Rendez-vous des poètes de moins de 22 ans

Photo: Ondřej Lipár

La poésie, genre littéraire qui n’attire plus le grand public, existe pourtant et il semble qu’elle ne manque pas de jeunes adeptes. Chaque année, les jeunes poètes se donnent rendez-vous dans la ville de Kutná Hora non loin de Prague. Ils participent au petit festival de poésie qui porte le nom du poète Jiří Orten. La XVIIIe édition de ce festival a eu lieu du 9 au 11 septembre dernier et dans son cadre ont été proclamés les résultats du concours des poètes de moins de 22 ans.

C’est le Club des originaires et des amis de la ville de Kutná Hora qui organise le festival. Le nom de Jiří Orten, lui-même originaire de Kutná Hora, un beau site médiéval situé à quelque 70 km de Prague, symbolise la poésie mais aussi la jeunesse. La vie de ce poète n’a duré que 22 ans. Mort au matin de la vie, il reste éternellement jeune.

Jiří Orten est né en 1919 dans la famille d’un commerçant juif. Après des études au lycée il quitte sa ville natale et s’inscrit dans la section d’art dramatique du Conservatoire de Prague. Il entre dans la littérature par le journalisme et ses articles paraissent dans des journaux et des revues tchèques dès 1936. Trois ans plus tard il publie son premier recueil de poésies. Après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne nazie, son origine juive le réduit au niveau du paria. Assigné à résidence à Prague, abandonné par la fille qu’il aime, il sombre dans la solitude et confie son désespoir dans ses poèmes et ses journaux intimes.

Jiří Orten
Ses vers de ce temps-là et son journal sont des témoignages d’une rare force expressive sur une existence brisée par l’injustice du sort et pourtant restée belle grâce à la richesse de la vie intérieure du jeune écrivain. Son talent lui permet de fondre le désespoir en poésie et en fera un des poètes les plus lus et les plus aimés de sa génération. Jiří Orten mourra le 1er septembre 1941 des suites d’une collision avec une voiture allemande dans les rues de Prague. Grâce à cette mort prématurée, il échappera à la déportation et à la chambre à gaz.

Le festival de Kutná Hora qui porte le nom de Jiří Orten se propose d’attirer l’attention des lecteurs actuels sur l’oeuvre de ce poète ainsi que sur la jeune poésie. Dans son cadre est organisé chaque année une série de manifestations culturelles, des lectures des vers de Jiří Orten et de jeunes poètes, des séminaires littéraires et des concerts. On analyse les oeuvres des jeunes adeptes de la poésie, on discute, on récite des vers. Les organisateurs annoncent les résultats du concours de la jeune poésie. L’âge des poètes en herbe qui y participent ne doit pas dépasser 22 ans, âge auquel Jiří Orten a quitté le monde, et leurs vers ne doivent pas avoir été déjà publiés dans un recueil. Le jury évalue des poèmes qui ne sont pas signés car le concours est strictement anonyme. La date limite de présentation des oeuvres au concours est le 31 mars. Le jury dispose donc de plusieurs mois pour juger les oeuvres de ces écrivains débutants. Bien que les participants au concours soient relativement nombreux, le bon poème reste comme toujours l’oiseau rare. La poétesse, traductrice et professeur Lenka Chytilová qui est membre du jury du concours, définit les principaux aspects de la bonne poésie :

Lenka Chytilová
« Ce qui est le plus important, c’est que le poème soit poème, qu’il soit le fruit d’une imagination originale, qu’il produise des images poétiques d’une expression personnelle, qu’il ne soit pas tout à fait interchangeable avec d’autres textes, qu’il ne soit pas l’oeuvre d’un épigone, et dans le cas idéal, qu’il soit vraiment original et efficace, un peu comme une apparition. »

Le jury est composé surtout de poètes, de critiques littéraires et de professeurs de lycée. Parmi ses membres il y avait également, cette année pour la première fois, le poète et éditeur Jan Těsnohlídek. Son bilan personnel de la qualité des concurrents est mitigé. Comme toujours dans la poésie il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus :

Jan Těsnohlídek
« C’était assez diversifié. Je crois que les textes primés sont d’un niveau assez élevé. Même en comparaison avec les éditions précédentes de ce concours, les textes primés cette fois-ci sont bien meilleurs. Mais il y a aussi une grande quantité de mauvais textes ou tout-à-fait médiocres. Je suis donc content du résultat du concours mais je ne suis pas ravi de l’ensemble des textes que nous avons reçus. »

Cette année le jury n’a pas décerné de premier prix mais la deuxième place est partagée par deux jeunes poétesses, Kateřina Flašerová de la ville de Brno et Dana Falkusová de Česká Lípa. Cette dernière est attirée surtout par la poésie du moment éphémère, elle aimerait saisir ce qui est insaisissable :

Photo: Ondřej Lipár
« Je préfère décrire les sensations qu’on ne peut pas exprimer, qui ne sont qu’une fraction de seconde. C’est par exemple la sensation du vent qui passe en sifflant à côté de vous. A ce moment-là vous sentez quelque chose mais vous ne savez pas le décrire. Et moi, je cherche justement à le traduire par les mots … »

« Demeure donc, tu es si beau », dit Faust au moment qui passe à la fin de la célèbre tragédie de Johann Wolfgang Goethe. Il demande au temps de s’arrêter bien qu’il sache que ce désir le livre à la merci de Méphistophélès et le condamne à la perdition et à l’enfer. Et c’est probablement aussi le rôle de toute la poésie véritable qui cherche à saisir au vol le moment privilégié, le sauver, le figer dans les mots, dans les vers et dans les rimes. Dana Falkusová est sans doute de ces jeunes artistes qui sont sensibles au défi faustien. En écrivant de la poésie, elle cherche à arracher au temps qui fuit des sensations passagères avant qu’il ne les emporte à jamais.

Le troisième prix a été remporté par le jeune poète Ondřej Sychra et le jury du concours du festival Orten a attribué aussi des mentions honorables à Marek Skotnica de Rožnov et à Dagmar Pokorná de Třebíč. Celle-ci aimerait insuffler de la poésie même aux habitudes prosaïques de tous les jours et en enrichir la vie quotidienne :

« La poésie est pour moi une façon de communiquer avec les gens. Avec une amie nous nous adressons, par exemple, de petits poèmes sous forme de SMS. Beaucoup de poèmes voient le jour de cette façon, et je ne les retouche même pas. Je laisse le chagrin momentané jaillir par les paroles. »

Photo: Martina Nováková
Encore au XIXe siècle la poésie était la reine de la littérature. Aujourd’hui elle vivote en marge de l’intérêt du public comme une parente pauvre qu’on tolère mais qu’on réduit au silence. Sa voix ne se fait entendre qu’à de rares occasions, dont le festival Orten de Kutná Hora. C’est grâce à de telles occasions que nous pouvons nous rendre compte que le monde actuel n’est pas dépourvu de poésie, qu’elle dort en nous et que nous pouvons la réveiller.