« Nous avons vécu des choses extraordinaires avec Václav Havel »
Jean-Pierre Plazas est comédien et directeur artistique de la compagnie théâtrale Lux in Tenebris, basée à Marmande (Lot-et-Garonne). Depuis plusieurs années, il s’intéresse à l’œuvre dramatique de Václav Havel. Il a mis en scène notamment sa trilogie « Audience », « Vernissage » et « Pétition », ainsi que ses « Lettres à Olga ». Peu avant le décès de Václav Havel, il a même écrit une pièce sur et pour lui, intitulée « Interrogatoire interrompu »… Jean-Pierre Plazas est l’invité de ce nouveau numéro de Culture sans frontières.
« Je connaissais M. Václav Havel en tant qu’homme politique et dissident surtout. Je savais qu’il était dramaturge, mais je n’avais jamais rien lu, et puis il y a onze ans de cela, je suis allé dans une bibliothèque et je suis tombé sur ‘Audience’, ‘Vernissage’ et ‘Pétition’, sa trilogie. J’ai lu et là j’ai eu un coup de foudre. La troupe professionnelle ‘Lux in tenebris’ a décidé de travailler sur les dissidents et de commencer par Václav Havel. Nous avons décidé de participer au festival d’Avignon. C’était un véritable succès. »
Donc c’était avec « Audience » d’abord, en quelle année ?
« C’était en 2005. Un journaliste tchèque est venu me voir, et a trouvé l’ambiance fantastique. Il a été tellement épaté, qu’en rentrant en République tchèque, il est allé voir M. Zeman, le directeur du théâtre de Hradec Králové, et le directeur est venu l’année suivante ou deux ans après. Il a été enthousiaste lui aussi, et nous a fait venir à Hradec Králové en 2008. »Hradec Králové où se tient chaque printemps un grand festival de théâtre…
« Oui, c’est un festival magnifique. Nous avons été reçus comme des princes, reçus également par M. Václav Havel. Là ça a été un grand bonheur. »
Comment s’est passé cette rencontre ?
« Avec beaucoup d’émotion pour moi, j’étais comme un enfant devant une vitrine. Il était tellement gentil, il avait une aura extraordinaire. C’était le premier à se lever à la fin de chaque pièce et à nous applaudir. Il disait que la France était le berceau du théâtre de l’absurde et qu’il n’y avait que des Français pour pouvoir monter ses pièces. Il était accompagné de ses amis, d’Ondřej Krob, son ami et metteur en scène qui a monté toutes ses pièces, de son photographe Bohdan Holomíček qui nous prenait sans cesse avec des sourires, des connivences. On a bu du bon vin de Moravie, on a gardé un souvenir immense de ce festival… En revenant ici, on a continué notre travail sur lui, donc les trois pièces ont été montées. Puis j’ai décidé de monter plus tard, ‘Lettres à Olga’. En m’appuyant bien évidement sur les lettres qu’il a écrites pendant qu’il était en prison. J’ai décidé de réaliser un film, à la fois un film de fiction et à la fois sur la réalité, sur de vraies images, comme il le fait dans ses pièces. Puis on m’a encore repéré en Avignon. Puis pour le premier festival mondial de Brno, en 2010, j’ai été sélectionné pour représenter la France avec ça. Václav Havel était la à nouveau. »Donc c’était votre deuxième rencontre avec lui…
« Oui. Il était tout perdu dans son petit jeans, fatigué, très fatigué. Il n’avait pas le droit de venir à Brno, mais il avait une forte tête quand même ! Il était là. On a vu ses trois pièces, ‘Audience’, ‘Pétition’ et ‘Vernissage’. Joué par les comédiens d’Ondřej Krob, en plein air, près de la citadelle de Brno. Ensuite je suis allé jouer ‘Lettres à Olga’, au théâtre de « L’oie au bout de la ficelle » (Husa na provázku, ndlr), où on fait de belles choses. J’ai vécu avec lui des choses extraordinaires. Des pièces de théâtre remaniées, rejouées, dans les combles de ce théâtre et aussi dans les caves. Des comédiens qui sautaient au-dessus des poutrelles en fer. Des théâtres improvisés, ça ne peut exister que chez vous. Ce vent de liberté, c’est quelque chose que nous n’avons pas en France, où le théâtre reste quand même assez académique. »Le spectacle « Lettres à Olga », comment est-il conçu ? Comment avez-vous choisi les lettres qui figurent dans votre pièce ?
« C’est difficile de choisir, alors j’ai évité évidemment les thèmes philosophiques, parce que ce serait ennuyeux. J’ai choisi des lettres sur ses premiers jours. La première lettre, ensuite où il recommande à sa femme de ne pas rester seule. Les lettres où il est dans la prison sur un tas de ferraille, il entend des enfants, ça c’est magnifique. Il y a un élan de liberté, de jouissance, ça c’est beau. Il y a aussi des lettres de révolte, parce que l’on va lui changer de prison, il est très mal. Aussi contre ses camarades parce qu’ils ne sont pas à la hauteur. Son soir de Noël, où il prend de l’aspirine en guise de champagne, pour que ça pétille un peu. J’ai pris une lettre sur ‘L’étranger’ d’Albert Camus. Sur lui, sur ses douleurs, très peu quand même, je n’ai pas voulu, parce qu’il en parle très peu, il reste très modeste. »Et il y a plein d’espoir aussi, dans beaucoup de lettres, curieusement…
« C’est quelqu’un de fabuleux. En principe je ne m’en vais pas après avoir joué, je reste sur scène et j’ai un dialogue avec le public, ils me posent des questions, j’essaye de répondre, quand je sais évidemment. Ça devient un vrai plaisir, on rentre vraiment dans l’intimité de cet auteur, de cet homme magnifique, de cet homme engagé. C’est le théâtre engagé aussi que j’aime, c’est pour cela que Václav Havel c’est mon copain. Là j’ai écrit une pièce pour lui, qui s’appelle ‘Interrogatoire interrompu’, et non pas à distance. Pièce que je lui ai offerte pour ses 75 ans, que j’ai envoyée en République tchèque. Je ne sais pas s’il l’a lue ou non, si elle a été traduite ou non, mais je suis en train de la monter. »
Qu’est-ce qu’elle raconte cette pièce ?
« Je me suis inspiré évidement de l’‘Interrogatoire à distance’, de Karel Hvížďala, un entretien et non pas un écrit. Et j’y imaginais que Hvížďala, qui était en Allemagne de l’Est, envoyait des cassettes avec des questions à Václav Havel, et que Václav Havel répondait en s’interviewant avec des cassettes, un échange de cassettes. Et comme je sais que Václav Havel a toujours peur quand il écrit, de perdre ses choses, que l’on les lui vole etc. Je l’ai mis dans une espèce de tension nerveuse et de peur. Il est dans son appartement, fatigué apparemment, il est habillé avec un peignoir. Au début il y a un prologue très sympathique où on entend, l’hymne russe qu’il éteint etc., puis il écrit une lettre à un ami peintre et tout d’un coup il se met à enregistrer la réponse à la première question posée sur son enfance dorée, il commence a parler puis tout d’un coup il va être dérangé par la sonnerie, ça va être le concierge et ce concierge est gentil, mais il met son nez un peu par tout. Mais Václav Havel est tellement poli, il le reçoit mais en même temps il le craint. A chaque fois qu’il entendra la sonnette, il va se précipiter sur un comprimé, boire un verre d’eau, essayer de planquer sa cassette et après oublier où il l’a mise. Pendent toute la pièce il va être dérangé. »C’est vous qui jouiez Václav Havel justement…
« Oui, mais je ne devais pas le jouer. Je voulais être le metteur en scène cette fois-ci. J’avais trouvé un comédien sur Avignon que j’aimais beaucoup, que je trouvais intéressent. Il m’a dit oui, mais dix jours après il m’a dit, j’ai peur de ne pas pouvoir le faire correctement parce que j’ai beaucoup de travail. Là je me suis dit : ‘à toi de faire Václav Havel, et voilà je joue Václav Havel et j’en suis très heureux. »
Jean- Pierre Plazas, est-ce que vous n’avez pas envie de monter la dernière pièce de Václav Havel « Sur le départ » ?
« Oui, bien sûr, et c’est sur tout Marie–France (son épouse et metteuse en scène, ndlr) qui voulait monter cette pièce-là. Dix-sept comédiens c’était fantastique, en plus nous avons vu la pièce à Hradec Králové et c’était magnifique, avec des acteurs fabuleux. C’était très beau et très fort, très amusant et en même temps dur aussi, on apprend des choses sur le pouvoir. Nous avons reçu la première traduction, elle était bien, mais le livre n’était pas encore imprimé en République tchèque. Donc nous avons reçu ça, nous l’avons lu et apprécié de le lire, et bien sur nous l’avons trouvé fabuleux. Mais après on s’est dit, comment monter une pièce aujourd’hui avec dix-sept comédiens, avec de vrais rôles. L’envie était là, donc nous sommes allés voir l’institution française pour nous aider à monter ce projet-là. Ils ont dit que ce n’était pas possible car c’est un trop gros budget. Donc nous avons ça sous le coude, le jour où les gens voudront bien nous aider, peut-être des comédiens qui voudront monter cette pièce avec nous, on le fera. Nous allons croiser les doigts puisque avec Václav Havel nous avons tellement de bonheur et de chance peut être que ‘Sur le départ’ en aura aussi. »