A proximité du Château de Prague, deux brasseries d’abbaye
A compter de cette semaine, et jusqu’au début du mois de juillet, Radio Prague vous propose une série consacrée à quelques-unes des plus illustres brasseries pragoises. Notre première visite vous fait découvrir deux des rares brasseries d’abbaye existantes en République tchèque : les microbrasseries des monastères de Břevnov et de Strahov.
Quatre arrêts de tramway, sur la ligne 22, séparent deux des plus beaux monastères que compte Prague - Břevnovský klášter et Strahovský klášter. Deux monastères dans l’enceinte desquels sont exploitées, depuis quelques années, deux petites brasseries. Deux brasseries qui se disent d’abbaye mais qui en réalité ne le sont pas tout à fait, comme le précise Petr Janík, un des copropriétaires de la Brasserie Saint-Vojtěch de Břevnov :
« En République tchèque, il n’existe qu’une seule véritable brasserie d’abbaye dans le sens traditionnel du terme. Elle se trouve à Želiv (à une centaine de kilomètres au sud-est de Prague). C’est l’unique brasserie qui appartienne à un monastère. Les propriétaires des deux autres brasseries dites d’abbaye, à savoir la nôtre ici à Břevnov et la seconde à Strahov, ne sont que locataires. Pour autant, les deux brasseries respectent une certaine tradition, car autrefois de très nombreux monastères avaient leur propre brasserie. Au Moyen-âge, la bière faisait partie de l’alimentation, ce n’était pas une boisson alcoolisée. Les gens produisaient leur bière eux-mêmes. Mais parce qu’il y avait à l’époque généralement beaucoup de monde dans les monastères, avoir une brasserie sur place était souvent une nécessité. Ce n’est qu’ensuite que l’activité est devenue aussi une source de revenus. »
Situé dans le quartier éponyme du VIe arrondissement de Prague, le monastère de Břevnov est le plus ancien ensemble monastique de Bohême consacré aux hommes. Fondé en 993 par le prince Boleslav II de Bohême et saint Adalbert de Prague (Vojtěch en tchèque), le monastère à l’histoire mouvementée et son église constituent aujourd’hui un des joyaux de l’art baroque dans les Pays tchèques. Et c’est dans une des ailes de l’édifice, dans l’ancienne écurie, qu’est installée une brasserie certes très moderne dont Petr Janík explique pourquoi elle est là, à Strahov, bien à sa place :
« Selon les archives dont nous disposons, Břevnov a été le premier monastère en Bohême à disposer de sa propre brasserie dès le tournant des Xe et XIe siècles. On ne connait cependant pas exactement son emplacement original, car le monastère a été très endommagé durant les guerres hussites au XVe siècle. Une deuxième brasserie a donc été construite à côté de l’étang, mais il n’en reste plus rien non plus aujourd’hui. Ce qui reste en revanche, c’est la tradition, et c’est elle qui nous a motivés. Nous sommes plusieurs copropriétaires et possédons une société spécialisée dans les technologies de la brasserie. Et comme nous sommes tous d’anciens étudiants de l’Institut de recherche de brasserie et de malterie, cette tradition, en plus de l’endroit qui est magnifique, nous a séduits. »
C’est ainsi que, un millénaire plus tard, en 2011, une nouvelle microbrasserie d’une capacité de 3 000 hectolitres a donc été rouverte dans les murs du monastère de Břevnov. Depuis, différents types de bière commercialisés sous la marque Břevnovský Benedikt y sont produits, depuis la lager classique de fermentation basse jusqu’à une stout de froment qui était en cours de brassage lors de notre passage, en passant par une bock plus allemande ou encore une IPA (India Pale Ale) très appréciée des Tchèques ces dernières années.
Parmi les consommateurs de cette Saint Benoît de Břevnov figurent bien entendu les moines de l’abbaye. Le restaurant voisin, qui n’appartient cependant ni à la brasserie, ni au monastère, en propose également. Pour tous les autres amateurs, acheter de la bière, en fûts comme en bouteilles, est possible directement sur place dans le magasin qui se trouve dans les murs mêmes de la brasserie ouverte au public. Et Petr Janík le précise bien : il ne faut surtout pas avoir peur d’entrer :
« Les gens ont appris à venir acheter leur bière ici. Le quartier de Břevnov fonctionne un peu à la manière d’un village. Ses habitants savent bien que le centre de vie se trouve ici au monastère. C’est important pour nous aussi. Par exemple, au moment de la récolte du houblon, nous installons une houblonnière dans la cour devant la brasserie et invitons les gens à venir avec leurs enfants cueillir les cônes eux-mêmes. Nous faisons du feu, mangeons des saucisses, et tout le monde est heureux. Je me souviens même d’un professeur d’université français qui était de passage au monastère pour des recherches à la bibliothèque et qui avait passé toute la soirée en notre compagnie. Plus il buvait, plus cela avait l’air de lui plaire… »
A Strahov chez saint Norbert
Quelques arrêts de tramway plus loin, à Malovanka ou Pohořelec, se trouve un autre monastère remarquable, bien mieux connu des touristes du monde entier, notamment pour sa célèbre bibliothèque baroque. Juste en face de l’entrée de celle-ci et de l’église Notre-Dame de l’Assomption se trouve la brasserie de Strahov.
A la différence de Břevnov, la brasserie possède ici un restaurant ouvert tous les jours midi comme soir. Bière brune saint Norbert sur la table, son manager Marek Kocvera nous a accueillis :
« Pour le consommateur tchèque, peu importe, je pense, qu’il s’agisse d’une brasserie d’abbaye. Ce qui est plus important en revanche, au-delà même d’une tradition qui appartient à l’histoire de notre pays, c’est le rôle que les monastères ont joué dans l’évolution du brassage de la bière. C’est dans les monastères que se concentrait le savoir au Moyen-âge. Il suffit de visiter la bibliothèque ici en face de nous pour s’en faire une petite idée… Naturellement, les moines se transmettaient leurs connaissances en matière de brassage également. C’était une nécessité dans la mesure où les monastères étaient des unités complétement indépendantes. Ils produisaient eux-mêmes ce qu’ils mangeaient et buvaient. Les moines ont ainsi été parmi les premiers à cultiver du houblon. Mais pour le reste, pour des raisons historiques, les brasseries d’abbaye en République tchèque n’ont pas la réputation qu’elles ont en Belgique ou en France par exemple. »
L’histoire de la brasserie de Strahov, dont l’ouverture dans sa version actuelle remontre à 2001, est intimement liée à celle monastère, fondé en 1140 par Vladislav II et l’ordre des Prémontrés. De tout temps ou presque, l’exploitation d’une brasserie a permis aux moines de satisfaire leurs besoins en bière, tout en constituant une source de revenus.
Comme à Břevnov, ici aussi la bière aujourd’hui vendue porte le nom d’un saint. Norbert, dont la dépouille a été transférée dans l’église Notre-Dame de l’Assomption, a été le fondateur de l’ordre des chanoines de Prémonjanik petr tré, d’ailleurs aussi parfois appelés Norbertins. Mais pour ce qui est de la production actuelle en tant que telle, c’est bien là le seul point commun avec l’histoire :
« Nous brassons des bières très classiques comme des bières plus modernes. Nous produisons environ 1 600 hectolitres par an, nous pouvons donc nous permettre d’expérimenter. Mais nous ne produisons pas selon une recette que nous aurions retrouvée dans le grenier ou dans un vieux livre poussiéreux. Il n’y a rien de très romantique là-dedans. De toute façon, produire de la bière selon les méthodes médiévales serait très compliqué aujourd’hui. Surtout, cela ne serait pas très bon. Les bières que nous buvons aujourd’hui n’ont plus grand-chose en commun avec celles d’autrefois. Les recettes les plus anciennes dont nous nous inspirons datent du début du XIXe siècle. Mais il nous faut encore les adapter pour qu’elles répondent aux goûts du jour. »
Outre deux lagers brune et ambrée et une IPA elle aussi ambrée, trois bières qui figurent à la carte toute l’année durant, la brasserie de Strahov propose à ses clients, parmi lesquels de très nombreux touristes inspirés par la visite de la bibliothèque, différentes bières spéciales selon les saisons et les principales fêtes qui figurent au calendrier – carnaval, Pâques, Noël et même une brune forte antidépressive à l’automne. Le tout pour arroser des plats eux aussi très variés, parmi lesquels certaines spécialités locales comme des coupes de glace à la bière… Dieu seul sait si saint Norbert ne s’en retournerait pas dans sa tombe s’il savait ça.
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