L’art et la périphérie pragoise

Entre 2012 et 2013, une équipe d’étudiants de l’école pragoise de cinéma, la FAMU, a tourné un documentaire observant la naissance d’un centre communautaire dans un quartier périphérique de Prague. La réalisatrice Hedvika Hlaváčková et la productrice Alena Stibralová Cardová ont voulu attirer l’attention sur le manque d’attachement des habitants de ces quartiers à leur environnement. De la volonté de construire ce lien est né non seulement le centre communautaire « Plechárna », mais aussi le film documentaire « Rêverie périphérique. »

'Rêverie périphérique'

Les deux jeunes auteurs du film ont suivi pendant un an et demi la création du centre communautaire « Plechárna », dont l’appellation fait référence à la tôle, le matériel dont il est construit. Le film a été créé après une trentaine de visites du quartier de Černý most, connu surtout pour ses HLM et situé au nord-est de la capitale. Alena Stribralová Cardová présente brièvement son film :

« C’est un film de master d’étudiantes de la FAMU, la célèbre école du film à Prague. Ce film a été tourné et achevé l’année dernière. Il a été réalisé par Hedvika Hlaváčková, étudiante du département réalisation de films documentaires. Quant à moi, il s’agissait de mes débuts en tant que productrice et j’ai terminé l’école avec ce film-là. »

Au départ, la direction prise par le tournage n’était pas très claire alors que les réalisatrices assistaient à tout ce qui se passait dans le quartier ayant trait à la culture. Mais au fur et à mesure, l’histoire portant sur la création de la Plechárna a émergé. Alena Stribralová Cardová rappelle les débuts de ce projet au moment où elle a fait la connaissance de David Kašpar, responsable de la société à but non lucratif et d'intérêt public « Praha 14 Kulturní » (La Culture au 14e arrondissement de Prague) :

Alena Stribralová Cardová, photo: Site officiel diu film Periferní snění

« Quand j’ai rencontré David Kašpar, je lui ai dit que je voulais tourner un film sur l’espace public ou sur l’art dans les banlieues. Il allait tout juste commencer à travailler à Černý most, dans un espace extraordinaire, et il m’a invité à le joindre. C’était vraiment le début de ce projet. Personne ne savait encore que Plechárna existerait un jour. J’ai commencé un peu à connaître le quartier ainsi qu’à savoir ce que je pourrais y tourner et ce que je pourrais y raconter. Mais j’avoue que c’était très difficile de trouver l’histoire de Plechárna, car au départ rien n’indiquait qu’un tel espace naîtrait. »

David Kašpar, un des trois protagonistes du film, a donc partagé avec les deux réalisatrices son projet de créer un espace où pourraient se retrouver les gens du quartier, à commencer par les adolescents n’ayant pas beaucoup d’offre de loisirs. La productrice met en contexte la situation de Černý most :

« Le film Rêverie périphérique porte sur la culture locale à Černý most, qui est un quartier périphérique de Prague. Il y a beaucoup d’HLM avec quelque 40 000 habitants. Nous y avons passé presque deux années à tourner l’histoire de la création d’un centre communautaire destiné aux habitants locaux. »

Černý most, photo: Štěpánka Budková

Par ailleurs, son expérience personnelle est à l’origine de cette sensibilité pour l’espace public des banlieues.

« J’ai grandi dans un HML, alors c’est très personnel. J’ai vécu à Stodůlky, de l’autre côté de Prague, mais je pense que l’expérience peut être comparée à celle des habitants de Černý most. Je passais seulement les nuits à la maison. Toute ma vie, l’école, le travail, la culture, se passait au centre-ville. Ce manque de liens avec l’endroit où les gens vivent me paraît être le problème de toutes ces zones périphériques. »

Černý most ne gagnerait sans doute pas le concours des quartiers les plus jolis de Prague. Néanmoins, les idées que partagent une grande partie des Pragois sur ce territoire sont souvent des stéréotypes, comme le confirme Alena Stibralová Cardová :

Černý most, photo: Štěpánka Budková

« Pour moi, Černý most représentait seulement un endroit à atteindre quand je voulais prendre le bus pour faire du ski au nord de la République tchèque. Pas plus. J’étais très surprise de découvrir beaucoup de parcs et d’endroits très agréables pour passer le temps. Au premier abord, ce sont seulement des HLM et du béton, mais en réalité cela n’est pas le cas. On voulait montrer Černý most avec un point de vue différent. Il y a beaucoup d’HLM, mais il y a une vie dans cet endroit. »

…une vie et surtout un potentiel d’activités, comme le montre l’expérience jusqu’alors très réussie du centre communautaire de Plechárna.

« Cela a ouvert en septembre et depuis, cela fonctionne et c’est accessible aux gens locaux. Néanmoins, il y a un skatepark juste à côté, ce qui fait que les gens plus âgés ne savent pas forcément quoi penser de cet espace et ils se sentent peut-être un peu gênés d’y aller à cause de la concentration de jeunes. Mais maintenant il y a un café et les gens qui y travaillent veulent vraiment ouvrir cet espace pour la culture et pour les gens. »

'Plechárna', photo: Site officiel diu film Periferní snění

L’espace de « Plechárna » est géré totalement par des habitants du quartier qui ont le respect des adolescents du quartier. L’existence de règles du fonctionnement du centre, l’offre de cours d’anglais et dernièrement aussi l’ouverture d’un café ont progressivement permis de gagner la confiance des autres habitants vis-à-vis de ce projet. Néanmoins, David Kašpar, à la tête de l’équipe de « Plechárna », ne se fait pas d’illusion sur le respect des règles, notamment de l’interdiction de fumer, par les jeunes. Il considère que si les responsables peinent à faire respecter certaines règles, ils ont l’occasion précieuse de travailler avec les jeunes, de les encadrer et de leur proposer une plus grande variété d’activités, ce qui devrait permettre à long terme de réduire l’occurrence des comportements problématiques.

'Plechárna', photo: Site officiel diu film Periferní snění

« Pour moi, le film veut surtout rappeler aux gens qui vivent dans un endroit, que ce soit à Černý most ou ailleurs, l’importance d’avoir un attachement à l’endroit où ils habitent. Il faut cultiver ce lien et la culture peut beaucoup aider. C’est le message le plus important du film qui montre que Plechárna est précisément un espace qui poursuit cet objectif et qui peut aider à entretenir ce sentiment d’appartenance. »

Le film est en forme de court-métrage, mais un long-métrage est également prévu. En attendant son achèvement, les projections du court-métrage se font dans différents quartiers à Prague et s’accompagnent de débats sur l’espace commun et le vécu particulier des participants. Evoquant ses projets pour l’avenir, Alena Stibralová Cardová conclut :

'Plechárna', photo: Site officiel diu film Periferní snění

« Mon plan pour l’avenir, c’est de rester à Černý most et de continuer le tournage parce que cette histoire n’est pas finie. »

Les dernières notes de cette émission culturelle sont consacrés à l’hymne du Černý most de Van Dors interprétée par Butterz.