Salieri à Náměšť et la naissance d’une tradition musicale
A la fin du XVIIIe siècle, le château Renaissance de Náměšť nad Oslavou près de Brno devient un centre de musique réputé et reconnu à l’échelle de l’Europe centrale. Le mérite du succès revient au propriétaire du domaine, Henri Guillaume Haugwitz, ami de compositeurs célèbres comme Antonio Salieri dont Le Requiem est joué pour la première fois au château de Náměšť. Retour sur une tradition musicale née il y a plus de deux cents ans avec l’historien Marek Buš.
Le château de Náměšť devient un centre musical grâce à ses derniers propriétaires, la famille Haugwitz. En 1752, le domaine est racheté par Frédéric Guillaume Haugwitz, ministre et conseiller de l’impératrice Marie Thérèse. La tradition musicale commence avec son fils Henri, raconte Marek Buš:
« Elle date de 1794, lorsque le domaine devient la propriété d’Henri Guillaume Haugwitz, alors âgé de 24 ans. Pendant ses études à Vienne, il fait connaissance avec l’élite de la vie musicale viennoise, notamment avec Antonio Salieri et Christophe Willibald Gluck. Dès son arrivée au château, il réalise son rêve de créer un centre musical à Náměšť. »
Henri Guillaume Haugwitz fonde au château un orchestre qui compte une trentaine d’instrumentistes, neuf solistes et vingt-quatre choristes. Cet orchestre est remarquable tant par le nombre de musiciens que par l’étendue du répertoire et ses qualités artistiques:« Le professeur Sehnal de l’Université Masaryk a étudié les documents d’archives concernant l’orchestre du comte Haugwitz. Sur la liste des personnes qui s’y sont succédées durant ses quarante ans d’existence, on trouve des cochers, des servants, des jardiniers. L’ensemble est complété par des précepteurs, des musiciens de villages voisins ainsi que par des personnes ayant une érudition musicale approfondie. Haugwitz ne lésine par sur les moyens versés au profit de la formation musicale des membres de l’orchestre. Il leur achète des billets au théâtre de Vienne, de Brno et de Prague et n’hésite pas à financer des cours pour perfectionner le jeu des instrumentistes. En outre, il ne se passe pas une semaine sans qu’un concert ne soit donné au château. »
Des concerts sont donnés dans la chapelle du château, dans la bibliothèque et, en été, dans la splendide Salla Terrena. Entre 1820 et 1840, Georg Friedrich Händel est l’un des auteurs le plus souvent joué au château. Le comte Haugwitz achète au compositeur Samuel Arnold, une édition complète, bien qu’inachevée, de l’œuvre de Händel, et se charge lui-même de la complèter. La plupart de ces opus sont interprétés à Náměšť. Haugwitz traduit des livrets de Händel, intervient dans les partitions et adapte ses œuvres conformément aux capacités et à la répartition des instruments au sein de son orchestre. Au fur et à mesure, il réunit au château une collection riche d’environ 1400 œuvres musicales. Dans les archives, on trouve des originaux de compositions d’Antonio Salieri dédiées à son ami, le comte Haugwitz, dont le fameux ‘Requiem’. La première présentation publique de cette oeuvre a par ailleurs eu lieu dans la chapelle Saint-Venceslas du château de Náměšť:
« La dédicace de 1821 par laquelle Salieri a dédié son "Piccolo Requiem" à Haugwitz a été conservée au château. La première mention d’un séjour de Salieri à Náměšť apparaît dans la biographie du compositeur et écrivain Ignaz Franz von Mosel, édité en 1827, soit deux ans après la mort de Salieri. Mosel y écrit que, dans les années 1810-1823, Salieri a séjourné plusieurs fois à Náměšť. »En dépit d’une différence d’âge de vingt années, des liens amicaux existent entre le compositeur italien Antonio Salieri et le propriétaire du domaine de Náměšť, Henri Guillaume Haugwitz. En 1817, à l’occasion de son anniversaire, Salieri dédie à son ami "La Cantate de félicitation". Pour la comtesse Haugwitz, Salieri compose une collection intitulée "Scherzi armonici vocali". En 2010, ces œuvres, ainsi que "Le Piccolo Requiem" ont été au programme du projet "Salieri à Náměšť" qui a mis à l’honneur le compositeur italien mort il y a 260 ans, observe Marek Buš:
« Le public a été surpris par la beauté de la musique de Salieri. A vrai dire, beaucoup d’entre nous perçoivent Salieri d’un œil négatif. Cela date du temps de Pouchkine et de Rimski-Korsakov, et cela continue avec le film Amadeus de Miloš Forman. Pour cette raison, nous avons voulu réhabiliter Salieri aux yeux de l’opinion et le présenter comme l’auteur d’une très belle musique qui mérite d’être interprétée et écoutée. »Henri Guillaume Haugwitz a un continuateur pour cultiver la tradition musicale à Náměšť: c’est son fils, Charles Guillaume, qui enrichit la collection des œuvres musicales et qui compose une série d’opus, avant de dissoudre l’orchestre, comme nous l’explique Ivana Balážová, guide au château:
« La tradition musicale est poursuivie par son fils, Charles, sauf que l’orchestre comptait au départ 60 membres et qu’il l’a réduit. Le public est alors moins important. Il n’empêche que Johan Strauss était parmi ses amis. »
La famille Haugwitz reste propriétaire de Náměšť jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le château est confisqué conformément aux décrets du président Beneš. En 2010, la résidence Renaissance est classée Monument culturel national. Actuellement, on y donne des concerts qui renouent avec la riche tradition musicale née dans ces lieux il y a plus de deux cents ans.