Benedikt Ried, architecte à la cour de Vladislas Jagellon
560 ans se sont écoulés depuis la naissance de Benedikt Ried, architecte d’origine allemande à la cour du roi Vladislas Jagellon. Ried s’est inscrit dans l’histoire en tant que représentant du gothique tardif appelé en Bohême gothique jagellonien. La voûte de Riedl est un extraordinaire lacis de nervure formant des motifs décoratifs aériens en forme de rosace. La salle Vladislas au château de Prague est la réalisation la plus connue de Ried, outre l’église Sainte-Barbe de Kutná Hora et l’église Saint-Nicolas de Louny où Radio Prague a interviewé Jan Mareš, historien des archives de Louny.
Située au coeur de l’ancienne ville royale de Louny et établie sur un promontoire, l’église Saint-Nicolas surprend par ses dimensions, par sa tour massive haute de 65 mètres, construite au XIIIe siècle pour arbriter le trésor, et par ses trois flèches élancées qui surmontent la toiture. La question qui se pose est de savoir, pourquoi une construction aussi monumentale dans un bourg relativement petit? On écoute Jan Mareš:
« Depuis le XIIIe siècle, deux villes aux alentours, Litoměřice et Žatec, possèdent un château, résidence royale des Přemyslides, alors que dans la partie basse de l’Elbe qui est une porte de la Bohême centrale, un lieu fortifié fait défaut. C’est ainsi que le roi Premysl Otakar II décide, autour de l’an 1260, de fonder près du village de Luna une ville qui s’appelera Louny. La première chose à laquelle on pense en fondant une ville, au Moyen-âge, est de la doter d’une église. »
L’église de Louny est dédiée à saint Nicolas, patron des commerçants: au Moyen-âge, Louny est un important carrefour de voies commerciales; l’une reliant Prague à la Saxe, l’autre conduisant vers Nuremberg. Centre spirituel de la ville, l’église est depuis la moitié du XVe siècle placée sous le patronnage des bourgeois de Louny. Lorsqu’un incendie survenu en 1517 ravage Louny en détruisant l’église dont il ne subsiste que les murs extérieurs et la tour, les bourgeois ne tardent pas à organiser une collecte dont les recettes seront reversées au profit du renouveau de l’église. L’année 1517 est une année de renaissance de l’édifice. Pour sa réfection, Louny fait appel au meilleur bâtisseur de l’époque, raconte Jan Mareš:« On fait appel au tailleur de pierres Benedikt Ried, architecte de renom et auteur de nombreuses réalisations au château de Prague, dont la majestueuse salle Vladislas du vieux Palais royal, lieu de couronnement des rois et qui sert désormais de lieu d’investiture du président de la République. Ried a reconstruit les fortifications du château de Prague, rénové l’hôtel de ville de la Nouvelle-Ville praguoise. On lui doit également l’église Sainte-Barbe de Kutná Hora et l’un des palais du château de Blatná. A Louny, Ried se charge de la conception architectonique et de l’élaboration du projet de rénovation de l’église Saint-Nicolas. Ses compagnons sont notamment le tailleur de pierres Filip Parléř et le maître d’oeuvre, Pavel de Pardubice. »En 1520, les fondations d’une nouvelle église sont posées. La construction est achevée en 1538, après dix-huit ans de travaux, du moins en ce qui concerne la maçonnerie et les éléments en pierres:
« L’espace intérieur de l’église correspond pleinement au concept du style gothique tardif qui est, dans ce cas précis, influencé par la Contre-réforme saxonne. On aperçoit la très belle salle à trois nefs qui abandonne le principe de séparation des nefs latérales de la nef centrale. C’est un espace parfaitement uni, répondant aux revendications de la pensée religieuse de l’époque: pouvoir se rassembler en un seul espace ouvert pour entendre un sermon, une messe. A la différence des églises baroques, la chaire est située au milieu de la nef centrale, sur une colonne entre les bancs, signe du mode de pastoration pratique ayant pour but d’être le plus près des croyants. »Les bourgeois de Louny continuent à accorder leur protection à l’église rénovée, ce qui se manifeste notamment dans sa riche décoration. Ils ne lésinent pas sur les moyens financiers pour acheter des Graduels: recueils de chants propres de chaque messe. Trois précieux Graduels du XVIe siècle sont gardés dans les archives de Louny, comme le raconte Jan Mareš :
« L’aspect actuel de l’église est façonné dans les années trente du XVIe siècle : l’édifice est doté d’une très belle voûte à nervures entrelacées. Le décor est caractérisé par une grande virtuosité de la taille de la pierre : il évolue vers un ornement exubérant, les rosaces se font plus aériennes et l’ogive cesse d’être un système de support. Les colonnes sont remplacées par les nervures. La voûte d’ogive décorative est le résultat du jeu du tailleur de pierres avec le matériel et l’espace sphérique ; le résultat de sa maîtrise. » L’image change de façon dramatique lorsqu’on regarde le presbyterium. On y aperçoit une immense masse de bois avec lequel sont faits les trois retables baroques. Le bois de couleur foncée est sans peinture ou polychromie quelconque. Pillée et détruite durant la guerre de Trente Ans, la ville de Louny procède cinquante ans plus tard à un nouvel investissement : la réalisation des retables. L’investissement le plus important depuis la construction de l’église. On écoute Jan Mareš:« Toujours autant fiers de leur ville, les habitants de Louny font à nouveau appel aux meilleurs artistes de l’époque : ils s’adressent à Mark Noenmacher, ébéniste à la cour royale, qui demande la participation de ses collègues Jeroným Kohl et František Preiss, deux figures marquantes du Baroque tchèque. Sculptés entre les années 1701-1704, les retables sont en bois d’origine. Faute de moyens, la ville a dû renoncer aux plans d’ornement des retables de peinture et de polychromie. Grâce à cela, on est impressionné par le contraste entre l’art gothique, beau, élégant et en quelque sorte austère, d’une part, et le baroque joyeux, imposant, épanoui, de l’autre. Il s’agit vraiment d’une chose unique qu’on ne trouve pas souvent dans d’autres églises. »
Classée au patrimoine culturel national, l’église de Louny compte parmi les oeuvres majeurs de l’architecture sacrale flamboyante en Bohême. Une autre réalisation de Benedikt Ried, l’église Sainte-Barbe de Kutná Hora est, quant à elle, l’un des douze sites tchèques inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Finalement, l’oeuvre la plus connue de Ried, la salle Vladislas au château de Prague, est réputée pour sa voûte composée de cinq parties reliées entre elles par un jeu continue de nervures arrondies et segmentées : un plafond qui semble comme suspendu dans les airs en raison de l’absence de colonnes centrales. Par ses dimensions imposantes - 62 mètres de longueur sur 16 mètres de largeur et 13 mètres de hauteur, cet espace était, au moment de son achèvement, en 1502, la plus grande salle séculière de l’Europe centrale.
Benedikt Ried, connu aussi sous le nom de Rejt, en tchèque, meurt à Louny le 30 octobre 1534, au milieu des travaux de l’église Saint-Nicolas où il est inhumé.