Les Nouvelles légendes tchèques
L’exposition que le public peut voir ces jours-ci au Palais d’été des comtes Kinský à Prague présente une activité artistique d’une grande ampleur qui n’attire que très rarement l’attention des historiens de l’art mais qui n’en fait pas moins partie de nos vies. Le petit palais, qui est une pure merveille d’architecture classiciste du début du XIXe siècle, abrite une exposition intitulée « Les Nouvelles légendes tchèques », exposition de documents et d’objets qui illustrent le rôle de la culture populaire dans la vie de tous les jours. La collection nous rappelle que cette culture modeste, cette subculture, continue d’exister et d’enrichir nos vies même à l’époque de la télévision, de l’Internet et du portable. Cette créativité populaire parfois sous-estimée et décriée se manifeste dans le domaine du langage, de la littérature écrite et orale, mais aussi dans les jeux et les arts plastiques.
« Notre exposition présente six thèmes fondamentaux. En premier lieu il s’agit de la littérature populaire actuelle. Il s’agit de la création écrite ou orale, des blagues, anecdotes, légendes et mythes urbains inspirés par la vie politique ou quotidienne. Deuxièmement, c’est le monde des enfants, la culture des enfants, les jeux et les jouets d’enfants. C’est le début de notre promenade à travers la vie humaine. Cela commence donc par l’enfance, par la période des jeux et des jouets… »
… et cela se poursuit par l’adolescence pendant laquelle s’imposent les subcultures musicales comme les mouvements punk ou heavy metal. Les auteurs de l’exposition s’intéressent surtout à la créativité vestimentaire des jeunes, qui ont une approche très créative des vêtements qu’ils confectionnent et décorent souvent eux-mêmes. L’exposition présente ensuite le phénomène des jeunes soldats qui font leur service militaire et créent au cours de cette période leur propre culture, leurs propres coutumes, leur folklore. Une importante partie des documents et des objets exposés évoque le tramping, un mouvement inspiré du scoutisme et du woodkraft. Ce mouvement a amené plusieurs générations de Tchèques et de Slovaques à chercher dans la nature une échappatoire aux exigences de la civilisation, à se lancer dans l’aventure et à redécouvrir la vie romantique de la forêt en compagnie d’amis partageant leur engouement pour ce style de vie. Petr Janečka :« Le tramping est un phénomène tout à fait unique dans l’ensemble des six thèmes de notre exposition. C’est un phénomène culturel typique exclusivement pour la Tchéquie et la Slovaquie, donc pour l’ancienne Tchécoslovaquie. C’est une subculture ou un mouvement qui réunit des gens et qui a beaucoup d’aspects populaires, que ce soit le folklore, le slang, les anecdotes, les chansons ou les vêtements. Les tramps ont leurs propres costumes, ils ont leurs façons particulières de se rassembler, ils fabriquent toute une série d’objets typiques qui symbolisent en quelque sorte leur mouvement. Déjà leur façon de s’exprimer, le langage des tramps est très intéressant pour nous. C’est pourquoi nous avons décidé d’ajouter le tramping aux thèmes de notre exposition et de lui réserver une des places les plus importantes. »Les auteurs de l’exposition, parmi lesquels Petr Janečka, ont trouvé le maximum d’éléments populaires et créatifs chez les enfants ou dans les subcultures des jeunes, dans la musique, le tramping, ou chez les soldats, et ont constaté que la création des adultes est relativement pauvre. Et ils se sont rendu compte que ce sont surtout les objets fabriqués avec des fils de fer, des bouchons de bouteilles de bière, du bois, des racines, bref toutes ces modestes œuvres d’art que les gens ont fabriquées à la main chez eux au cours des quarante ou cinquante dernières années qui présentent le plus d’aspects de créativité populaire. Selon Petr Janečka, toute cette subculture est en voie de disparition :
« Pour nous, ethnographes, c’est d’autant plus intéressant que c’était peut-être la dernière période où les gens fabriquaient encore tant de choses à la main. Nos ancêtres confectionnaient eux-mêmes la majorité des ustensiles de la maison et des objets décoratifs. Et encore dans les années cinquante, soixante, soixante-dix et quatre-vingt, les gens décoraient eux-mêmes leur maison. Aujourd’hui, avec la culture de consommation, la culture de masses et la mondialisation, les gens achètent la majorité de ces choses, et il n’y a plus autant de charme et de poésie comme dans l’art du passé. »
Les organisateurs de l’exposition ont demandé aux gens de leur apporter des objets et des documents dans lesquels se manifeste la créativité populaire. Il a été un peu difficile d’expliquer aux gens qu’ils ne collectionnaient pas des choses par nostalgie, qu’ils ne cherchaient pas des objets rétro, des souvenirs des années soixante et soixante-dix, mais qu’ils cherchaient des exemples de la créativité de ceux qui ne se considéraient pas comme artistes. Les gens leur ont donc proposé beaucoup de choses qui n’avaient rien à voir avec le thème de l’exposition, mais cela ne les gênait pas du tout. Ils ont toujours trouvé quelque chose. Les donateurs ont apporté à Petr Janečka par exemple des jouets fabriqués industriellement dans les années quatre-vingt qui ne l’intéressaient pas :
« Et puis on nous a apporté aussi ce qu’on appelle des « céčka », de petits crochets de suspension en plastique multicolore utilisés pour accrocher les rideaux. C’est aussi un produit industriel mais les enfants en ont fait des jouets. Ils ont transformé en jouets des objets destinés à l’origine à une utilisation bien différente. Une telle approche créative des objets nous intéressait beaucoup - mais c’était difficile à expliquer aux gens. »
L’initiative a suscité un vif intérêt dans la communauté des tramps. Ils ont finalement apporté une telle quantité de choses que celle-ci permettra, d’après Petr Janečka, de présenter dans deux ans une exposition consacrée exclusivement au tramping :« Nous avons suscité un immense intérêt chez les enfants. Plusieurs autres musées nous ont prêté des objets de ce genre qui se trouvaient déjà dans leurs collections. L’écho suscité par cette initiative nous a très agréablement surpris. Finalement nous pouvons dire que cette exposition sera une sorte d’appel aux gens à nous apporter encore d’autres objets et peut-être encore plus intéressants que ceux que nous avons déjà présentés. Ce n’est donc que le premier pas dans le processus de documentation de la culture populaire de notre temps. »