« E-love » : voyage d’une femme à la découverte des hommes... et de la vie
Cinéaste diplômée en philosophie, Anne Villacèque a tourné plusieurs documentaires pour ARTE avant de passer, avec le long métrage « Petite chérie » (2000) à la fiction. Attirée par des thèmes de société, l’adolescence, la vie sentimentale et familiale, par, comme elle le dit elle-même, « la banalité du quotidien qui est une chose extraordinaire », Anne Villacèque est récemment venue à Prague, pour présenter au public du Festival du film français son nouveau téléfilm « E-love ». Son héroïne, Paule Zachman, professeur de philosophie quinquagénaire, décide, suite à l’échec de son mariage, de s’inscrire sur un site de rencontre sur Internet. Au micro de Radio Prague, Anne Villacèque nous parle de son film et aussi de ses toutes premières découvertes de l’Europe de l’Est, à l’époque de son enfance.
« Oui, c’est ça ! C’est un voyage à la découverte des hommes et de la vie. Je suis partie sur cette histoire sans rien connaître des sites Internet. Pour moi, c’était une fiction totale, une découverte aussi. Je me suis beaucoup amusée, parce que j’entendais des amies me parler de leurs rencontres sur Meetic et cela me paraissait extraordinaire ! Je trouvais d’abord qu’il fallait un courage incroyable pour rencontrer des hommes qu’elles ne connaissaient pas. Parfois, il y a beaucoup de préalables sur Internet, mais parfois c’est très rapide. Finalement, je raconte l’histoire d’une femme qui se découvre elle-même. Elle croit chercher un compagnon, mais en fin de compte, c’est elle qu’elle découvre. Cela m’a paru beau. »
Que découvre-t-elle alors ?
« Une femme nouvelle, plus libre. Tous les coups qu’elle se prend ne sont pas pour rien. Elle découvre par-là jusqu’où elle peut aller, qu’est-ce qu’elle cherche vraiment. A la fin, elle a plus de force et de flamme. C’est une femme différente. »Peut-on dire alors que vous vous êtes inspirée des histoires vécues par vos amies ?
« Non, l’histoire est tirée d’une sorte de journal intime, autobiographique d’une femme qui a été mon professeur de philosophie à 25 ans, quand j’était étudiante. C’est un journal très noir, sombre, mais en même temps riche et intéressant. Il m’a fait réfléchir pourquoi une femme de cette intelligence, de ce milieu, pouvait tout d’un coup plonger dans l’ivresse des rencontres, l’ivresse des possibles. Je me suis projetée dans cette histoire. J’ai essayé de m’imaginer dans chacune des rencontres, pour voir comment j’allais pouvoir réagir. Anne Consigny m’a beaucoup aidée, car nous avons une sorte de proximité... Nous nous sommes bien comprises sur le personnage. »
Anne Consigny, c’était un choix évident pour vous ?
« C’était un choix préalable. J’ai choisi l’actrice avant d’écrire le scénario. C’est difficile d’écrire le scénario, de mettre tout dedans et à la fin se trouver aux mains d’une actrice qui ne veut pas faire exactement ce qu’on a voulu. Je me suis dit : ‘Je préfère rencontrer l’actrice, lui raconter l’histoire et si elle me fait confiance, je vais écrire pour elle.’ Comme Anne était très partante, j’ai tout le temps pensé à elle, à sa petite silhouette fragile, à son côté frémissant... Dans chacune des scènes, son physique et sa grâce m’ont beaucoup inspirée. »
Il me semble que dans votre film, les hommes sortent de ces aventures aussi désabusés que les femmes. Vous traitez les personnages masculins avec beaucoup d’humour et d’ironie... Comment les avez-vous travaillés ?
« Le mari est un peu une invention, mais sur les personnages masculins que Paule rencontre, il y avait déjà des éléments dans le journal intime. On a pioché dans les expériences de son auteur. Nous nous sommes beaucoup amusés sur les pseudonymes. Ensuite, nous avons poussé les scènes, en se disant qu’il faut toujours surprendre. Il fallait montrer comment même la rencontre la plus banale pouvait déboucher sur de grosses surprises. Nous avons cherché à suprendre le spectateur, le personnage, à créer aussi des écarts sociaux et psychologiques. »Pensez-vous qu’au fond, c’est une chose bien que de pouvoir rencontrer des gens sur Internet ?
« J’ai essayé de ne pas juger. Au départ, je trouvais cela horrible, abominable. L’idée que l’on cherche quelqu’un sur Internet en cochant des qualités comme si on faisait ses courses au supermarché... »
Et même visiter, grâce à la vidéo, les appartements des gens...
« Ça, on l’a imaginé. Au départ, cette possibilité n’existait pas. Mais nous nous sommes beaucoup amusés à inventer un site où les hommes présentent leurs petits intérieurs... C’est assez drôle, je trouve. Donc je me suis interdit de juger cela. Pourquoi ce serait une idée abominable s’il y a tant de gens qui le font ? Quelque part c’est bien, cela apporte quelque chose. Tout d’un coup, cela ouvre des possibles dans des vies où, finalement, on ne rencontre pas grand monde, on est tous dans nos petits boulots et on ne rencontre que des gens qui nous ressemblent. J’ai imaginé un personnage qui avait envie de rencontrer des gens qui ne lui ressemblaient pas du tout. Paule est très curieuse. C’est aussi une de ses qualités : elle y va. Elle va rencontrer des types en se disant : ‘Tiens et si j’essayais, si je regardais ce que ça donnait...’ Bon, cela ne marche pas, parce que ce n’est pas si facile que ça... Mais au moins, elle y va et je trouve cela formidable. »
Ce phénomène de communication et de rencontres sur Internet, qui est si courant dans notre vie quotidienne, pourquoi est-il, d’après vous, si peu exploré au cinéma ?« Je pense que les gens trouvent cela trop banal. Internet est tellement entré dans les mœurs que ce n’est pas intéressant. C’est vrai, ce qui est intéressant, ce sont les rencontres et aussi le fait qu’Internet permet de rencontrer plein de gens au lieu d’un ou deux. Du coup, cette femme n’est pas avec deux ou trois hommes, mais avec six, sept, peut-être plus ! C’est très bizarre. (rires) J’aime bien partir de choses très banales dont on peut tirer des choses vraiment intéressantes. »
Quelles sont ces choses banales, à part Internet ?
« En ce moment, j’ai fini un scénario sur la vie de deux couples qui sont voisins. Le scénario, apparemment, ne traite que de la vie quotidienne : des repas que l’on fait, des choses très triviales. Mais au fond, je pense que cela parle des drames de l’existence. Je ne veux pas attraper le spectateur sur l’extraordinaire, pour dire : ‘Oh, ça va être fantastique !’ Non, je pense qu’il faut parler aux gens de ce qui les concerne. D’ailleurs, ‘E-love’ est un tout petit film de télévision, mais il touche beaucoup les publics à l’étranger et partout, il est parfaitement compris. »
Anne Villacèque, c’est la première fois que vous venez en République tchèque ?
« Non, j’étais venue il y a très longtemps, avec mes parents. Quand j’étais petite, dans les années 1970, mes parents m’emmenaient toujours en vacances dans les pays de l’Est. Nous avons fait du camping un peu partout et notamment dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Je suis revenue au début des années 1990 et avec mon premier film, je suis allée au Festival de Karlovy Vary. »
Quel souvenir avez vous gardé de vos vacances en Tchécoslovaquie ?
« En fait, j’avais un père qui était professeur d’histoire et dont les parents étaient communistes. Mon père a toujours été de gauche, mais profondément anti-communiste. Il voulait aller voir les pays communistes pour montrer à son père que ce n’était pas bien. A notre retour, ils avaient à chaque fois de grandes discussions... On même temps, il y avait une telle chaleur dans les pays que l’on traversait... Certaines rencontres étaient formidables, ce n’était pas négatif. Je garde un très beau souvenir de ces voyages. On habitait à Nîmes qui était jumelé avec Prague. Au Lycée Daudet, où il y a une section tchèque et qui était aussi mon lycée, mon père avait beaucoup d’étudiants de Prague et nous nous sommes souvent rencontrés lors de nos séjours ici. »Avez-vous vécu, à Prague ou ailleurs, quelque chose qui vous a particulièrement marquée ?
« J’ai un grand souvenir de la Roumanie et je pense d’ailleurs que cela s’est passé la même année où nous sommes allés en Tchécoslovaquie. Dans tous les pays, on campait, à l’exception de l’Union soviétique où c’était interdit. En URSS, nous avions fait des voyages organisés : avec d’autres communistes nous sommes allés voir des usines modèles, des kolkhozes... A Bucarest, je suis tombée malade, j’avais une méningite. C’était grave, j’avais 7 ou 8 ans et j’ai été hospitalisée pendant une quinzaine de jours. Dans cet hôpital de Bucarest, on manquait de tout, il n’y avait rien à manger, c’était horrible. Mais les médecins et les infirmières étaient formidables avec moi. Tout ce qu’ils pouvaient trouver à manger, ils me l’amenaient. Ils parlaient tous le français et comme j’étais une petite fille, ils m’ont trouvé des piles de ‘Pif Gadget’ qui était le journal pour enfants du Parti communiste français et que je n’avais pas le droit de lire à la maison parce que c’était trop débile. Mais là, je me suis abreuvée pendant quinze jours de ‘Pif Gadget’ et c’était formidable. Malgré les mauvais souvenirs médicaux, c’était une sacrée expérience pour moi de rester dans cet hôpital. »