Le morave, langue ou simple dialecte?
Salut à tous les tchécophiles et « moravophiles » de Radio Prague ! Qu’il s’agisse du provençal, du basque, du breton, du corse, de l’alsacien ou encore du picard, les langues régionales sont relativement nombreuses en France, et restent plus ou moins pratiquées. En République tchèque, taille moindre du pays entre autres raisons oblige, la situation est différente. Même si on y trouve aussi bien entendu des dialectes et patois - nářečí, il n’y existe pas d’autre langue à proprement parler que le tchèque - saut peut-être une : le morave – moravština. Mais il convient alors bien d’insister sur le « peut-être »…
Cette question, aujourd’hui, ne se pose plus. Les Moraves, au même titre que les habitants de la Bohême, sont des Tchèques. Et en tant que tels parlent donc tchèque… Néanmoins, si l’on prend le cas concret des Slovaques de Moravie, leurs natifs parlent un dialecte morave certes issu du tchèque, mais aussi de dialectes spécifiques influencés par les voisins slovaques, d'où d’ailleurs le nom de la région – « Slovaquie morave » - Slovácko, aussi autrefois appelée en tchèque « Moravské Slovensko». Historiquement y vivaient également un nombre significatif de locuteurs allemands qui ont alors beaucoup influencé ces dialectes, et donc ce que l’on pourrait appeler le « morave de Slovaquie ».
Grosso modo, on distingue quatre grands groupes de dialectes sur ce qui est considéré comme le territoire historique des Pays tchèques, à savoir les trois grandes régions qui forment le pays désormais appelé République tchèque. Ces trois grandes régions sont donc la Bohême, la Moravie et la Silésie, du moins sa partie tchèque. Quant aux groupes de dialectes, citons donc le groupe de la Bohême – česká skupina, le groupe de la Moravie centrale – středomoravská skupina, le groupe de la Moravie de l’Est – východomoravská skupina, et enfin le groupe de la Silésie – slezská skupina. Deux de ces groupes, celui de la Bohême d’abord, qui représente pratiquement toute la moitié ouest du pays à l’exception des régions frontalières, et celui de la Silésie, se divisent encore en différents sous-groupes. Cette division est sans doute la plus intéressante en Silésie, dans l’extrême Est du pays, aux alentours de la ville d’Ostrava, avec le sous-groupe moravo-silésien – moravoslezská podskupina, et surtout le sous-groupe polono-silésien – polskoslezská podskupina, pour la partie de la Silésie tchèque limitrophe à la Pologne.Le morave, langue maternelle pour les recensements
Pour ce qui est du morave ou de la langue morave en tant que telle, cette désignation prend son sens essentiellement dans le fait qu’elle se distingue de la forme de la langue utilisée en Bohême. S’il existe bien une isoglosse, c’est-à-dire une ligne imaginaire séparant deux aires dialectales, et donc des différences plus ou moins marquées de lexique, il s’agit en revanche toujours d’une seule et même langue, comme le confirme Jaroslav Krábek, président de la Communauté nationale morave (MNO), une association qui œuvre à la promotion de la culture, de l’histoire et des traditions moraves, et tend au développement de la conscience nationale morave :
« La question n’est pas de savoir si le morave est une langue littéraire ou administrative. Dans ce pays, il n’existe qu’une langue officielle, qui pour l’instant s’appelle le tchèque. C’est la langue qui est enseignée dans toutes les écoles du pays et c’est la langue de tous les Tchèques depuis plusieurs siècles. Néanmoins, en Moravie, la langue que les gens ont toujours parlée est appelée la langue morave – moravský jazyk, ou le morave – moravština. C’est une langue que l’on inscrivait déjà lors des recensements lorsque la Moravie dépendait de la monarchie autrichienne. Il en a été ainsi pendant de longues années jusqu’au XXe siècle environ. »Lors du dernier recensement de la population réalisé en République tchèque en 2011, près de 110 000 personnes avaient indiqué que le morave était leur langue maternelle. Sur ce total, un peu plus de la moitié avaient précisé que le morave était leur seule langue, tandis que les autres avaient répondu qu’ils considéraient tant le morave que le tchèque comme leur langue maternelle. Néanmoins, pour une immense majorité de Moraves, c’est bien le tchèque qui était leur langue maternelle. Et si l’on en croit Jaroslav Krábek, cela importe finalement assez peu, l’essentiel, selon lui, étant ailleurs :
« Nous considérons la possibilité d’inscrire le morave comme langue maternelle comme un geste de bonne volonté de l’Office tchèque des statistiques. Nous ne prétendons pas que le morave est une autre langue littéraire. Mais que quelqu’un puisse dire qu’il est de langue morave est un moyen de revendiquer démocratiquement son appartenance culturelle. Je comparerais notre situation à celle de la Bosnie où le bosnien est en fait du serbo-croate. »Sans entrer dans les détails, car cela deviendrait alors très compliqué, notons encore que les dialectes tchèques sont divisés en plusieurs groupes essentiellement selon les différences phonétiques qui existent entre eux. Pour le reste, les diverses variantes de dialectes reconnues en Bohême sont sans aucun doute plus homogènes qu’elles ne le sont en Moravie, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’existe qu’un seul groupe de dialectes pour la Bohême contre trois pour la Moravie - si l’on considère que la Silésie appartient à la Moravie du Nord.
Plus concrètement, s’il existe des différences entre la façon de parler d’un habitant de České Budějovice, en Bohême du Sud, et celle d’un habitant de Prague, en Bohême centrale, ou de Hradec Králové, en Bohême de l’Est, ces différences ne sont toutefois pas aussi marquées qu’elles le sont en Moravie, où un habitant de Brno, en Moravie du Sud, possède une façon de s’exprimer et même un vocabulaire très dissemblables de ceux d’un habitant d’Ostrava, en Moravie du Nord, et même d’Olomouc, en Moravie centrale. Et toutes ces différences entre les diverses parties de la Moravie, l’existence de ces nombreux dialectes, font qu’il est bien difficile de parler d’une langue morave, une forme de la langue tchèque dont se réclament certes certains Moraves mais qui ne possède pas suffisamment d’unité pour pouvoir exister indépendamment.
C’est sur ce constat selon lequel le tchèque possède un certain nombre de dialectes mais pas de langues régionales à proprement parler que se referme ce « Tchèque (ou morave) du bout de la langue ». En attendant de vous retrouver pour d’autres découvertes dès la semaine prochaine, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce (« slunko » en morave) v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !