Les trésors des archives littéraires de l’exil tchèque à Bruxelles
Une exposition à l’Académie des Sciences de Prague a rappelé au public pragois un chapitre important de l’histoire moderne de la littérature tchèque. En coopération avec les Archives et le Musée de la littérature à Bruxelles, l`Académie des Sciences a présenté une exposition en deux parties consacrée au Fonds des écrivains en exil ainsi qu’aux avant-gardes et au surréalisme en Belgique francophone. Initiateur de l’exposition et fondateur des archives littéraires de l’exil tchèque à Bruxelles, le professeur Jan Rubeš a présenté ce fonds encore inexploré au micro de Radio Prague.
Quels sont les documents les plus précieux qui sont déposées dans ces archives ?
« Effectivement il y a un certain nombre de documents précieux. Il y a des documents posthumes de Bohuslav Brouk, membre du groupe surréaliste, qui s’est exilé en 1968 d’abord en France, puis en Australie pour terminer sa vie à Londres. Un autre ensemble de documents concerne Lubomír Sochor, philosophe et sociologue marxiste, ami de Karel Kosík et d’autres philosophes réformateurs tchécoslovaques. Lubomír Sochor vivait à Paris et après sa mort j’ai obtenu la plupart de ses manuscrits dont certains inédits qui vont être publiés d’ailleurs prochainement par l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences. Il y a aussi d’importantes archives du poète tchèque Ivan Diviš qui a vécu à partir de 1968 à Munich où il a travaillé à Radio Free Europe et qui a déposé, avant de rentrer en Tchécoslovaquie, toutes ses archives à Bruxelles. Il y a notamment sa correspondance avec Rio Preisner, philosophe tchèque établi aux Etats-Unis. Heureusement il existe les deux parties de cette correspondance, aussi bien les lettres de Diviš adressées à Preisner que celles de Preisner adressées à Diviš. On compte les publier prochainement. C’est une vaste correspondance, le livre va avoir certainement plus de mille pages. »Les chercheurs tchèques et tous ceux qui s’intéressent à la littérature d’exil profitent-ils de ces archives pour leurs travaux ?
« Alors, c’est un phénomène relativement récent, il y a plusieurs chercheurs qui viennent régulièrement travailler dans les archives parce que leur étendu est relativement important. Il y a un grand nombre de revues publiées à l’époque du communisme à l’étranger par les exilés tchécoslovaques que j’ai obtenues de Pavel Tigrid, éditeur de la revue Svědectví (Le Témoignage) qui recevait aussi des revues publiées par d’autres éditeurs en exil. J’ai pu rassembler donc tous ces documents à Bruxelles. Or, tous ces documents intéressent les historiens tchèques. On a établi des contacts avec l’Institut d’histoire contemporaine et plusieurs chercheurs de l’institut viennent régulièrement travailler à Bruxelles. Cela nous a amené à conclure un accord entre l’Institut de philosophie et l’Institut d’histoire contemporaine de Prague, et les archives et Bruxelles. Cet accord et cette coopération existent depuis trois ans et l’exposition à l’Académie des sciences de Prague est donc un de leurs aboutissements. Je pense que ces recherches à Bruxelles contribuent à la connaissance de l’histoire de l’exil tchécoslovaque. »Quel sera l’avenir de ces archives ? N’envisage-t-on pas de les transférer par exemple au Musée de Littérature tchèque dans le couvent de Strahov à Prague ?
« Mon idées d’origine était, à un moment donné, de reprendre ces archives, de les cataloguer, éventuellement faire les copies des documents intéressants qui concernent aussi la Belgique et les transférer dans un institut ou dans une bibliothèque tchèques. Néanmoins, les bibliothèques nationales sont très jalouses de leurs trésors, et il m’a été catégoriquement refusé de toucher à ces archives. Ces documents sont déposés à Bruxelles et les Tchèques n’ont qu’à venir travailler à Bruxelles. On vit dans une Europe qui est relativement unie, où il y une certaine proximité. Cela ne fera qu’augmenter la mobilité des personnes, et créera des échanges. Alors la bibliothèque s’est opposée très clairement et radicalement à toute idée de transfert de ces archives vers un autre pays. »Parlons maintenant de l’autre partie de l’exposition. Quels documents avez-vous réunis pour l’exposition sur l’avant-garde surréaliste belge ?
« Comme c’est une exposition organisées par les archives littéraires, il nous semblait important non seulement de montrer les documents littéraires qui ne disent pas grand-chose à l’étranger aux personnes qui ne parlent pas français, parce qu’il s’agit essentiellement des documents écrits en français, donc on a décidé de montrer les documents qui ont un attrait visuel. Cela a permis d’exposer certainement pour la première fois ici une grande série de photographies de Paul Nouget qui était l’initiateur du surréalisme en Belgique, comme André Breton en France. En 1929-1930 il a réalisé une série de photos tout-à-fait intéressantes et inclassables dont les originaux sont exposés ici. Le surréalisme belge est beaucoup moins structuré que le surréalisme en France, parce qu’en Belgique il n’existait pas le groupe surréaliste et les artistes se réunissaient essentiellement autour des revues. Comme il n’y avait donc pas cette structuration du groupe, nous avons essayé de montrer que le surréalisme et les avant-gardes en général se sont prolongé jusqu’à une époque relativement récente. On a essayé donc de montrer même les créations contemporaines d’une photographe, Alice Piemme, auteure d’une série de photos-collages qui peuvent rappeler le travail de Jiří Kolář s’il était photographe, et ces grandes photos sont exposées à côté des documents plus anciens. »Il y en a qui disent que le surréalisme est mort, il y en a qui disent que le surréalisme vit. Quel est ton avis ?
« Je pense qu’il y a un surréalisme historique qui est mort, celui qui date de 1924 jusqu’au milieu des années 1960, jusqu’à la mort d’André Breton. Il y a évidemment des nostalgiques du surréalisme qui essaient de préserver l’esprit de ce mouvement. Mais je crois qu’au-delà de cela, il y a ce qu’on pourrait appeler le surréalisme typologique, c’est-à-dire une vision de la réalité, une vision esthétique du monde, et celle-là dure, à mon avis, même si l’on ne l’appelle plus surréaliste. »