L’histoire du plus célèbre des espions tchèques au cinéma
Il est probablement le plus célèbre des agents des services secrets tchécoslovaques du temps de la Guerre froide. Exilé en tant que réfugié politique aux Etats-Unis en 1965, Karel Köcher a infiltré la CIA pour devenir un des plus importants espions de Prague et de Moscou. Arrêté vingt ans plus tard et échangé à Berlin contre un dissident soviétique, Karel Köcher fait aujourd’hui l’objet d’un film documentaire intitulé « Rino – příběh špiona » - « Rino – l’histoire d’un espion », qui vient de sortir dans les salles tchèques.
Avant cela, en 2008, Karel Köcher, qui parle bien français, avait accordé une longue interview à Radio Prague, dans laquelle il avait d’abord expliqué pourquoi il avait rejoint les rangs des services secrets tchécoslovaques :
« Pour l’argent absolument pas. Les services tchécoslovaques se comportaient généreusement avec les agents étrangers mais on ne pouvait pas en dire autant de leurs propres agents, surtout avec les ‘illégaux’, les agents non protégés par l’immunité diplomatique. C’était même le contraire. Cela s’expliquait par le fait que l’argent dont l’origine n’était pas absolument transparente pouvait provoquer des soupçons, voire des conséquences catastrophiques pour l’agent illégal. Conformément à ce système, j’ai été envoyé en mission aux Etats-Unis, littéralement sans un seul dollar. A Prague ils m’ont dit : ‘A toi de te débrouiller une fois que tu seras clandestin’. Pour ce qui est de mes motifs, oui, je voulais m’en aller, pas seulement quitter la Tchécoslovaquie, mais m’en aller tout simplement. Le vaste monde m’attirait et le rideau de fer était... de fer. »
En 1984, Karel Köcher et son épouse Hana sont arrêtés à New York. Selon lui, l’homme qui l’a « balancé » aurait été l’ancien chef du KGB, le général Kalugin, devenu depuis citoyen américain et jugé par contumace à Moscou à quinze ans de prison pour trahison. En prison, Karel Köcher a alors l’idée de faire l’objet d’un échange entre Moscou et Washington entre son épouse et lui-même et l’un des dissidents russes les plus connus de l’époque, Anatoly Sharansky et son épouse. Le 11 février 1986, l’échange se réalise sur le pont de Glienicke à Berlin. Une scène digne d’un film de Hollywood, comme s’en souvient Karel Köcher :« C’est ce qu’on pourrait appeler un rendez-vous avec le destin... On pourrait en parler longtemps, mais il y a deux choses qui me viennent avant tout à l’esprit. Premièrement, c’est la brutalité avec laquelle les Américains se sont comportés avec moi. Jusqu’au dernier moment j’ai été menotté. La deuxième chose dont je me souviens, c’est Sharansky : je le revois s’approchant de l’autre côté. Les Russes lui avaient donné un costume neuf avec un pantalon trop long, retroussé, car Sharansky est plutôt petit... Ce matin-là, il neigeait beaucoup à Berlin. La police allemande avait dû balayer le pont pour que la ligne blanche du milieu soit visible. Cette ligne qui marquait la frontière entre deux mondes était vraiment une simple ligne sur l’asphalte. Mais Sharansky, en la rejoignant, a levé une jambe après l’autre, très haut et lentement, pour la franchir. Cela a été drôle et charmant à la fois. »
Bien des années plus tard, le personnage de Karel Köcher suscite toujours la controverse en République tchèque, beaucoup regrettant que l’on fasse un héros d’un homme qui a servi les intérêts du régime communiste. Surtout, comme cela est reproché dans ce nouveau film qui ne soulève que peu la question morale de son histoire et repose essentiellement sur le témoignage de Karel Köcher, jamais celui-ci n’a manifesté le moindre regret par rapport à une mission qu’il qualifiait lui-même « d’excitante » et de « défi de sa vie ».