Le Brésil – terre d’immigration tchèque au XIXe siècle

Rio de Janeiro, Brésil, env. 1867

Juscelino Kubitschek de Oliveira, président du Brésil de 1956 à 1961 et à l’origine de la création de la capitale actuelle du pays, Brasilia, avait, comme son patronyme le laisse à penser, une ascendance tchèque. Son arrière-grand-père, un homme répondant au nom de Jan Nepomuk Kubíček, est en effet l’un de ces dizaines de milliers de Tchèques partis au XIXe siècle pour l’Amérique du Sud à la recherche d’une vie meilleure. A quelques jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, c’est un aperçu de cette émigration tchèque au Brésil que cette rubrique historique de Radio Prague vous propose de découvrir.

Rio de Janeiro,  Brésil,  env. 1867
Au XIXe siècle, des Tchèques ont pris les routes pour aller s’installer en Russie, en Roumanie et en Ukraine. D’autres sont allés plus loin, ne craignant pas de prendre la mer pour aller creuser leur nid aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie, ou même en Amérique du Sud. Et certains des descendants de ces émigrés se rappellent de temps à autre à notre bon souvenir. La crise ukrainienne a par exemple permis de mettre en lumière l’histoire des Tchèques de Volhynie et, quelques années plus tôt, l’explosion d’une usine d’engrais au Texas, dans une commune habitée majoritairement par des Etats-uniens d’origine tchèque, avait relancé l’intérêt pour cette communauté des « Tchèco-Américains » et pour leur histoire. Celle des Tchèques ayant choisi l’hémisphère sud et le Brésil reste relativement méconnue.

Petr Polakovič, qui a commencé à s’intéresser au sujet à l’occasion de recherches familiales, estime qu’il s’agit là d’une véritable injustice. Injustice qui l’a poussé au début de cette décennie à ouvrir le musée de l’émigration brésilienne à Náhlov, une petite commune de la région de Liberec d’où provenaient un grand nombre des candidats au départ vers le Brésil. Petr Polakovič expliquait pour la Radio tchèque :

Petr Polakovič,  photo: Martina Schneibergová
« A une certaine époque, l’immigration vers le Brésil est une immigration qui peut être comparable à celle vers les Etats-Unis. Les offres d’accueil dans ces deux pays étaient sans doute à un niveau comparable et les gens devaient choisir. Mais l’immigration vers le Brésil reste un sujet méconnu. Cela reste dans l’ombre de l’immigration vers les Etats-Unis, qui est connue, qui fait l’objet d’une certaine attention. On sait que les émigrés tchèques se sont installés au Texas et dans l’Iowa, qu’ils ont fondé des villes avec des noms comme Prague au Nebraska, etc. En revanche, on ne sait pas grand-chose sur le Brésil. L’objectif de notre musée est d’ouvrir ce thème. »

Un thème pourtant vaste puisque Petr Polakovič considère qu’au moins 80 000 Tchèques ont émigré vers le Brésil au XIXe siècle. Et il s’agirait d’une estimation basse. L’immigration européenne, qu’il faut distinguer du processus de colonisation portugaise du Brésil, débute peu ou prou au moment de l’indépendance du pays en 1822. Les autorités du nouvelle Etat sont alors désireuses en particulier de densifier la région sud de leur contrée, qu’elles estiment trop peu peuplée et vulnérable aux attaques potentielles de l’Argentine ou des indiens Kaingang. Petr Polakovič raconte :

Photo: Martina Schneibergová
« Au début du XIXe siècle, l’archiduchesse d’Autriche Marie-Léopoldine, la fille de l’empereur François, a épousé l’héritier du trône portugais, le prince Pierre, et on a commencé à s’intéresser à la possibilité de faire venir des ressortissants européens pour venir s’installer dans les zones non-habitées du pays. Quand en 1822 le Brésil a proclamé son indépendance, s’est séparé du Portugal et a formé sa propre monarchie, c’est là qu’on a véritablement commencé à recruter, à attirer ces immigrants. A l’époque, ils avaient le choix entre prendre la route des Etats-Unis démocratiques ou bien aller au Brésil. »

Il faut une sacrée dose de courage pour se décider à partir. Car le voyage est long et périlleux. Depuis les pays tchèques, il faut rejoindre un port, généralement celui d’Hambourg, pour prendre un premier bateau vers Lisbonne. Il s’agit ensuite de traverser l’Atlantique pour Rio de Janeiro qui n’est généralement pas la destination finale du nouvel arrivant.

Les raisons au départ sont multiples, qu’il s’agisse de fuir des persécutions politiques ou religieuses ou bien peut-être pour certains d’assouvir un goût prononcé pour l’aventure. Elles sont souvent prioritairement d’ordre économique. L’émigration, mesurée dans la première partie du XIXe siècle, va s’intensifier par la suite, et significativement après les révolutions européennes aux résultats mitigés de 1848. Le parlement autrichien, réunis à Kroměříž en Moravie, abolit le 7 septembre de cette fameuse année les dernières manifestations du droit féodal dans l’empire, et notamment la corvée, sous réserve d’indemnisations pour les propriétaires. La mobilité sociale n’en reste pas moins très limitée et l’accès à la propriété réservée aux agriculteurs riches, à la noblesse et à l’Eglise. De nombreux habitants de l’espace autrichien vont choisir de partir, un mouvement que décrit Petr Polakovič :

Photo: Martina Schneibergová
« Vers 1870, quand on trouve le plus de bateaux avec à bord des Tchèques partant pour le Brésil, nous sommes dans une période de crise relative dans l’industrie du verre ou dans l’industrie du textile. Dans le même temps, la surface des terres agricoles était insuffisante et tout un coup il y avait cette offre selon laquelle on pouvait recevoir de 30 à 50 hectares de sols au Brésil et devenir des paysans. Dans les pays tchèques, les familles étaient trop nombreuses. Le fils le plus âgé recevait la plus grande partie de l’héritage, la maison et ses dépendances, et pour les autres il n’y avait plus rien. Ils avaient donc la possibilité d’aller travailler à l’usine où les conditions n’étaient pas idéales, ils ne pouvaient rien créer tout seul, donc certains ont fait le choix du Brésil. »

Ainsi, dès les années 1860, jusqu’à 20 000 personnes originaires des pays tchèques quittent chaque année leur terre natale pour aller chercher un sort meilleur dans d’autres contrées. Des entreprises de navigation travaillent à attirer le chaland avec des promesses qui dépassent certainement souvent la réalité. La Prusse décide par exemple d’interdire en 1859 l’émigration vers le Brésil au prétexte des nombreuses plaintes d’immigrés germaniques qui se disent exploités dans les plantations brésiliennes.

Le Brésil mène toutefois une politique active pour décider les Européens à venir peupler son territoire, une politique qui a l’appui de l’empereur du Brésil, Pierre II, le fils de Marie-Léopoldine. Sous son règne, le pays connaît une vague importante de modernisation. A partir de 1850, l’esclavage décline progressivement, même s’il ne sera aboli qu’en 1888. Son recul s’accompagne d’un besoin accru en main d’œuvre, particulièrement dans le domaine des plantations de café.

Petrópolis en 1855
Tous les immigrants tchèques ne sont peut-être pas pour autant destinés à travailler aux champs. C’est ce que laisse à penser la création en 1853 dans la ville de Petrópolis, non loin de Rio de Janeiro, de la brasserie Bohemia. Mais rien ne permet d’affirmer que son fondateur était d’origine tchèque. Tout au plus lit-on ici au là qu’il s’agissait d’un Allemand des Sudètes. C’est une hypothèse qui pourrait être recevable si l’on se base sur la provenance de ces immigrants venus des pays tchèques. Petr Polakovič :

« La plupart étaient des Tchèques allemands. Ils venaient des régions frontalières. La plupart du temps dans les archives relatives à l’immigration, ils portent des noms allemands. Sur leur passeport, on trouve l’inscription ‘Böhmen’, quand tout est en ordre. Mais quand ils ne disposent pas de passeports, leur pays d’origine sur les documents d’immigration au Brésil est par exemple mentionné comme étant ‘Austria’. »

Petr Polakovič estime que les deux tiers des immigrants venus de Bohême et de Moravie étaient des Allemands. Ils provenaient le plus souvent de la région de Liberec ou bien du massif de la Šumava. Quant aux arrivants tchèques, ils ont souvent accompagné leurs camarades de fortune allemands, en allant peupler les mêmes territoires où ils se trouvaient en minorité. La langue tchèque s’est donc rapidement perdue, au profit de l’allemand dans une moindre mesure, mais surtout évidement du portugais.

Batatuba au Brésil
Plus tard, au XXe siècle, la Tchécoslovaquie voit également nombre de ses ressortissants prendre le chemin du Brésil. Le mouvement le plus important est peut-être celui lancé par Jan Antonín Baťa, le demi-frère de Tomáš Baťa. Au Brésil, où il s’installe avec sa famille dans les années 1940 pour fuir les nazis, il fonde toute une série de villes sur le modèle de la cité industrieuse de Zlín.