Olivier Latry : « Chaque orgue a sa personnalité »
La 16e édition du festival international de musique d’orgue, Audite Organum, a commencé début août, dans la basilique Saint-Jacques, dans le Ier arrondissement de Prague, et elle se poursuivra jusqu’au 22 septembre prochain. Rencontre aujourd’hui avec l’organisatrice du festival et l’organiste titulaire de la basilique, Irena Chřibková, et Olivier Latry, un des meilleurs organistes français, venu dans la capitale tchèque inaugurer ce festival.
« Son œuvre, je ne la connais toujours pas et c’est mieux dans ce sens-là. Cela permet d’être totalement libre quand on improvise. Sinon, j’aurais eu sa musique en mémoire et forcément, cela aurait interféré sur ma propre inspiration. C’était mieux de n’avoir que le thème. Maintenant, je vais pouvoir écouter sa pièce et la comparer avec ce que j’ai fait. »
Vous avez écouté un extrait de l’improvisation autour de l’œuvre de Wiedermann, présentée par Olivier Latry à Prague. Si ce compositeur, décédé en 1951 et qui commence, seulement aujourd’hui, à être découvert à l’étranger, s’il n’est donc pas familier pour Olivier Latry, d’autres grands noms de la musique tchèque, de la musique d’orgue notamment, figurent à son répertoire.« Je joue Petr Eben, mais pas seulement lui, j’ai joué récemment la Messe glagolitique de Leoš Janáček, avec l’Orchestre de la Radio de Vienne, pour l’inauguration de la salle du Musikverein. En tout cas, il n’y a pas beaucoup de compositeurs tchèques qui ont écrit pour l’orgue. Donc Janáček est connu est sa Messe glagolitique est souvent jouée, même en France qui est quand même assez protectionniste et axée sur le répertoire français. »
Olivier Latry a la réputation d’être un des meilleurs improvisateurs contemporains. Peut-on, en fait, apprendre l’art de l’improvisation ? Ou alors est-ce un don inné ?
« On essaie d’apprendre l’improvisation, mais je crois que cela ne s’apprend pas. C’est le même problème avec la composition – comment on peut apprendre à quelqu’un à composer ? On lui apprend des règles de l’écriture, les accords, le contrepoint et toutes les formes et après, on lui dit : débrouille-toi ! Pour l’improvisation, c’est la même chose. Sauf qu’il faut ajouter la technique de l’instrument. Ensuite, vous vous lancez… Je crois que l’apprentissage de l’improvisation, c’est l’apprentissage d’une vie. Je pense qu’on improvise de mieux en mieux… enfin, j’espère ! (rires) Il me semble que l’on improvise mieux à 30 ou 35 ans qu’à 20 ans. A 20 ans, on foisonne d’idées, mais la maturité et l’expérience qui permettent de développer ses idées viennent avec le temps. »
Olivier Latry est un des trois organistes titulaires de la cathédrale Notre-Dame. Une question que les journalistes tchèques lui ont fréquemment posée : peut-on comparer l’orgue de Notre-Dame à celui de l’église Saint-Jacques, deuxième plus grand en République tchèque ?« Non, on ne peut pas comparer deux instruments, comme on ne peut pas comparer deux êtres humains. Chaque orgue a sa personnalité. Il ne faut pas chercher à comparer, sinon c’est foutu d’avance. Il faut entrer le plus possible dans le caractère de l’instrument. Quand vous rencontrez quelqu’un, vous essayez de cerner sa personnalité, son caractère, des choses qui sont en rapport avec vous, des choses que vous aimez moins… Avec l’orgue, c’est pareil. Il faut trouver un terrain d’entente entre l’instrument et l’organiste. C’est ce que j’essaie de faire à chaque fois que je joue un concert. »
Les concerts à la basilique Saint-Jacques sont accompagnés de projections vidéo qui permettent au public de suivre visuellement ce qui se passe à la tribune, le jeu de l’organiste, dont le corps entier est en action. C’est un avantage aux yeux d’Olivier Latry.
« Cela se fait assez régulièrement partout. Quand les organisateurs veulent faire un coup médiatique, je leur suggère de faire des projections. Il me paraît très important que l’orgue ne reste pas un instrument lointain et figé. Cela permet aux gens qui regardent la télévision toute la journée d’avoir le rapport à l’image. Un pianiste ou un violoniste, vous les avez en face de vous, mais avec l’orgue, vous n’avez pas ce rapport à l’image. Les projections aident à la vulgarisation de la musique d’orgue. Il m’est arrivé plusieurs fois non seulement d’avoir la vidéo, mais de demander aussi le micro pour pouvoir présenter les pièces à la tribune. »
« Aujourd’hui, les gens ne savent plus être en silence, avec soi-même. Ils n’écoutent pas la musique les yeux fermés. Pour eux, le côté visuel des choses est très important, même pour la perception des sons. C’est entremêlé. » explique Irena Chřibková, organiste à Saint-Jacques, fondatrice et organisatrice du festival Audite Organum. Cette année, le festival est donc dédié à B. A. Wiedermann – le compositeur tchèque, décédé il y a 60 ans, peu connu dans son pays et à l’étranger, est présenté, par sa musique et à travers une exposition mise en place dans la basilique Saint-Jacques. Irena Chřibková :« B. A. Wiedermann était un grand virtuose d’orgue. Il était aussi professeur d’orgue au Conservatoire de Prague et ensuite à l’Académie AMU. Il était très apprécié par ses élèves. Son troisième rôle était le compositeur. Il a écrit près de 350 compositions : des œuvres pour orgue, de chœur, de chambre… Sous le régime communiste, du fait que la musique sacré était mal vue par les autorités, ces œuvres n’ont pas été jouées, elles ont été dans les archives privées. Par ailleurs, Wiedermann est lié avec notre basilique. Pendant dix ans, de 1941 jusqu’à sa mort, en 1951, il y a joué tous les dimanches. Grâce à lui, un nouvel orgue, romantique, à trois claviers, qui correspondait mieux à sa musique, a été installé à la basilique en 1941. Il a remplacé l’ancien orgue baroque d’Abraham Stark de Loket. »
Les concerts du festival Audite Organum ont lieu chaque jeudi à la basilique Saint-Jacques, rue Malá Štupartská, dans la Vieille-Ville de Prague. Plus d’informations au www.auditeorganum.cz.