Jean-Yves Thibaudet : « Debussy est pour moi une nourriture spirituelle »
Le public de la Maison des artistes de Prague a longuement applaudi, ce mardi, le pianiste Jean-Yves Thibaudet, un des artistes les plus attendus figurant à l’affiche du festival Dvořák qui se poursuit dans la capitale tchèque. Pour ce concert, le pianiste a choisi un répertoire exclusivement debussyste dont il est un interprète accompli. La suavité de son toucher, la finesse de sa dynamique, sa technique éblouissante et la variété infinie des sons, des timbres et des couleurs qu’il a su tirer de son Steinway resteront gravés pendant longtemps dans les mémoires de ceux qui ont assisté à ce concert. Le pianiste a répondu également à quelques questions de la journaliste Markéta Vejvodová et lui a expliqué tout d’abord comment il avait composé le répertoire de son récital pragois :
Il y a beaucoup de pianistes qui jouent bien Liszt, Rachmaninov mais qui sont perdus dans la musique de Debussy. Quelles qualités doit avoir, à votre avis, le pianiste qui veut jouer bien la musique de Debussy ?
« Le mot qui me vient le plus à l’esprit, c’est les couleurs. Je sais que cela semble bizarre de parler de couleurs en musique et pourtant il y a vraiment des couleurs. Ce sont des couleurs qui ne sont peut-être pas le rouge, le jaune, le vert, bien que certains compositeurs, comme Messiaen, aient voulu associer la vraie couleur avec la musique, mais là je parle juste des couleurs du piano, des sonorités. Il faut vraiment chercher pendant des heures, il faut être intéressé à la beauté et à la qualité du son et à toutes ces possibilités infinies de dynamique qui vont au triple pianissimo, quadruple pianissimo, et aussi au jeu de pédales qui est assez extraordinaire. Tout cela demande beaucoup de clarté dans le jeu et je pense que c’est ça qui est le plus important. Il faut donner une très grande variété de couleurs au piano. »Quelle est votre relation envers Debussy ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous quand vous pouvez jouer tout un programme de Debussy au lieu de Chopin par exemple ?
‘Pour moi Debussy est le plus grand quand je joue Debussy, et Ravel est plus grand quand je joue Ravel.’
« C’est très différent, c’est comme parler d’une nourriture différente. On est à un niveau tellement extraordinaire que ce soit Debussy, que ce soit Chopin que ce soit Ravel. Ce sont tous des compositeurs extraordinaires mais tellement différents, on ne peut pas les comparer. Par exemple la question la plus difficile est quand on vous dit : ‘Qui est plus grand, Debussy ou Ravel ?’ Il est absolument impossible de répondre. Ce sont deux génies qu’on ne peut pas comparer. Je dis toujours : ‘Pour moi Debussy est le plus grand quand je joue Debussy, et Ravel est plus grand quand je joue Ravel.’ Ce sont des musiciens qui ont une place importante dans la littérature pour piano et Debussy a ouvert une nouvelle route pour le piano qui a été importante, qui a été suivie, qui a été reprise par Messiaen, par toute la musique française. C’est un précurseur de beaucoup de choses. C’est vrai j’ai joué plus Ravel quand j’étais plus jeune et je ne choisissais que certaines œuvres de Debussy. Et un jour j’ai eu envie d’enregistrer l’intégrale de Debussy. J’ai dû donc apprendre des choses que je ne savais pas. C’était une grande leçon. Et cela fait partie pour moi d’une nourriture spirituelle. Je trouve qu’un pianiste a besoin de connaître Debussy, autant qu’on a besoin de connaître Bach, Mozart, Beethoven, Chopin et Liszt, tous les grands compositeurs. Et Debussy en fait vraiment partie. »