Démission du gouvernement : « On est dans une situation très atypique »
Allant jusqu’à surprendre dans son propre camp social-démocrate, le premier ministre Bohuslav Sobotka a annoncé mardi qu’il remettrait avant la fin de la semaine sa démission, et donc celle de son gouvernement, au chef de l’Etat. Comment comprendre cette décision, prise dans le contexte de sa rivalité avec le ministre des Finances Andrej Babiš (ANO) et les législatives à venir, qui ouvre une relative période d’incertitude politique ? C’est ce que nous avons tenté de déterminer en appelant le politologue Michel Perrottino.
Le ministre des Finances et hommes d’affaires Andrej Babiš est mis en cause dans plusieurs affaires. Il a racheté des titres de dette de son groupe Agrofert et on le soupçonne dans ce cadre de fraude fiscale. Il est aussi touché par l’affaire de la ferme dite « du nid de cigogne ». Ce sont des affaires assez complexes. Mettent-elles réellement Andrej Babiš en difficultés ou est-ce une stratégie politique poursuivie par M. Sobotka contre son rival ?
« Premier constat : ce sont des affaires effectivement très compliquées et cela pose un réel problème sur le fonctionnement de la démocratie tchèque. On sait depuis le début qu’Andrej Babiš a plusieurs conflits d’intérêts. Effectivement, c’est tellement compliqué, tellement technique que la plupart des électeurs notamment ne comprennent pas vraiment de quoi il s’agit et sans doute, vu de très loin, pour eux ce ne sont que des attaques personnelles qui vont à l’encontre de leur champion contre la corruption, contre la classe politique, etc. De ce point de vue, que ce soit Sobotka, que ce soit la social-démocratie, que ce soit de fait tous les partis, notamment d’opposition, ils sont en fait contraints de trouver des solutions quelque peu atypiques.Ce qu’il faut relever aussi avec beaucoup de force, c’est que Babiš dispose d’une équipe de communicants particulièrement efficaces, et que jusqu’à présent toutes les attaques, souvent très fondées, ont été retournées à son profit. »
Cela fait quelques semaines que la crise a pris de l’ampleur entre la social-démocratie et le mouvement ANO de M. Babiš. Comment s’explique la rivalité entre ces deux partis. Est-ce essentiellement lié aux législatives qui approchent ?
« Les législatives, ce sont le principal contexte qui explique ce conflit larvé déjà plusieurs mois. Plus on s’approche des élections, plus on s’aperçoit dans les sondages que la social-démocratie stagne, voire baisse, que Babiš reste relativement à un niveau élevé et que quoi qu’il se produise, on obtient toujours le même résultat. Il y a un paradoxe quand on regarde les résultats du gouvernement qui s’avèrent être relativement bons. Le bilan est relativement positif, voire très positif, notamment comparé aux gouvernements antérieurs. Le paradoxe, c’est qu’on a un gouvernement de coalition dans lequel, parmi les trois partis qui le composent, il y en a un qui tire le mieux son épingle du jeu et ce n’est pas forcément celui qui porte nécessairement la plus grande responsabilité dans cette réussite. »Au-delà de cette rivalité électorale, y a-t-il de vraies différences programmatiques entre la social-démocratie et le mouvement ANO ?
« Je serais un peu enclin à dire oui et non. Oui parce que tout d’abord la social-démocratie a un programme qui est relativement clair depuis relativement longtemps. Babiš, ou ANO, a fait campagne sur des thèmes qui portaient plutôt vers l’électorat de droite. Je pense qu’en 2013, il a énormément bénéficié du report des voix de l’ODS. Depuis, la situation a quelque peu changé et ANO 2011 a commencé à essayer de récupérer des voix plus à gauche. Donc il y a une évolution de ce point de vue. Cela renforce évidemment la concurrence des deux grands partis de la coalition gouvernementale. »
Quel rôle peut désormais jouer le chef de l’Etat Miloš Zeman ?
« Là aussi, c’est un petit peu une inconnue. A priori, je dirais qu’il a un rôle très important, puisque cela va être à lui, une fois que Sobotka va officiellement démissionner, d’apporter une solution à cette situation. Il aura entre ses mains la capacité de choisir entre plusieurs possibilités, que ce soit la continuité de ce gouvernement qui va continuer à fonctionner en démission, ou bien un gouvernement nouveau, éventuellement un gouvernement de techniciens comme il l’a fait avec le précédent gouvernement Rusnok, ou encore il y a aussi la possibilité de provoquer des élections anticipées, même si ce n’est pas tellement dans les compétences de Zeman.D’un autre côté, il faut aussi voir que Zeman est déjà également en campagne, avec la présidentielle de l’année prochaine. Donc il lui faut aussi un peu ménager la chèvre et le chou. Ni la social-démocratie, ni ANO n’ont pour l’instant réellement désigné un candidat, un contre-candidat, ou annoncé qu’ils ne présenteraient pas de candidat. Donc Zeman a un rôle constitutionnel relativement important à jouer. Mais il a aussi à ménager notamment la social-démocratie. »
Vous faites finalement un peu le constat d’une période d’incertitude qui s’ouvrirait ?
« Effectivement, on est dans une situation très atypique, parce qu’on est à quelques mois des élections législatives. Les dates des élections ont déjà été annoncées (20 et 21 octobre, ndlr). Donc tout le monde a commencé à travailler dans cette perspective et effectivement la situation a énormément changé. Et en même temps, comme on a la trêve estivale, cela complique encore plus la situation. »