Chléb a sůl : onze artistes à découvrir aux Karlin Studios (suite)

Didier Courbot, Needs (Prague) 1999

Les Karlin Studios, grand espace d’exposition et d’art contemporain, accueille jusqu’au 11 septembre une exposition d’une dizaine d’artistes d’horizons différents. Intitulée Chléb a sůl, elle a été montée par l’artiste française Amande In en collaboration avec Michal Novotný.

Didier Courbot,  Needs  (Prague) 1999
Dans cette émission, nous vous proposons deux entretiens, celui de l’artistes français Baptiste Debombourg et celui d’Amande In, artiste elle-même mais qui est aussi à l’origine de cette exposition Chleb a sůl. Elle nous rappelle quelques uns des artistes exposés :

« C’est une exposition de groupes qui rassemble onze artistes. On ne va peut- être pas faire toute la liste, mais à titre d’exemple, on a Peter Fitzpatrick ou Anja Loughhead d’Australie, mais aussi, Jean-Luc Vilmouth, Edouard Boyer, Baptiste Debombourg et Didier Courbot pour la France. Nous exposons aussi le travail d’un Italien, Antonio Rovaldi et d’Ivars Graveljs qui vient de Riga. »

Nous n’avons pas le temps de détailler tous les artistes, mais j’aurais aimé me concentrer sur deux artistes en particulier. Il y a d’une part le travail de Didier Courbot qui a d’ailleurs travaillé à Prague. Peux-tu nous raconter cela ?

« Il s’agit de deux photographies que l’on présente. Elles font partie d’un ensemble qui s’appelle Needs qui signifie ‘besoin’, ‘nécessité’. C’est difficile de le traduire en français, c’est sans doute pour cette raison qu’il a utilisé un terme anglais. C’est un travail qui a commencé lors de son séjour à la Villa Médicis, en 1999 il me semble. Les deux photographies qu’on voit, c’est Prague en 1999 et la deuxième, Osaka en 1999 aussi. Est-ce une mise en scène ou une situation prise sur le fait ? »

En tout cas on le voit scotcher des rambardes le long des rues…

Didier Courbot,  Needs  (Osaka) 1999
« Il répare une rambarde dans une rue à Prague, à la bordure du quartier de Zizkov. Et sur la deuxième photo, il répare le vélo d’un inconnu au Japon. »

La deuxième œuvre qui m’intéressait c’est également une œuvre photographique. Il y a deux lignes directrices : une rangée de photos originales, visiblement d’un photojournaliste et une autre rangée montrant ces mêmes photos dans des coupures de journaux. Mais ces dernières photos sont un peu particulières…

« Exactement. Il faut rappeler l’un des thèmes de l’exposition qui est le rapport au labeur, au travail, à l’énergie dépensée pour l’art. Le travail d’Ivars Graveljs est un retournement de situation : il est a fait des études de photographie et a été engagé par un journal tchèque comme reporter photo. Pendant ses reportages, il s’est demandé comment faire pour que ce travail alimentaire prenne du sens dans mon travail d’artiste. Les photos qu’il nous montre ici, ce sont les traces d’un an de travail pour ce journal régional. On remarque assez rapidement qu’entre les photos en couleur, originales, et les photos qui ont été publiées dans le journal, il y a un décalage visuel, plus ou moins évident. On est en face d’une photo d’une route… »

Ivars Graveljs
Il faut préciser que le titre de l’article qu’illustre la photo, c’est ‘Le dernier week-end de vacances sur les routes a été tragique’. C’est un marronnier de la presse très classique. Et la photo publiée dans la presse est un peu spéciale.

« On trouve à côté de la série de photos une liste point par point qui explique que pour cette photo en particulier, Ivars a été envoyé sur les lieux, sur une autoroute pour prendre une photo d’embouteillage. Or il se retrouve une route somme toute relativement fluide ! »

Ivars Graveljs
C’est le cas pour d’autres photos : une photo qui illustre les restes de Noël, près des poubelles… Manque de chance, il n’y avait pas grand-chose sauf un sapin, et il a dû rapporter des ordures à côté du sapin pour illustrer le tout.

« Voilà. De même que pour la photo de l’embouteillage il a rajouté des voitures sur la route. Il dit lui-même qu’il avait deux options. Soit jeter un pavé sur la route et créer un véritable embouteillage, un accident, ou le faire de manière plus ‘soft’ et rajouter des voitures en photomontage. »

On continue cette émission avec Baptiste Debombourg, un des artistes présentés au Karlin Studios jusqu’au 11 septembre :

« Je m’appelle Baptiste Debombourg, je vis et travaille à Paris. Je présente dans le cadre de l’exposition Chleb a sůl une œuvre en agrafes. Cette œuvre est intitulée Aggravure 3. »

Baptiste Debombourg
Si ça fait partie d’une série, cela signifie qu’il y en a encore d’autres…

« Oui, il y en a d’autres que j’ai à chaque fois réalisés dans un contexte précis. La pièce est à chaque fois conçue exclusivement pour le lieu dans lequel elle existe par la suite. »

C’est une œuvre in situ ?

« Moi je me parle plutôt de contexte, car ‘in situ’ est plutôt un terme qui se rapproche assez du travail de Buren. Dans un travail contextuel, il y a l’idée de travailler dans le contexte de la vie qu’il y a dans l’espace du lieu et pas seulement l’architecture. »

Comment présenter cette fresque à l’oral, sans les images ? On arrive au Karlin Studios, et dans l’espace de l’exposition, tout au fond on voit sur le mur une fresque qui rappelle évidemment des fresques italiennes, sauf qu’elle est réalisée de manière assez particulière…

Baptiste Debombourg
« Quand on arrive, il y a une grande perspective dans l’espace, on ne se rend pas compte de quelle manière elle est réalisée. C’est quelque chose de très baroque, qui rappelle le travail des graveurs maniéristes, avec des personnages monumentaux et qui semblent en suspension dans l’air. Au fur et à mesure qu’on s’approche de la pièce, on se rend compte qu’elle est faite à partir d’agrafes. Toute la fresque est composée d’environ 400 000 agrafes réunies qui forment, dans le traitement, les ombres et les lumières et forment les personnages. »

Cela permet de jouer avec la lumière qui rentre dans cet espace par les grandes fenêtres en hauteur…

« L’idée, par rapport au thème développe dans l’exposition, c’est aussi d’utiliser des matériaux assez pauvres. Le titre de l’exposition, Pain et sel, rappelle comment les artistes utilisent parfois des matériaux très pauvres en trouvant une manière de s’amuser. Amande In m’avait invité il y a environ un an à réfléchir sur un travail qui pourrait s’inscrire dans une exposition de façon très spécifique. En écho à ma recherche sur l’architecture et à ce qui existait sous le communisme avec les statues monumentales, j’ai décidé de travailler dans cet esprit autour de quelque chose qui puisse fonctionner dans l’espace. Je m’intéresse aussi beaucoup aux images d’hommes body-buildés, aux BD, à ces clichés de l’homme très musclé… »

Ce qu’on retrouve dans les statues communistes d’ailleurs, avec ce côté monumental, costaud, énorme. Est-ce que vous avez pu voir des statues similaires ici en République tchèque ?

« Je n’ai pas eu trop le temps. Mais j’ai beaucoup voyagé en Europe de l’Est et dans les Balkans. J’ai déjà eu le loisir de découvrir ces monuments, souvent laissés à l’abandon, parce que c’est une histoire douloureuse. Et ici, dans l’exposition, c’était une façon de rejouer l’histoire, d’une autre façon… »