Prague des avant-gardes

Photo: Academia
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« Notre livre est la mémoire des lieux qui existent encore mais aussi de ceux qui ne sont plus sur la carte de Prague », dit Kateřina Piorecká, coauteure de l’ouvrage intitulé « Praha avantgardní » (Prague des avant-gardes). Le livre qu’elle a écrit avec Karel Piorecký fait revivre la capitale tchécoslovaque des années 1920-1930, période où Prague était un centre culturel dynamique qui absorbait avidement de nouvelles impulsions venues du monde et apportait aussi des inspirations originales à la culture européenne. Le livre est sorti aux éditions Academia.

Photo: Academia
Kateřina Piorecká et Karel Piorecký ont donné à leur livre la forme d’un guide touristique. Ils amènent le lecteur dans de nombreux endroits où vivaient ou se réunissaient des artistes et où se préparait la révolution culturelle du XXe siècle. Kateřina Piorecká explique les intentions des auteurs de ce guide original :

« Nous avons voulu arrêter le temps, essayer de donner une vue synchronisée de la vie littéraire d’une époque. Et justement l’avant-garde littéraire, ou la littérature des années 1920-1930 est une période très opportune pour commencer. Nous disposons d’un nombre suffisant de documents attractifs et d’une grande quantité d’œuvres littéraires et plastiques de cette période qui sont exceptionnellement belles et qui peuvent rivaliser avec les meilleurs ouvrages des littératures étrangères. »

Le lecteur est invité à visiter des cafés célèbres ou se réunissaient des cénacles générateurs de mouvements d’avant-garde dont les cafés Union et Arco mais aussi d’autres endroits comme des bars dansants, des débits de vin, des théâtres, des cinémas, des maisons d’éditions. Tous ces endroits, y compris des gares, des ponts, des rues et des villas de mécène, ont joué un rôle dans la vie des membres des avant-gardes, servaient de décor à leurs activités et les inspiraient. Ils sont évoqués souvent dans leurs poèmes et apparaissent sur leurs tableaux. Karel Piorecký présente la génération des artistes qui ont décidé de rompre avec le passé et ont apporté le renouveau culturel des années 1920 :

« Le noyau de cette génération est formé par les auteurs qui vers la fin de la Première Guerre mondiale étaient en train d’achever leurs études secondaires. Et l’expérience de la guerre qui pour la majorité d’entre eux n’était pas personnelle mais restait quand même très importante, a influencé leur pensée et leur perception du monde. Elle leur a aussi donné l’impulsion pour la recherche d’une nouvelle forme d’art. Cette expérience a formé ces auteurs et les a distingués des autres. Nous pensons que le noyau de ce courant sont les membres de l’association Devětsil regroupés autour de Karel Teige, Vítězslav Nezval et Jaroslav Seifert. »

Karel Teige,  photo: ČT
C’est le critique et théoricien Karel Teige qui peut être considéré comme le père spirituel du mouvement entré dans l’histoire sous le nom de poétisme. C’est lui qui formulait les objectifs artistiques qui allaient être appliquées dans leurs œuvres par les poètes Vítězslav Nezval, Jaroslav Seifert et toute une pléiade d’autres artistes. Kateřina Piorecká évoque les aspects principaux de cette nouvelle doctrine artistique :

« D’après une conception de Karel Teige, l’art est ici, maintenant et partout autour de nous. L’art n’est pas un tableau que nous pouvons accrocher dans notre salon. L’art surgit partout autour de nous et nous en sommes les participants. Ainsi, quand nous nous promenons dans Prague, nous pouvons voir de beaux spécimens d’architecture comme par exemple le palais Olympik ou l’ancien Institut général des pensions et des retraites, aujourd’hui la Maison des unions syndicales dans le quartier de Žižkov. Mais il y a également des cafés et des maisons d’édition où la vie littéraire a été intense. Notre livre est donc surtout une anthologie des textes liés à certains endroits. J’aimerais que le lecteur s’intéresse surtout aux extrais d’œuvres littéraires que nous y citons. »

Le monde des avant-gardes avait tendance à créer des cénacles très fermés, des courants, des associations et des organisations précisément définis, un monde ou les générations étaient nettement séparées parce que les jeunes artistes cherchaient à se définir par opposition à la génération précédente, notamment celle des auteurs symbolistes et décadents. Parmi les membres de la génération précédente, ils n’acceptaient que le poète Stanislav Kostka Neumann, tous les autres auteurs leur semblaient dépassés. Ces auteurs personnifiaient pour eux l’art pour l’art, une conception qu’ils rejetaient parce qu’ils se proposaient de créer l’art pour la vie, l’art pour la société nouvelle.

Karel Čapek,  photo: Archives de Radio tchèque
Le guide des avant-gardes pragoises n’est pas consacré exclusivement au poétisme bien que ce soit probablement son thème majeur. Il évoque également les activités des écrivains regroupés autour du romancier et dramaturge Karel Čapek et aussi, en partie, celles des écrivains pragois de langue allemande. L’ouvrage n’oublie pas non plus les contacts qui existaient à l’époque entre les artistes tchèques et allemands. Il démontre que les artistes étaient ouverts aux courants venus de l’étranger comme l’unanimisme, le purisme, le formalisme, Dada, le futurisme, le constructivisme et plus tard le surréalisme, mais qu’ils ont été capables aussi d’imaginer et de créer des courant originaux comme le poétisme et l’artificialisme dans les arts plastiques.

Chaque article du livre comprend une information culturelle et historique sur l’endroit concret et sur son rapport vis-à-vis des avant-gardes. L’atmosphère de l’époque est évoquée par des souvenirs des artistes et des extrais de leurs œuvres. Tous ces articles sont comme des petites pierres qui composent une mosaïque de Prague, ville à laquelle les artistes ont su donner l’aura d’une cité magique du poétisme. C’est grâce à eux que leur ville était nimbée dans une atmosphère très spéciale mariant le courage, l’espièglerie, la surprise et la joie. Cette force d’imagination et cette fertilité artistique ont été si intenses qu’elles se répercutent sur le caractère et le visage de la ville encore aujourd’hui. De nombreuses photos qui illustrent le livre, montrent l’état des lieux dans la première moitié du XXe siècle et souvent aussi leur état actuel. Karel Piorecký résume ce qui reste de la cité magique du poétisme dans la Prague contemporaine :

Photo repro: Praha avantgardní / Academia
« Dans certains endroits, l’esprit des lieux a complètement disparu. Par exemple, à l’endroit où il y avait le Café académique, il y a aujourd’hui un Mc Donald. Le Café national, haut-lieu des avant-gardes, est aujourd’hui un établissement surtout pour la clientèle touristique. C’est donc un peu triste, mais je pense, quand même, que Prague a aujourd’hui beaucoup d’autres cafés où il se passe des choses qui pourraient être comparées à ce qui se passait dans d’anciens cafés. »