Les notes suaves et à fleur de peau de Cascadeur
Dans le cadre de sa tournée européenne, Cascadeur alias Alexandre Longo, chanteur, auteur-compositeur-interprète français originaire de Metz, s’est présenté pour la première fois au public pragois à la fin du mois de novembre dernier au Palác Akropolic, dans le quartier de Žižkov. Il se fait connaître du grand public en recevant le prix CQFD en 2008 du magazine les Inrockuptibles. Mais ce n’est qu´en mars 2011, qu’il sort son premier album, intitulé The Human Octopus. Si ce prix a été un tremplin d’espoir, Cascadeur avoue que cela a été plus compliqué par la suite, lorsque, selon ses propres dires, il devenait « un plus gros avion, sans avoir toutefois suffisamment de kérosène ». Quelques années plus tard ses compositions atteignent un public toujours plus international. Cascadeur, habituellement seul sur scène, tel un homme orchestre, est venu accompagner cette fois-ci d’un autre multi-instrumentiste, dont l’identité n’a pas été révélée, fidèle à l’atmosphère mystérieuse entourant le projet. En effet, Cascadeur porte sur scène une combinaison de motard, avec un casque blanc orné d´une étoile rouge, et son visage est parfois dissimulé sous un masque de luchador. Radio Prague a eu l’occasion de rencontrer Cascadeur, pendant les répétitions avant son premier concert tchèque au Palác Akropolis. Son deuxième album est attendu pour le 3 février prochain.
« J’ai commencé comme pas mal d’enfants par la musique classique, puis après j’en ai eu assez au bout de huit ans, j’ai commencé à jouer des choses plus pop, les Beatles, Joe Jackson, les Queen… Ensuite j’ai fait pas mal de jazz. J’ai joué dans un quartet, dans un big band. Avec les amis, on faisait pas mal de reprises quand j’étais étudiant, comme pas mal d’étudiants, on jouait dans des bars. C’est un parcours assez hétéroclite, qui m’a permis de côtoyer différents styles musicaux. »
Sur scène vous êtes seul…
« Avant, sur la première tournée, sur le premier album, j’étais tout seul sur scène. Mais sur le nouvel album sortant en février 2014, cela change, on sera cinq. Sauf ce soir, parfois il y a quelques concerts où on est moins, et là c’est la première ce soir à deux. C’est une formule beaucoup plus légère, qui sera plus acoustique. C´est un parti-pris. On va tout jouer en direct. »
Qui est Cascadeur? Comment est-il apparu ?
« C’est un long cheminement aussi. Je faisais pas mal de morceaux qui n´existaient pas en dehors de chez moi. Et au bout d’un moment, cela devenait un peu invivable. J’avais un problème par rapport à ça. Je faisais beaucoup de concerts avec des amis, mais je n’étais pas du tout leader du projet. Je faisais des chœurs, des claviers. Et au bout d’un moment, je pense qu´il y avait une sorte de pathologie à mon attitude. J’avais du mal à exposer mon travail. Donc j’ai réfléchi à ça en me disant que cela ne me satisfaisait pas. Il fallait trouver une parade. J’ai essayé de monter un projet qui n’avait pas encore de nom, j’ai composé des morceaux. Je voulais revenir vraiment à l’essence de ma formation qui était donc le piano et la voix. Ensuite j’ai fait écouter ces morceaux à des proches. Ils m’ont parlé de certains concepts, il y avait l’idée de danger, des difficultés de certains morceaux, la hauteur sonore de la voix. J’ai y réfléchi et je me dis que c’était marrant, parce que cela m’amenait à quelque chose, la prise de risque. Je me dis : ‘tiens, qui prend des risques et qui est caché ?’ Plusieurs termes me sont venus, et il y avait celui de Cascadeur. D’autant plus qu’enfant, j’avais un jouet, qui s’appelait Cascadeur et qui était un motard blanc avec un casque, qui s’élançait sur un tremplin rouge. Je me suis dit que c’était intéressant, parce le terme de cascadeur recouvre plein de concepts qui me plaisent : l’idée de doublure, l’idée du risque, l’idée de l´anonymat, le fait de jouer avec différentes facettes. Et en plus, le rapport au cinéma. Je me disais que c’était un terme qui synthétisait pleins d’idées qui m’étaient chères. »
« Donc à partir du moment où j´ai eu le nom, j’ai construit un personnage. Je ne voulais pas que ce soit trop héroïque justement. Et en plus, par la force des choses, il fallait que je sois seul, parce que je n’avais vraiment qu’un moyen. Je ne pouvais pas entraîner des amis avec moi. Donc cela a été un drôle de cheminement parce que cela m’a pris un an et demi, entre le moment où j’ai composé les morceaux, fin 2004, 2005, et les premiers concerts, c’était en juin 2006. Il fallait beaucoup chercher, des instruments un peu particuliers aussi, et comment faire fonctionner les choses quand tu es tout seul sur scène. C’était un exercice spécial. »
On dit de vous que vous arrivez à adoucir le son des synthétiseurs, est-ce peut-être grâce au son du piano ? De quels éléments musicaux est composée votre musique?« Le premier album a été essentiellement composé au piano. Sur le deuxième album, j’ai un peu changé, j’ai voulu me mettre un peu en danger. J’ai fait un peu de guitare, mais je ne suis pas du tout guitariste. Et c’est ce qui me plaisait : trouver des choses qui me plaisaient sans savoir jouer de l’instrument. Donc cela m’a amené un peu ailleurs je pense. Sur le nouvel album, il y a un spectre peut-être peu plus large, plus rythmique aussi. »
Vous qualifiez votre musique d’inqualifiable. N’appartient-elle à aucun genre ?
« J´avoue que c’est fait de différents éléments. Dans mon parcours, il y avait de la musique classique, du chant lyrique, ce qui m’a marqué. J´écoutais pas mal de choses comme cela, du fait de mes parents (son père joue du hautbois, sa mère du piano, ndlr). Cela m’a influencé je pense. Le jazz, l’improvisation. Je suis intéressé par des musiques un peu plus expérimentales, plus contemporaines. C’est un assemblage. A la mesure de ma combinaison sur scène, ma tenue de cascadeur, c’est une combinaison de sons et d’ambiances musicales, plus qu’une marque, avec de la musique prête à écouter. C’est assez hétéroclite. »
Selon vous, les assemblages de genres musicaux différents ne font-ils pas le succès de beaucoup de morceaux de nos jours ?
« Le métissage, oui peut-être, mais je dirais que ce sont les moyens d’apprentissage qui ont changé. Cela permet de franchir peut-être certaines frontières plus facilement dans un premier temps. Il est plus facile d’entendre une musique qui vous mène sur un autre continent à une certaine époque. C’est un peu bizarre parce que d’un côté on n’a jamais eu autant de passerelles entre les mondes, et d’un autre côté, ce que je vois quand je visite des villes, c’est qu’il y a une uniformisation aussi. Dans tous les lieux publics touristiques, on retrouve les mêmes vêtements, les mêmes écharpes, les mêmes bonnets. Il y a seulement les inscriptions de la ville qui changent. Il y a cette standardisation de la mondialisation. C´est toujours le paradoxe. Alors peut-être qu’en musique, il y a ça aussi. Il y a des gens qui connaissent pleins d’autres musiques, et puis il y a des gens qui façonnent le même son d’un continent à l´autre. Et c’est un peu troublant. C’est paradoxal. »
Vous êtes français mais vous chantez en anglais. Pourquoi ce choix ? Parce que l’anglais est plus mélodieux ?
« Pour moi cela avait avoir avec le masque. Je voulais poursuivre avec l’idée du masque. J´ai écrit pas mal en français. Je pense que pour me masquer aux yeux notamment de mes proches, il fallait que je choisisse une autre langue. En France, on a un drôle de rapport aux langues étrangères aussi. Ce n’est quand même pas très développé. Quand je vais dans d’autres pays je trouve que les gens parlent souvent bien mieux que nous l’anglais. Et c’est vrai que notre culture est quand même un peu fermée. Si on regarde la télévision en France, les films ne sont pas en V.O., c´est bizarre. Tandis qu’en Belgique ou en Suisse, les films sont en V.O. Et je pense que cela porte atteinte à la qualité de la langue que l’on pourrait pratiquer. Je suis toujours impressionné par cela, le fait que je parle très rarement l’anglais en France. Donc, quand j’arrive dans un pays, où on ne demande de parler l’anglais, c´est tout un travail, un exercice. Cela me plaisait assez aussi finalement d’être un étranger. J’évoque souvent ce thème dans mes morceaux, l’étrangeté et l’étranger. Et c’est vrai que je suis issu de l’immigration, je trouvais que c’était important de chanter dans une langue qui n’appartient pas à ma culture familiale aussi. Je pense qu´il y a une forme de glissement de la langue qui me plaisait assez. »Vous êtes un peu comme un chef d’orchestre à vous tout seul. C’est plutôt libérateur ou source de complications ?
« Je pense qu’il y a une soif de contrôle, non pas que je sois dictatorial, ce n’est pas ça, mais je pense que mon angoisse est là-dedans. Je dois me rassurer en ayant l’impression de maîtriser un certain nombre de choses. Mais je crois que cela a à voir plus avec la psychologie. Mais c’est vrai que le fait d’avoir été longtemps un homme orchestre quelque part, cela me faisait sans doute du bien. Et en même temps, je suis le premier à reconnaitre toutes mes défaillances, il y a pleins de domaines que je ne maîtrise pas du tout. Donc ce n’était pas du tout pour se dire qu’est ce que je suis puissant, qu’est ce que je suis fort. Au contraire, c’est circonscrire peut-être, c’est comme une quête, une recherche, lorsque tu fais un travail un peu artistique, c’est découvrir des zones, ses limites. Je me découvre pas mal par Cascadeur. Et c´est pourquoi maintenant je suis heureux aussi d’être entouré d’amis qui jouent avec moi. Parce que c´est pesant d’être autocentré par la force des choses. La folie est peut-être plus dans cette extrême solitude par moment. Je pense à Kubrick, au sujet de la maîtrise, du contrôle, dans Shining, cet écrivain face à la page blanche, il est aussi comme cela, puisque finalement, il ne voit plus que lui. Et finalement, sa famille, sa femme, son fils, il les détruit physiquement, mais il les a déjà détruits psychologiquement. Il y a quelque chose qui m’effraie un peu dans l’idée de créer. Souvent, un écrivain notamment, est seul. Et la musique fait que dans des moments de création, tu es aussi face à toi-même, face à cette solitude. Là, ça m’a fait du bien de renouer avec des êtres humains pour jouer les morceaux. C´est appréciable. »
« Je pense que c’est quelque part psychanalytique. Si tu ne replonges pas dans cette forme d´enfance, il y a des choses que tu vois trop tard ou que tu ne vois jamais, mais que tu transportes quand même. C’est une drôle d’aventure, parce que tu n’es pas près à cela, de passer de l’ombre profonde à une sorte d’éclairage. Je trouve que c’est dangereux. Donc heureusement que j’étais masqué, parce que sans cela, sans masque je ne pourrais pas le faire. »