Quand Stéphane Mallarmé rencontre Tristan Corbière dans un café de Prague
Qui s’intéresse aujourd’hui à la poésie ? Ce genre littéraire peut-il encore attirer les jeunes ? Si la poésie passionnait jadis les foules, qu’a-t-elle encore à nous dire dans une société confrontée à l’incessante offensive de l’audiovisuel ? La poésie mérite-t-elle le rôle de parente pauvre de la prose auquel elle est aujourd’hui reléguée ? N’est-elle pas un genre en voie de disparition ? Il semble que non et que la poésie n’a pas encore perdu tous ses adeptes, fidèles et sympathisants. Parmi eux Markéta Zatloukalová et Zdeněk Ježek, une jeune femme et un jeune homme qui aiment la poésie et désirent que celle-ci soit aimée.
La poésie dans un petit café pittoresque
Markéta Zatloukalová et Zdeněk Ježek ont organisé une soirée bilingue franco-tchèque pour présenter au public pragois Stéphane Mallarmé et Tristan Corbière, poètes français qu’ils aiment particulièrement et qui, comme ils l’estiment, ne sont pas assez connus du public tchèque. Pour cette lecture publique, ils avaient choisi un endroit pittoresque, un petit café situé dans une vieille maison du quartier de Žižkov à Prague, un cadre qui n’est pas luxueux mais qui ne manque pas d’atmosphère typique et intimiste. C’est là qu’ils ont lu avec leurs amis, devant un public pas très nombreux mais très attentif, les œuvres de deux grands poètes français suivies de leurs traductions en tchèque. A l’issue de cette soirée Markéta Zatloukalová et Zdeněk Ježek ont répondu à quelques questions de Radio Prague.De Paris à la maison
En 2016, vous avez créé le collectif « Z Paříže domů » (De Paris à la maison). Pour quelle raison ?
Markéta Zatloukalová : « A l’époque nous vivions tous les deux à Paris et j’avais l’impression qu’il y avait beaucoup d’événements culturels autour de la République tchèque, mais que peu d’entre eux étaient consacrés à la littérature et à la poésie. Je trouvais que c’était très dommage et j’ai eu envie de présenter des auteurs tchèques et surtout des poètes tchèques en France. »Quels ont été les membres de ce collectif ?
MZ : « Les membres fondateurs sont deux : Zdeněk Ježek et moi-même. Maintenant nous sommes plusieurs avec tous ceux qui veulent bien nous aider à lire des poèmes. »
Quel genre de poésie et quels poètes tchèques avez-vous présentés au public français ?
Zdeněk Ježek : « Nous avons lu des poètes qui sont très connus en Tchécoslovaquie : Vitězslav Nezval, Jaroslav Seifert, Bohuslav Reynek et son épouse Suzanne Reynaud qui était Française mais qui a vécu en Tchéquie elle-aussi. »
Les lectures bilingues
Quel accueil le public français a-t-il réservé à la poésie tchèque ?
MZ : « Justement, j’ai été très surprise, à la première lecture, de trouver une salle pleine, mais vraiment pleine. Nous avons eu beaucoup de bonnes réactions par exemple de couples franco-tchèques, de gens qui vivent ensemble et ne sont pas de la même nationalité et qui ont ainsi pu participer ensemble à ces manifestations, parce que nous lisons chaque fois en deux langues, en français et en tchèque, quel que soit le pays. Après avoir donc réalisé ce concept en France où nous avons présenté des auteurs tchèques, nous avons maintenant un peu retourné le mécanisme et présentons des auteurs français en République tchèque. »
Avez-vous utilisé la poésie déjà traduite ou avez-vous essayé de traduire vous-mêmes la poésie tchèque en français ?
ZJ : « Oui, bien sûr, nous avons choisi des poètes déjà traduits parce que je n’arrive pas à imaginer traduire de la poésie moi-même. Ce n’est vraiment pas facile. »
Le mécanisme renversé
Maintenant vous êtes en Tchéquie et, comme vous dites, vous avez renversé le mécanisme. Qu’entendez-vous par là ?
MZ : « Alors, l’idée première, quand nous vivions encore en France, était de présenter des auteurs tchèques. Et après, puisque je venais en vacances en Tchéquie - je suis originaire de Moravie - j’ai trouvé dommage de ne pas présenter des auteurs français ici. Et là aussi le public nous a réservé un accueil très positif et je suis contente de pouvoir continuer cette activité en Tchéquie. »
Vous avez commencé par présenter votre programme en Moravie. Avez-vous trouvé en Moravie un public suffisamment motivé pour se déplacer pour de la poésie, pour aller écouter de la poésie ?
MZ : « Je viens d’Uherské Hradistě, qui est une ville très culturelle, tant pour ce qui concerne la musique que le folklore et toutes les traditions encore vivantes. Donc, là-bas, l’accueil qui nous a été réservé a été très positif parce que les gens sont habitués à aller écouter de la musique, du jazz, participer à des lectures publiques, peut-être moins à celles de poésie mais en tout cas à celles de littérature. Donc oui, on a trouvé un public très accueillant, peut-être aussi parce que c’est une ville culturellement très développée. »
Comment faites-vous pour attirer l’attention du public ?
MZ : « La publicité se fait par toutes les voies que vous connaissez. On invite nos amis et les amis d’amis et l’information se répand parce qu’il s’agit quand même d’un événement assez unique que l’on n’organise pas toutes les semaines. Les gens se mobilisent donc et sont contents. C’est ce qui caractérise cet événement : il est unique et rare. »
Stéphane Mallarmé et Tristan Corbière
Vous présentez à Prague des poèmes de Stéphane Mallarmé et de Tristan Corbière. Pourquoi votre choix s’est-il arrêté sur Mallarmé et Corbière ? Qu’est-ce que ces deux poètes représentent pour vous ?ZJ : « A mon avis, ils ne sont pas très connus en Tchéquie. Les Tchèques connaissent plus Charles Baudelaire, Paul Verlaine, etc. Mallarmé et Corbière ne sont pas très connus mais ils sont traduits en tchèque. Donc il était plus facile pour nous de choisir et de présenter leurs poèmes. »
Quelles sont les principales qualités de leur poésie ?
ZJ : « Difficile à dire, vraiment. J’aime beaucoup Mallarmé pour la musicalité de ses vers, mais aussi Tristan Corbière que je considère comme un fondateur de la poésie moderne. Donc, ce que je trouve dans la poésie moderne, je peux le trouver aussi dans les vers de Tristan Corbière. »
MZ : « Pour moi, ce serait certainement le contenu de leur création et aussi leur musicalité. Je pense que pour le public tchèque qui ne parle pas très bien français, il est intéressant d’écouter la langue. Elle a une musicalité et des sonorités incroyables. »
Entre Paris, Prague, Olomouc et Uherské Hradiště
On dit parfois que la poésie, la vraie poésie, est intraduisible. Les traducteurs tchèques ont-ils su transmettre d’une langue à l’autre, du français au tchèque, la musique des vers de Mallarmé et de Corbière et les particularités de leur style ?MZ : « Je crois que c’est à chacun de juger. Chaque poème traduit est un nouveau poème pour moi. Donc, on ne peut pas vraiment comparer le poème original et sa traduction parce que, chaque fois, c’est un nouveau poème pour moi. »
Allez-vous organiser encore d’autres soirées de ce genre ?
MZ : « Oui, nous allons présenter le même programme le 18 décembre prochain, à 19 heures, à Divadlo na cucky (Théâtre en loques) à Olomouc. Donc tous ceux qui ont des amis ou de la famille à Olomouc et qui souhaitent venir, seront les bienvenus. Je pense que nous allons continuer les lectures. C’était la première fois à Prague et nous présenterons d’autres auteurs l’année prochaine. Nous n’en connaissions pas encore les noms, mais j’aimerais beaucoup continuer dans cette voie. »
A Olomouc, vous allez donc présenter le même programme ?
MZ : « Oui, ce sera le même programme. Nous nous sommes dit que ce serait dommage de ne pas le présenter aussi au public morave, dans les deux partis de notre pays. Et bientôt nous irons aussi en Silésie. »