« En cinéma, je crois en la sincérité du propos »
Au festival de Karlovy Vary, début juillet, un film tunisien, Weldi, était présenté dans la section Horizons. Deuxième long-métrage de Mohamed ben Attia, Weldi revenait juste de Cannes où il a été particulièrement remarqué à la Quinzaine des réalisateurs. Dans ce dernier entretien réalisé à Karlovy Vary, Radio Prague a d’abord demandé à Mohamed Ben Attia ses impressions après ce récent séjour cannois :
Vous avez eu un prix d’ailleurs, pour Hedi, celui du premier film…
« Oui, effectivement. Peut-être que c’était l’inconscience, le fait de ne pas du tout s’attendre à ça et que tout s’est accéléré très vite… Pour le deuxième, il n’y a heureusement pas eu de pression pour l’écriture, mais dès que le scénario a été terminé on a commencé à avoir très rapidement une pression de la part de nos partenaires. Comme nous avons eu un budget un peu plus conséquent que pour le premier film, la contrepartie était cette pression. On a été à Cannes mais on en a très peu profité, en tout cas pour ma part, même si j’ai quand même vu beaucoup de films. C’était intense, plus stressant qu’à Berlin. »
J’imagine qu’à Karlovy Vary l’ambiance est plus tranquille et que vous pouvez profiter un peu plus du festival…
« Oui, là c’est autre chose. C’est beaucoup plus paisible, j’en profite pour voir des films. C’est très beau et c’est petit donc on n’a pas à marcher des kilomètres ou à prendre les transports en commun. Tout va bien. »
Vous avez déjà eu des premiers échos de la part de festivaliers sur votre film Weldi ?
« Oui, parce qu’hier on a fait la première projection suivie d’un débat. Tout s’est bien passé, les gens ont adoré. C’est un film un peu plus complexe à débattre que Hedi parce que, sous la première couche de Daesh, d’autres choses se cachent dont il est un peu plus difficile de parler puisqu’elles relèvent du ressenti, en tous cas je l’espère. C’était intéressant parce que, plus qu’ailleurs et plus qu’en France, les gens s’attardent à poser des questions sur Daesh et sur l’islamisme plutôt que sur ce que le film pourrait traiter de plus complexe. Je l’ai forcément bien accepté parce que c’est un phénomène qui apparaît plus lointain ici qu’en France ou en Belgique, où on en parle très fréquemment et où les gens commencent à avoir fait le tour de la question. On m’a demandé par exemple si le cadre familial était réaliste, si je n’avais pas essayé d’édulcorer l’histoire, mais aussi s’il existe réellement des familles où un enfant peut partir ainsi sans raison… En France, les gens ne posent pas ce genre de questions parce qu’ils savent que malheureusement, ce peut être le cas et qu’il n’y a pas un seul profil dans les personnes qui partent pour le djihad. Tout cela m’intéresse beaucoup parce que je suis confronté à une réalité que je n’avais jamais vue grâce à des personnes qui ont une autre culture et une autre ouverture sur le monde. »
Il faut peut-être rappeler en quelques mots l’histoire de Weldi, dont le titre français est Mon cher enfant. « Weldi » veut dire « mon fils » c’est bien cela ?
« ‘Weldi’ c’est ‘mon fils’ en arabe, et comme dans le premier film le titre en tunisien marchait avec un double sens, on a voulu là encore faire une sorte de jeu de mots. Tout le long du film, le père formule ce mot quand il est en contact avec des jeunes, que ce soit le douanier, les copains de son fils ou même l’infirmière. En tunisien, on a une formule qui dit ‘S’il te plaît, mon fils’ : c’est très commun et familier. Donc ça devient comme une étiquette d’un éventuel autre jeune homme que son fils. Tous les rôles secondaires sont joués par des jeunes, c’était voulu parce que quand il les appelle ‘weldi’, c’est pour souligner la probabilité de cette situation qui peut arriver à n’importe qui. Malheureusement, ce sens échappe dans la traduction et donc le titre devient ‘Mon cher enfant’, quelque chose de plus rassurant. »Donc ce titre français relève plus de l’interprétation…
« C’est une interprétation qui reste un peu premier degré et qui accentue seulement la relation père-fils. »
Revenons donc sur l’histoire du film : il s’agit d’un adolescent qui va passer le bac, qui a des problèmes de migraine, et qui disparaît. Avant même de parler de Daesh, ce film est avant tout la confrontation de parents à la disparition d’un enfant…
« Oui, puisqu’il pourrait s’agir d’une secte ou de beaucoup d’autres choses. On vit dans cette actualité qui a un rapport avec le sujet du film, ce qu’on découvre au fur et à mesure de l’histoire. C’est une disparition, incompréhensible pour les spectateurs comme pour les parents. Nous n’avons pas voulu souligner des raisons évidentes à ce départ parce qu’il n’y en a pas qu’une, c’est très complexe de parler un profil type. C’est aussi difficile de dire qu’il fallait voir les premiers signes, comme le fait de se laisser pousser la barbe, de faire la prière ou d’apparaître complètement endoctriné, alors qu’on sait qu’il n’y a pas de schéma classique. C’est pour ces raisons qu’on a est resté dans la première partie du film sur quelque chose de plus confus. »
Ce film a été coproduit par les frères Dardenne, qui sont connus pour leurs films à thématique sociale. Sentez-vous une filiation avec leur cinéma ?
« Je suis un cinéphile avant d’être un cinéaste donc j’adore ce qu’ils font. Je n’arrive pas vraiment à mettre des mots sur cette filiation, je ne sais pas si ç’en est vraiment une. Tout ce que je sais c’est qu’ils font partie des réalisateurs que j’aime bien suivre comme spectateur et donc il doit y avoir un impact, même inconscient, sur mon travail. »Le film est coproduit par les frères Dardenne mais il a été avant tout produit en Tunisie. Comment un film voit-il le jour en Tunisie ? Est-ce difficile ? Vous avez dit que pour ce film vous aviez un budget un peu plus conséquent, comment cela se passe concrètement ?
« Concrètement il y a une aide du ministère de la Culture. Il y a un fond assez conséquent mais qui ne suffit jamais, sauf peut-être pour de très petits films avec un budget vraiment restreint. Mais généralement, il y a un recours à la co-production qui facilite bien les choses. Nous avons eu de la chance puisqu’avec les frères Dardenne et avec Nadim Cheikhrouha, qui est le coproducteur français, on garde une indépendance totale par rapport à l’écriture et au tournage. C’est un film 100% tunisien, les aides mises à part, et je crois que plus on souligne cette signature tunisienne, plus on a la chance de percer. Je crois beaucoup à la sincérité du propos : ne pas diriger le film vers quelque chose qui pourrait plaire à un tel public ou à un autre et rester fidèle à ce milieu dans lequel on a choisi de faire le film. Tous les partenaires ont dû respecter ce deal, et il y en a eu quelques-uns puisqu’il y a eu Arte, qui nous a rejoints avant le tournage, mais aussi les mêmes partenaires que pour le premier film, qui étaient présents dès le tout début, comme le vendeur Luxbox pour l’international et le distributeur français Bac Films. »
Les gens sont-ils cinéphiles en Tunisie et que vont-ils voir au cinéma ?
« Il y a le piratage avant de parler de cinéphilie malheureusement, tous les films récents sont abordables à cinquante centimes. Les jeunes regardent beaucoup de films mais sans pour autant aller beaucoup au cinéma. C’est une tendance internationale je pense, qui est très présente chez nous puisque le piratage y est plus important que dans d’autres pays. Par rapport aux années précédentes il y a quand même un regain d’intérêt pour le cinéma. Il y a quelques années, on a dû fermer des salles, qui ont été rénovées pour devenir des salles des fêtes ou des cafés, mais maintenant c’est l’inverse qui se produit et les investisseurs sont encouragés par l’engouement du public tunisien pour les films tunisiens. Contrairement aux autres films internationaux et étrangers, les films tunisiens ne sont pas accessibles facilement, donc à chaque sortie d’un film tunisien, les gens se ruent dans les salles parce qu’ils savent qu’ils n’auront pas d’autre choix que de le voir là-bas. C’est ce qui permet la survie, et l’amélioration de la situation du cinéma en Tunisie. »
Que s’est-il passé pour qu’il y ait tout-à-coup ce regain d’amour pour le cinéma tunisien ?
« C’est toute une chaîne. A la base, il y a peut-être de meilleurs scénarios, une certaine sincérité, quelque chose qui a accompagné la révolution, et des jeunes qui ont voulu raconter des histoires d’une façon un peu plus âpre, parfois plus sincère, sans détours. C’est ce qui suscite l’engouement des partenaires, donc il y a eu quelques coproductions. A partir de là il y a eu de meilleurs films, qui ont été primés dans des festivals comme ceux de Venise, Cannes et Berlin. C’est ainsi que le public a continué à avoir cet intérêt pour notre cinéma. Maintenant ce que le public réclame, et c’est tout à fait légitime, c’est un peu plus de diversité : des comédies, des films de genre… Généralement le cinéma tunisien se cantonne toujours à un cinéma d’auteur, qui pour le moment trouve toujours son public, mais je ne pense pas que cela puisse durer longtemps s’il n’y a pas une véritable diversité à côté. »Quels changements le Printemps arabe en Tunisie a-t-il apporté pour les artistes ? Ont-ils eu plus de liberté d’expression ou de financements par exemple, ou la révolution a-t-elle justement ôté des possibilités aux artistes ?
« Je ne sais pas si des possibilités leur ont été ôtées. Ce qui est indéniable c’est que nous bénéficions d’une liberté d’expression quasi-totale. Je ne sais même pas pourquoi je dis ‘quasi-totale’ parce qu’on peut parler de tout. Même si parfois il y a des divergences dans les idées, le débat est là. C’est quelque chose de très important. Au niveau des investissements, je pense que la différence n’est pas énorme. Sur le plan économique, rien n’a vraiment changé depuis la révolution, ça a même peut-être empiré. C’est toujours très aléatoire mais peut-être que, petit à petit, la situation va s’améliorer. »