La nouvelle vague slovaque – huit photographes slovaques à Prague
Dans la Maison de la photographie, un nouvel espace d’exposition de la Galerie municipale de Prague, se tient jusqu’au 16 mars une exposition consacrée à la « nouvelle vague slovaque ». Il s’agit de huit auteurs, marqués par leurs études, dans les années 1980, à la FAMU, l’Ecole pragoise du film, qui était la seule en Europe centrale à avoir un département dédié à la photographie. L’exposition tente de briser les idées reçues sur ce groupe de Slovaques basés à Prague tout en faisant découvrir leur production scolaire, longtemps confinée à leurs archives personnels.
« C’est une autre spécificité de cette exposition. Nous montrons leur production réalisée dans le cadre des exercices scolaires à la FAMU. Certains travaux ont été faits de manière informelle et pour cela, c’est peut-être étrange pour les artistes d’avoir une rétrospective de ces photographies qui précèdent la période qu’ils considèrent faste. »
Malgré certaines similitudes, Tomáš Pospěch souligne, qu’il ne s’agit pas d’un groupe homogène :« Ce qui lie ces artistes, c’est qu’ils sont tous Slovaques et qu’ils sont venus étudier au seul département de photographie en Europe centrale à la FAMU. Ils n’avaient pas de racines en République tchèque et passaient donc tout leur temps ensemble, à l’école, au dortoir, ils nettoyaient ensemble les appartements où se tenaient leurs expositions et ils étaient les modèles des photos des uns et des autres. Malgré cette proximité de vie, leur production n’est pas aussi homogène que ce que l’on pourrait attendre. »
La volonté de questionner les idées reçues sur la « nouvelle vague slovaque » était en effet à l’origine de cette exposition :
« Cette exposition se veut une analyse rétrospective de ce qu’est la nouvelle vague slovaque car cette appellation est considérée comme connue par tous. Notre objectif était de réécrire le regard dominant sur ce groupe. Pour cela nous avons voulu présenter des photographies jusqu’alors inconnues. Nous avons également mis en place une section appelée Préhistoire dans laquelle nous cherchons les origines du style caractéristique de chaque auteur. »Ainsi, les visiteurs se familiarisent avec les premières photographies prises de la perspective d’oiseau de Miro Švolík qui louait un appartement dans le quartier de Žižkov assez haut pour observer de loin de qui se passait sur la cour du bâtiment. Un jour, il a photographié une voiture renversée sur le côté pour être réparée et qui avait l’air de rouler dans l’espace. Il a réutilisé cette idée en y installant des personnes et a ainsi composé des scènes imaginaires qui renversaient la perspective de ce qui est vu de haut ou de face.
Quelles étaient les sources d’inspiration de ces artistes ? Milota Havránková, professeur de photographie au lycée à Bratislava, est souvent invoquée par des diplômés de ce lycée quand il s’agit de nommer des personnes qui ont compté pour eux. Et à la FAMU, ils ont pu bénéficier de l’ambiance relativement détendue qui régnait au département de photographie, moins surveillé par les instances officielles que le département du film. Tomáš Pospěch :« Les Slovaques n’ont pas été bridés pas des conventions de l’époque et leur production n’était pas politique. Au contraire, c’était plus une évasion dans le monde de la liberté interne, détaché du temps. En même temps, leurs photographies reflètent la culture visuelle de l’époque. Ils s’inspirent beaucoup de la musique. Jano Pavlík s’inspire clairement d’Andy Warhol, ou de la pop slovaque, plus libre que son penchant tchèque. Ces auteurs savaient faire des liens entre la production des artistes étrangers et leurs racines villageoises, racines dont des motifs apparaissent dans leur production. »
Ce qui est donc caractéristique pour le groupe, c’est leur capacité de mélange des styles qui se fait en toute légèreté, car ces Slovaques à Prague sont aussi des rebelles…« Ce qui est typique pour ces Slovaques, c’est qu’ils ne craignent pas de mélanger différents styles. Dans les exercices scolaires, on leur impose la manière de photographier pour qu’ils apprennent une méthode. Ils suivent l’exercice, mais ils font tout pour briser les normes et le poussent à l’extrême pour tester si cela passe encore. Tono Stano l’expliquait par sa volonté de ne pas tomber dans le stéréotype qui l’aurait fait perdre son intérêt pour la photographie. Il a décidé de faire ce qui lui plaît pour garder sa motivation. »
Si nous ventons la légèreté de leur style, Tomáš Pospěch tend à la nuancer :
« Tono Stano a une humeur spécifique dans ses photographies, Miro Švolík est aimablement poétique, oui. Mais il ne faut pas oublier les travaux de Kamil Varga qui est mystique et méditatif. Il ne faut pas non plus passer à côté de la production de Jano Pavlík qui apporte à ce groupe une idée d’autodestruction. Jano Pavlík, mais aussi Tono Stano, fabriquaient toute sorte de machines à torture. Jano Pavlík a même créé une chaise électrique. C’est comme s’il avait anticipé son suicide. »Ce groupe d’étudiants se démarque des autres étudiants de la FAMU de l’époque, également par la mise en scène de leurs photographies, qui allait à l’encontre du courant dominant de la photographie documentaire de la FAMU. Mais il y avait des exceptions à la règle – par exemple, Peter Župnik n’a jamais mis en scène ses photographies, en revanche, il y introduisait des retouches ou des compléments à l’aide de crayons ou de feutres :
« Les interventions intermédiaires dans leurs travaux constituent une autre caractéristique de la photographie de la nouvelle vague. Les auteurs dessinaient ou écrivaient sur les photos développées… On peut parler de l’esthétique du feutre, car souvent ils ajoutaient à la photographie une couleur intense par le feutre, cela leur a permis de redessiner des choses ou de les noircir, etc. »L’exposition met également en avant la diversité des espaces dont se sont servis les artistes. D’un côté, ils travaillaient dans des ateliers soigneusement aménagés, d’un autre côté, ils utilisaient des espaces improvisés, notamment leur propre chambre, avec des meubles bon marché, les restes de leur déjeuner, du linge propre ou encore une table en désordre. Surprise pour ce qui est des photographies de Tono Stano, maître de la photographie esthétisée et connu par la suite pour ses arrangements raffinés, l’exposition commence dans sa chambre avec un modèle nu qui a cependant gardé un élastique dans les cheveux. Les visiteurs découvrent ainsi sa production la plus spontanée.
Pour ceux qui s’attendraient à une exposition érotique, les commissaires de l’exposition ont choisi de présenter ce thème incontournable de la nudité sous un angle différent. Tomáš Pospěch :« Tout le monde s’imagine la nouvelle vague slovaque comme la production érotique de nus. Mais peu de gens savent que les auteurs photographiaient souvent des nus masculins et parfois même en groupe. On retrouve sur ces photos les modèles qui étaient les plus accessibles – c’est-à-dire les amis de leur groupe. Les réactions étaient critiques et ils ont dû plusieurs fois fermer leurs expositions. »
Les visiteurs de l’exposition ne seront sans doute pas déçus. Certains peuvent découvrir la production de la nouvelle vague slovaque pour la première fois. D’autres peuvent affiner leur regard sur ce groupe d’artistes en se familiarisant avec leurs photographies du temps de leurs études. Enfin, ils peuvent explorer les origines du style particulier des uns et des autres. Comme le conclut Tomáš Pospěch, il se trouve que l’exposition est un hommage initialement non prévu à la FAMU, car elle respire l’amitié, la proximité, l’exploration et la recherche, un îlot de liberté dans un régime oppressif.L’exposition de la « nouvelle vague slovaque » est à voir à la Maison de la photographie jusqu’au 16 mars 2014.