Kathleen Caillier : « En peignant, je trouve l’essentiel de moi-même »
Jusqu’au 27 septembre, la Galerie 35 de l’Institut français de Prague accueille les toiles de l’artiste américaine Kathleen Caillier. Née en Louisiane, ses racines sont françaises, mais elle a fait de sa vie un éternel voyage, découvrant au gré de ses pérégrinations de nombreux pays qui l’inspirent pour certaines de ses créations. A Prague, elle expose les tableaux de sa série Atomes et Particules. Rencontre.
On disait des choses en français, devant les enfants, pour qu’ils ne comprennent pas ?
« Voilà, tous les squelettes dans le placard par exemple, même s’ils n’étaient pas très intéressants. En même temps, cela a fait que nous avions tous l’oreille pour le français, mais nous ne le parlions pas. »
Vous-même, comment vous êtes-vous tournée vers le français ?
« Bien que la scolarité ait été imposée en anglais, la communauté française s’est rendue compte qu’elle perdait sa langue. Ils ont créé quelques associations, dont l’une a insisté pour que le français soit dans les écoles, le plus tôt possible. Pour nous, cela n’a pas été avant l’âge de 12 ans. Mais je voulais tellement apprendre le français que j’ai demandé à une voisine de m’apprendre. Elle me donnait des cours pendant l’été ! »
On n’est pas là pour parler uniquement de la langue française… On va surtout parler de votre création. L’Institut français de Prague propose une exposition d’une partie de vos œuvres, Atomes et Particules, dont on pourra reparler en détail après. Comment à l’origine êtes-vous arrivée à la peinture, au dessin ? Qu’est-ce qui vous a séduite dans ce moyen de « communication » et de transmission plus qu’un autre ?« Tous les enfants adorent gribouiller, dessiner, peindre. Ma mère s’est rendue compte que je faisais cela un peu plus. Elle m’a offert à Noël tout le nécessaire pour apprendre la peinture à l’huile. Je m’y suis mise à l’âge de huit ans et j’ai continué. J’écris aussi des poésies. Mais quand on peint, ou qu’on écrit, on est vraiment dans son propre monde. Cela ne veut pas dire que le monde extérieur est mauvais. On arrive à un état de bien-être un peu comme les gens qui font de la méditation. Quand vous en sortez, vous êtes bien et cela vous donne des forces pour tout le reste. »
Vous êtes une peintre globe-trotter. Vous avez peint des paysages du monde entier : Japon, Egypte, sud de la France, Louisiane… Comment vous êtes-vous retrouvée sur la route avec vos pinceaux ?
« Je dois revenir encore à l’enfance. Ma mère avait un abonnement au National Geographic. Je voyais des paysages magnifiques. Je connaissais déjà la Louisiane, mais pas le reste. Je voyais des appareils photos et je me disais que plus tard, j’en aurais un, que je pourrais saisir les images et le peindre ensuite. J’étais très timide : j’aimais peindre dans mon petit jardin et c’est tout. Avec le temps, j’ai imaginé d’autres métiers. Mais finalement, c’est cela qui s’est concrétisé. Vers 18 ans, je me suis dit qu’il fallait vite que je connaisse mon pays, les Etats-Unis, parce que je sentais que j’allais vivre à l’étranger. En fin de compte, c’est ce qui s’est passé. Je suis tellement curieuse de tout ce qui existe que je veux tout voir. »Parmi ces destinations, il y a le Japon. On a l’impression que le Japon est un vrai tournant dans votre parcours artistique, en quoi ?
« Pas en ligne ou en peinture, mais en exposition. C’est au Japon que j’ai eu le courage de commencer à exposer. Je pense que c’était le meilleur endroit pour le faire parce que les Japonais sont tellement ouverts à l’art ! Lors de la première exposition, il y avait plein de monde, environ un millier de personnes était là, car c’était une galerie dans un musée. Le fait de l’avoir fait au Japon, ça m’a formée pour exposer, car au Japon, on est forcé de rester sur son lieu de travail. Ils pensent que c’est une gentillesse pour les gens qui viennent voir l’exposition de pouvoir rencontrer l’artiste. J’étais très intimidée par cela, mais j’ai fini par y prendre goût car j’ai rencontré de nombreuses personnes qui racontaient de drôles de choses que je n’aurais jamais entendues autrement. »
Sur votre travail ?
« Sur mon travail, sur la vie… Il y a des complicités qui se forment. Par exemple, un homme venait me voir tous les jours parce qu’il rêvait le soir de mes peintures. A l’époque, je n’osais pas emmener mon chevalet et mes peintures à l’huile, donc j’emmenais des pastels et je travaillais ainsi, en attendant si quelqu’un allait arriver ou non. »Vous avez aussi découvert au Japon que l’on pouvait allier peinture et poésie…
« Oui. J’ai toujours fait les deux. J’ai commencé vers l’âge de huit ans pour les deux. Mais c’était toujours séparé. Au Japon, quand je terminais un tableau, tout de suite après, j’écrivais un poème au dos. Cela a continué ainsi, comme si j’avais exprimé une partie de la communication en peinture et l’autre en mots. Ce n’est pas comme cela pour toutes les peintures. Mais certaines choses sont trop fortes et il faut les exprimer autrement. »
A l’Institut français de Prague sont exposés vos travaux de la série Atomes et Particules. En regardant ces tableaux, on pense au pointillisme…
« Chaque technique qui vient sous mon pinceau provient au départ de l’idée du tableau. Ce n’était même pas réfléchi, cela sortait comme cela. J’avais commencé quelque chose comme cela sous l’égide d’un professeur qui voulait qu’on montre le mouvement de la manière la plus simple possible. Il fallait le faire au crayon. C’était en 1983. J’ai fait le mouvement des nuages. Le professeur était sidéré, mais il a fini par me dire : ce n’est pas une bonne direction, car le mouvement pointilliste n’a jamais été un vrai mouvement. Cela ne m’a pas empêchée de retrouver cela de temps à autres sous mon pinceau. Quand j’ai commencé à le faire plus souvent, c’était au retour d’un voyage en Egypte. Parfois, on pouvait y voir les couleurs qui voltigeaient dans l’air. Parfois on peut voir aussi l’évaporation de l’eau, comme en Louisiane où il fait tellement chaud. J’ai retrouvé cela sous le ciel égyptien. Je l’ai refait en peinture. Ma première fille avait six mois, je me levais tôt le matin, puis je m’occupais d’elle après 6h30. C’était un bébé très facile, elle s’endormait deux fois par jour. L’après-midi, j’avais du temps pour peindre. Mais je ne pouvais pas faire quelque chose de très mouillé, avec de l’huile, car quand on doit revenir, la texture a changé et l’inspiration aussi. J’ai donc commencé à faire un tableau sur l’Egypte, en gouache. Je me suis rendue compte que c’était possible, que je pouvais revenir, continuer un travail, retrouve l’inspiration. C’était un plaisir de retrouver cette page-là. Cela a continué. Avec les enfants qui grandissent, qui vous sollicitent, qui ont besoin de votre présence, c’était possible. Je pouvais cantonner au matin la peinture rapide, pointilliste, et continuer l’après-midi une peinture que je ne connais et ne maîtrise pas complètement. »Continuez-vous à l’heure actuelle avec cette technique ?
« Je continue à tout faire. Mais pour cette exposition, ces huit derniers mois, j’ai plus peint avec mes taches. Je les appelle mes taches, car ce sont bel et bien les taches de mon pinceau. Quand on peint, on abîme ses pinceaux au bout d’un certain temps. La térébenthine les brûle. Peindre d’une certaine façon va leur donner une courbe. Je suis très économe, j’ai les mêmes pinceaux depuis des années. Et ils me servent encore, vingt ans après. »Que vous apporte la peinture au quotidien ?
« C’est très facile à dire en anglais, plus difficile en français. Cela s’appelle ‘moments of being’. C’est un terme qui vient de Virginia Woolf. Elle en parle dans ‘Une chambre à soi’. Une des mes expositions au Japon s’appelait ‘Moments of Being’ car je m’étais rendue compte qu’en peignant, je trouvais l’essentiel de moi-même. Je me perds, mais pas dans le sens d’un désarroi. Je me perds parce que je ne pense plus à moi, au quotidien, à mes états d’âme. Je suis dans quelque chose de plus grand que moi et c’est génial. »