Václav Hrabě, poète voué à l’éternelle jeunesse

Václav Hrabě, photo: Repro Blues pro bláznivou holku

75 ans se sont écoulés depuis la naissance et 50 ans depuis la mort de Václav Hrabě, un homme qui n’a pas eu le temps de vivre et de créer et qui est pourtant devenu le poète tchèque le plus populaire de sa génération. Disparu avant de parvenir à l’âge mûr, il a le privilège de rester éternellement jeune et d’incarner pour nous les désirs, les désarrois et les vertiges de la jeunesse.

Un amoureux du jazz

Václav Hrabě,  photo: Repro Blues pro bláznivou holku
Václav Hrabě aimait le jazz. Il jouait du violon, de la clarinette et du saxophone, se produisait dans des ensembles étudiants dans des clubs pragois et adorait Louis Armstrong. C’est dans son amour du jazz que prenait source aussi sa poésie et c’est sans doute aussi une des raisons pour lesquelles ses poèmes ont été si souvent mis en musique.

Václav Hrabě est le fils d’un cheminot. Né en 1940, il passe son enfance dans le village de Lochovice à cinquante kilomètres de Prague, puis il s’inscrit dans le lycée de Hořovice, la ville la plus proche, où il obtient son baccalauréat. Entre 1957 et 1961, il étudie à l’Ecole supérieure de pédagogie à Prague la langue tchèque et l’histoire. Après son service militaire, il revient dans la capitale pour devenir successivement ouvrier, bibliothécaire, éducateur, lecteur dans une revue littéraire, éclairagiste d’un café-théâtre et finalement instituteur d’une école primaire. Simultanément, il se lance dans la vie artistique et devient un personnage connu de la Prague nocturne. Familier des clubs de jazz où il joue souvent avec d’autres instrumentistes de son âge, il fréquente musiciens, hommes de théâtre, étudiants et hommes de lettres. Cette vie riche en rencontres et en événements devient pour lui aussi une abondante source d’inspiration pour sa poésie.

Un beatnik tchèque

En évoquant dans ses vers les événements de sa vie, Václav Hrabě réussit à exprimer les sentiments et les tendances des jeunes de son temps. Sa poésie est créée presque simultanément avec celle de la Beat Generation aux Etats-Unis et il sera donc considéré comme un acolyte tchèque d’Alain Ginsberg et de Jack Kerouac. Jiří Žák, auteur de sa biographie, estime cependant que Václav Hrabě est resté un artiste original qui a su garder le caractère tchèque de sa poésie :

« Sans aucun doute Václav Hrabě faisait partie de ce qu’on appelle dans le milieu culturel tchèque ‘la poésie du quotidien’. Cela était évidemment influencé par la génération des beatniks qui faisaient leur entrée aussi sur notre scène littéraire. Mais tout cela avait quand même un caractère tchèque. Václav lui-même disait qu’en Amérique, il n’y a que des angles droits, ce qui n’est pas transmissible chez nous. En Amérique, toutes les rues sont droites, tous les angles sont droits et chez nous les formes sont courbes et il y a des rues tortueuses. La Tchéquie est donc bien différente quant à la perception de la poésie. »

Photo: panton
Dans les vers libres de Václav Hrabě se reflètent les événements de sa vie intime, ses amours, ses moments de bonheurs et ses amitiés, mais aussi la fin de l’amour et la rupture, le désenchantement, les aléas du service militaire. Le poète ne partage pas une grande partie des valeurs de la société dans laquelle il vit, il se situe aux antipodes de la morale petite-bourgeoise et cherche à s’en délivrer par la sincérité et la franchise provocatrice de ses confessions littéraires. Il partage les sympathies, les tendances et aussi les illusions de sa génération qui vont aboutir en 1968 au mouvement de libération entré dans l’histoire sous la dénomination de « Printemps de Prague ». Il aime les ouvriers, il sympathise avec Fidel Castro, il croit en l’avenir du socialisme. Il se marie en 1962 et, au cours de la même année, sa femme lui donne un fils. Cependant, son bonheur conjugal ne fait pas long feu et il divorce en 1964. Il ne sait pas qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre. En 1965, il rencontre encore à Prague le roi scandaleux de la Beat génération Allen Ginsberg et fait une interview avec lui, et il attend aussi avec impatience la prochaine visite à Prague de Louis Armstrong à qui il voue un véritable culte. Le 5 mars 1965, Václav Hrabě ne se réveille pas. Pendant la nuit, son radiateur à gaz est tombé en panne et le jeune homme est mort intoxiqué par l’oxyde de carbone. C’est un choc pour ceux qui le connaissaient et qui l’aimaient mais aussi le début de sa gloire posthume. Le connaisseur, propagateur et éditeur de son œuvre Miroslav Kovářík se souvient :

« Quand Václav Hrabě est mort en mars 1965, donc il y a un demi-siècle, un étudiant de la ville de Liberec, m’a apporté des copies de ses œuvres. Ce n’étaient que des copies car les manuscrits étaient très bien cachés chez une jeune fille, qui beaucoup plus tard, vingt ans après la mort de Václav, a fait don de tous ces poèmes au fils de leur auteur, Jan Miškovský. Celui-ci s’est adressé à moi et nous avons reconstitué donc dans leur ensemble toutes les œuvres poétiques de Václav Hrabě. Et nous sommes tous tombées amoureux de cette poésie. »

Le chantre de sa génération

Miroslav Kovářík,  photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo
Pour Miroslav Kovářík, Václav Hrabě est une incarnation de l’atmosphère de la Prague des années 1960. A son avis, le poète a réussi à capter et évoquer d’une façon saisissante les nombreux aspects de cette atmosphère. Sa poésie reflète cependant aussi l’histoire de sa vie, sa rencontre avec sa future femme Olga, ses voyages, ses moments intimes. Václav Hrabě est donc pour lui le poète de son temps mais aussi un artiste avec une dimension universelle et dont le rayonnement dépasse les limites de sa génération. Le poète parti à l’âge de 25 ans n’a pas eu le temps pour mûrir, pour évoluer et, selon Miroslav Kovářík, c’est une explication de l’intensité de sa poésie. « La vie des jeunes poètes promis à une fin prématurée est très concentrée, » dit-il en comparant Václav Hrabě à Jiří Orten et à Karel Hynek Mácha, deux autres grands auteurs tchèques partis prématurément :

« J’ai été très impressionné par sa poésie. C’est un peu bête, mais je me suis dit en lisant ses poèmes : ‘C’est ainsi que je l’écrirais moi-même.’ C’est évidemment une effronterie, mais cette poésie est entrée en moi, elle s’est lovée en moi, et depuis ce temps-là elle est avec moi. Ainsi aujourd’hui encore je récite les poèmes de Václav Hrabě et maintenant, puisqu’il s’agit de l’année du cinquantenaire de sa mort, nous donnons à Prague des soirées de sa poésie tous les mois. »

Homme de théâtre et animateur de la vie culturelle, Miroslav Kovářík a consacré une grande partie de sa vie et de ses activités à l’œuvre de Václav Hrabě. Editeur de son œuvre, il est aussi un interprète connu de sa poésie et auteur de plusieurs spectacles dans le cadre desquels il récite ses textes et les présente au public tchèque et slovaque. C’est à lui et à l’éditeur Jaromír Pelc que Václav Hrabě doit en grande partie sa popularité posthume. Poète quasi inconnu au moment de sa mort, il est devenu progressivement un personnage presque mythique. Même ceux qui ne lisent jamais de poésie connaissent aujourd’hui ses œuvres qui ont été mises en musique et sont interprétés par des chanteurs renommés. Octogénaire, Miroslav Kovářík n’entend pas renoncer à ses activités même un demi-siècle après la mort de son poète préféré :

'La fièvre',  photo: Labyrint
« En 1980, nous avons monté, à l’occasion de la réouverture du club dans la rue Řeznická à Prague, un spectacle intitulé ‘Le blues pour une jeune fille toquée’. C’était une adaptation pour le théâtre de la prose de Václav Hrabě ‘La fièvre’. Nous jouons ce spectacle jusqu’à aujourd’hui avec les guitaristes Václav Prejzek et Jiří Pertl. Nous présentons donc ces spectacles depuis 35 ans et notre public ne change presque pas. Ce sont des gens qui se rappellent les années 1960 ou désirent les rappeler à ceux qui, à leur avis, devraient les connaître. Ce sont donc les parents et leurs enfants. Je me réjouis que ces spectacles soient intemporels, des témoignages sur une époque qui n’ont pas encore perdu leur fraîcheur de vérité. »