Bertrand de Billy : « Diriger le Asia-Pacific United Orchestra est une étonnante expérience musicale et humaine. »

Bertrand de Billy, photo: Marco Borggreve, Alliance of Asia-Pacific Region Orchestras

Le chef d’orchestre français Bertrand de Billy est venu à Prague pour y présenter un concert assez spécial. Jeudi 23 août, dans le cadre d’une tournée européenne, il a dirigé à la Maison municipale de Prague le Asia-Pacific United Orchestra. Prendre la direction de cet orchestre international a été pour lui un défi. Voici comment il a présenté cette formation au micro de Radio Prague :

Bertrand de Billy,  photo: Marco Borggreve,  Alliance of Asia-Pacific Region Orchestras
« Alors c’est projet très spécial qui réunit 74 musiciens qui viennent de 27 pays différents de l’Asie pacifique unifiée. Quand on m’ a parlé de l’Asie unifiée je pensais que c’était le Japon, la Corée, Hongkong et Taiwan, mais en fait ça va jusqu’à en Australie et c’est donc une zone énorme. Cet orchestre a vu le jour sous l’égide de l’ONU en 2010. C’est pour la première fois que cet orchestre sort d’Asie et vient en Europe. C’est un management chinois qui s’occupe de tout cela. Il y a des musiciens qui viennent de Chine, du Japon, de Corée, un groupe de douze treize musiciens de Macao, beaucoup d’Australiens et quelques Européens, leaders de formations prestigieuses d’Europe qui ont des liens avec l’Asie. Il y a donc quelques Européens et puis les gens vraiment du cru. »

Est-il difficile de diriger des gens aussi différents les uns des autres et de parvenir à l’unité de l’orchestre ?

Asia-Pacific United Orchestra
« Alors c’était justement pour moi d’abord un challenge intellectuel. Fallait-il accepter d’essayer ? Et en fait je trouve que c’est une étonnante expérience musicale et humaine parce que c’est un projet philosophique et utopique qu’on peut comparer dans une certaine mesure à l’Orchestre Divan de Barenboïm qui réunit Palestiniens et Israéliens sans entrer dans les pays en guerre. La grande surprise a été pour nous tous de voir le niveau de l’orchestre dès la première répétition. Quand vous pensez qu’on a répété pour la première fois ensemble le 17 août et qu’on a donné notre premier concert à Bratislava le 19 août, nous n’avons eu que quatre répétitions plus une générale et un concert, cela a été étonnant, et je dois dire que j’étais sidéré, et tout monde aussi, par le niveau de cet orchestre. C’est le niveau des meilleurs orchestres européens. »

Vous allez présenter à Prague des compositions de Beethoven et de Tchaïkovski. Pourquoi ce répertoire, qui a choisi le programme de ce concert ?

« Beethoven c’était le choix de la soliste à la base qui est tombée malade. Nous avons la chance d’avoir Stefan Vladar qui la remplace. Ils ont souhaité une oeuvre asiatique en ouverture donc c’était une oeuvre d’un compositeur très en vogue en Chine qui a été retenue. Et puis Tchaïkovski et je dois dire que ce n’était évident de se mettre d’accord sur une symphonie parce qu’au départ il voulaient une autre symphonie de Tchaïkovski que je ne trouvais pas idéale pour une tournée. J’ai proposé Brahms et les Chinois trouvaient ça trop allemand. Ils voulaient la Symphonie fantastique de Berlioz mais je leur ai dit ‘Vous savez ce que c’est de partir en tournée avec la Symphonie fantastique de Berlioz. C’est un énorme orchestre et on aura des problèmes de logistique. » On s’est donc mis d’accord sur la IVe symphonie de Tchaïkovski qui me tient particulièrement à cœur parce que c’est une oeuvre écrite à une époque de douleur intense dans la vie du compositeur. Tchaïkovski qui cachait son homosexualité et venait de se marier avec une de ses élèves du conservatoire pour entrer dans cette société russe sans avoir trop de problèmes, se rend compte tout à coup de l’absurdité de tout cela et se révolte complètement. Le début de cette symphonie est la révolution contre tous ces tabous et ensuite vient la mélancolie de la valse : ‘Pourquoi il ne serait pas possible d’être si heureux d’une manière différente ?’ »

D’après votre curriculum vitae il apparaît que vous êtes surtout un chef d’orchestre lyrique parce que vous avez dirigé énormément d’opéras dans le monde entier. Ici vous dirigez de la musique symphonique. Y a-t-il une grande différence entre la musique d’opéra, la musique lyrique et la musique pour grand orchestre symphonique ?

« C’est vrai que j’ai fait beaucoup de musique lyrique mais j’ai été aussi pendant huit ans directeur musical de l’Orchestre symphonique de la Radio Autrichienne avec lequel j’ai fait 80% du répertoire symphonique. Donc je peux dire maintenant que j’ai réussi un équilibre entre l’opéra et le symphonique. Oui bien sûr, il y a une grande différence sur la manière de travailler mais ce sont des répertoires absolument complémentaires. Je n’imagine pas de faire que de l’opéra ou que du symphonique. Comme je ne souhaite à aucun orchestre de ne faire que de l’opéra ou que du symphonique. Vous avez en symphonique une rapidité de répétitions, je vous en ai parlé ici de trois jours de répétitions et un concert. Ce serait impossible à l’opéra. Dans le répertoire symphonique il y a une plus grande palette de compositeurs et de couleurs, à l’opéra vous apprenez plus à écouter les chanteurs, les uns les autres, à réagir, être aux aguets de tout ce qui se passe sur la scène, plus flexible peut-être. Donc les orchestres qui font les deux gagnent la flexibilité et ceux qui font aussi du symphonique ont en plus toute la palette du répertoire. »