Dans le massif de la Šumava, les derniers tailleurs de cristal résistent à la crise du secteur
Il existe peu de produits tchèques aussi réputés dans le monde que le verre et plus particulièrement le cristal. Or ce secteur, florissant pendant plusieurs siècles, a dû, ces derniers temps, faire face à de nombreuses difficultés liées à la transformation économique dans la République tchèque postcommuniste, à la crise de l’économie européenne, ou encore à la concurrence des produits verriers chinois à bas prix qui ont submergé le marché mondial. Néanmoins, il existe, mis à part les grands groupe verriers, de petites entreprises qui ont survécu à tous les soubresauts économiques et continuent, tant bien que mal, à fabriquer des produits haut de gamme avec ce fameux cristal de Bohême. Radio Prague visité une de ces cristalleries, la seule qui existe encore dans le massif de la Šumava, jadis une des plus importantes régions verrières du pays. Reportage...
Cette tradition du verre dans le massif de la Šumava dure depuis le Moyen-Âge. Les verreries locales exportaient leurs produits en cristal dans l’Europe entière et ont même concurrencé les célèbres verreries vénitiennes. On écoute Karel Baron :
« Au début du XXe siècle encore, il y avait dans cette région des dizaines de verreries. Leur production nécessitait une quantité suffisante de bois et de sable. Ces matériaux étaient ici d’une grande qualité, ce qui a fait d’ailleurs la beauté du cristal local. Le système a été le suivant : on a ouvert une verrerie et celle-ci fonctionnait jusqu’à ce que tous le bois, dans les alentours, soit exploité. Ensuite, on a fermé la verrerie et on en a construit une autre à un autre endroit. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la région comptait au moins cinq verreries réputées qui fabriquaient de très beaux produits, dont la verrerie Anatal. Aussi, la production locale était intéressante et variée du fait que la Šumava était une région à la population tchéco-allemande. Il y avait un échange permanent des technologies et de la main-d’œuvre entre les verreries tchèques et bavaroises. C’était presqu’un pays sans frontières. » D’après les calculs de Karel Baron, des 60 000 verriers encore employés dans des verreries tchèques avant la chute du régime communiste en 1989, il n’en reste aujourd’hui qu’environ 6 000 qui continuent à exercer ce métier. Si la fabrication industrielle arrive encore à suivre le pas avec la concurrence étrangère, la situation est beaucoup plus difficile pour les petites cristalleries privées, comme celle d’Annín. Elle fabrique des produits sur commande de la clientèle tchèque, mais surtout étrangère, provenant essentiellement de Russie et des Emirats arabes unis. La cristallerie achète des pièces en verre et en cristal, contenant 24% d’oxyde de plomb, fabriquées par la verrerie de Nižbor, en Bohême centrale. Ici, elles sont travaillées à la main : taillées, gravées, nettoyées, matées. Les tailleurs travaillent sur des machines vieilles de soixante ans pour les plus récentes, les plus anciennes datant de l’époque de l’Empire Austro-Hongrois. Stanislava Benešová nous fait visiter ce petit atelier de cristallerie :« Ici, vous pouvez voir du verre nettoyé à l’aide de produits chimiques. Ce qui fait la beauté de cet article-là, c’est ce mélange d’entailles lisses, donc brillantes, et mates. Maintenant, la graveuse effectue le matage. Le cristal, riche en plomb, est connu pour son éclat. C’est justement le plomb qui augmente sa transparence et son indice de réfraction. Il semble diffuser la lumière dans toutes les directions, c’est vraiment un des plus beaux types de verre. Il est aussi plus agréable à couper, à tailler. »« Nous aimons aussi inventer des décorations plus modernes, selon notre fantaisie. Nos clients en Russie et au Moyen-Orient demandent toujours les mêmes ornements traditionnels. Les formes changent parfois, mais pas les décorations. Cela nous donne envie d’imaginer quelque chose de nouveau, d’original. Nous proposons ces articles aux décorations atypiques dans notre magasin, pour voir ce qui peut plaire à nos clients. »
Tailleuse sur cristaux et ancienne employée de la grande cristallerie d’Annin, évoquée au début de l’émission, Stanislava Benešová a sa propre explication à la disparition d’ateliers de cristallerie en République tchèque :« Tout a commencé sous l’ancien régime. En 1948, l’usine de verrerie d’Annín a été fermée, on a conservé juste la cristallerie. Ainsi, on a supprimé plusieurs petites et moyennes verreries au profit de grosses entreprises supranationales, telles que Sklárny Bohemia Poděbrady qui fabriquait à grande échelle. Je pense que c’était une erreur. On aurait dû faire comme en Allemagne par exemple, où il existe toujours une multitude de petites verreries-cristalleries qui n’emploient que quelques personnes, mais qui ne s’en portent pas moins bien pour autant. »
La cristallerie d’Annín, la dernière qui a survécu dans les monts de la Šumava, arrive pour l’instant à faire face à l’incertitude économique. Les ambitions de ses propriétaires et employés ne s’arrêtent pas là : ils ont élaboré un projet de musée interactif du cristal qu’ils espèrent pouvoir ouvrir, un jour, dans les locaux de la cristallerie. De même, l’entreprise envisage une collaboration avec de jeunes graveurs sur cristaux, formés à Třeboň, en Bohême du Sud, et avec des plasticiens qui donneraient un nouveau design à leurs produits.