milieu, c'est une ville de culture, une ville qui est curieuse de l'extérieur, où il y a des gens curieux ... On m'avait dit: Fais attention, on ne mange pas bien à Prague. Moi j'adore la cuisine pragoise, j'aime bien la richesse, la générosité de ces plats pragois, j'aime bien la bière pragoise. Mon grand-père était Tchèque, il était d'une région à côté. Même s'il ne venait pas de Prague, quand je viens en République tchèque, j'ai l'impression un tout petit peu de revenir dans un endroit ou ma famille a passé quelques siècles."

Comment expliquez-vous l'intérêt que les éditeurs tchèques manifestent pour votre oeuvre?

"Je ne me l'explique pas. J'aimerais bien qu'ils me l'expliquent. Je ne sais pas. Mais d'un côté, je suis très heureux que ce soit ici. Je ne pourrais pas vous dire exactement pourquoi je suis très heureux que ce soit ici, en République tchèque, et pas forcément en Hongrie. Peut-être, c'est lié à cette histoire de famille, peut-être parce que Prague est une ville magnifique, c'est un pays qui m'attire, qui a une langue qui, je trouve, a une musique mystérieuse, et qui est assez belle aussi. Je ne sais pas. Je ne me l'explique pas, mais j'aime bien, je suis très content, très heureux."