Entretien avec Šimon Pánek, directeur de l’ONG People in need
Il est celui que Václav Havel aimerait voir succéder à Václav Klaus à la présidence de la République. Ancien leader étudiant à l’époque de la révolution de velours Šimon Pánek dirige l’organisation non-gouvernementale Člověk v tísni-People in need, l’ONG tchèque la plus connue et très active en matière d’aide humanitaire, qui réalise des projets de développement à long terme et soutien les efforts de démocratisation et le respect des droits de l’homme. L’organisation a été fondée en 1992, compte des centaines d’employés et développe ses activités dans plus de 40 pays du monde. A l’origine de la création de cette organisation, Šimon Pánek, à l’époque étudiant à la Faculté de sciences naturelles, et quelques uns de ses amis ont organisé une collecte pour les victimes du tremblement de terre en Arménie en 1988.
« C’est vrai, nous avons commencé comme une équipe qui apportait de l’aide en premier lieu dans les pays en guerre, nous n’étions pas d’accord avec la politique européenne dont l’objectif n’était pas de trouver une solution, surtout dans le cas des guerres en Bosnie-Herzégovine, mais de camoufler le problème et prolonger le statu quo. Les hommes politiques, au lieu de négocier, ouvraient des passerelles humanitaires et, par exemple, au lieu de soutenir l’intervention militaire en 1992, François Mitterrand a ouvert le corridor humanitaire à Sarajevo. Pendant trois ans, les gens ont vécu dans une ville encerclée, recevait de la nourriture et de l’aide mais mourraient chaque jour car aucune solution pour régler le conflit n’a été trouvée. Nous ne pouvions pas agir car nous ne sommes ni des soldats ni des hommes politiques. Nous pouvions juste venir avec une aide, tourner des films documentaires, prendre des photos, écrire des articles. D’ailleurs au début notre groupe s’appelait L’équipe humanitaire des reporters. On avait donc deux casquettes. »
Dans les années 2000-2005 People in need était une des principales organisations humanitaires en Tchétchénie et la première à avoir passé indépendamment un chargement important de denrées alimentaires alors que le pays était encore en pleins combats intensifs. En cinq ans des projets d’un montant de 600 millions de couronnes tchèques ont été réalisés. Malgré le succès, la mission a été supprimée sous la pression de la Russie.
« C’était une situation spécifique. Il est bien connu qu’au cours de toutes ces années, notre objectif était non seulement d’apporter une aide mais aussi d’informer discrètement sur les brutalités, la violence et les violations des droits de l’homme en Tchétchénie. Jouait également contre nous le travail de journalistes tchèques comme Petra Procházková et Jaromír Štětina. Et ensuite nous avons eu la poisse : la directrice du Centre pour femmes à Grozny a caché son frère, qui était combattant tchétchène, donc contre Moscou, dans la cave du bâtiment. Dans le Caucase il est naturel que les relations familiales soient plus fortes que la loyauté vis-à-vis de l’employeur. Mais nous avons réussi à ne pas nous faire expulser et nous avons réussi à développer une stratégie de départ volontaire.
Avec l'aide du Ministère tchèque des Affaires étrangères qui nous a fait pleinement confiance, nous avons négocié jusqu'au niveau des services secrets russes et il a été promis que si les procès relatifs à cet acte apportaient la preuve que People in need n’avait pas eu de relations avec les combattants tchétchènes, le permis de travail nous serait rendu. Ce qui est finalement arrivé en 2007. »
« Nous avons adopté le même système de soutien que développaient les pays occidentaux par rapport aux journalistes indépendants, intellectuels, écrivains, dissidents et aux scientifiques des pays communistes. Nous soutenons dans ces pays les familles des prisonniers politiques, les journalistes indépendants, en Biélorussie par exemple les juristes qui plaident la cause des dissidents et des défenseurs des droits de l’homme. Nous faisons parvenir dans ces pays beaucoup d’informations et de dossiers accessibles dans les pays libres. Ce sont les livres de Václav Havel, les recueils décrivant le passage des régimes autoritaires à la démocratie mais aussi les portables, les ordinateurs ou des objets interdits ou soumis à un contrôle sévère par les autorités. »
Au niveau européen People in need est une organisation non-gouvernementale de taille moyenne avec un chiffre d’affaire annuel de 400 millions de couronnes. Quelle est l’incidence de la crise sur les activités de l’organisation? Šimon Pánek :
La crise a forcément des conséquences dans notre secteur. Dans tous les Etats européens le financement public a été réduit pour l'année 2010. Et puis il faut aussi prendre en compte le fait que, comme on l'a vu lors des négociations sur la lutte contre le changement climatique, les Etats vont avoir recours à une manipulation comptable en comptabilisant deux fois une même aide aux pays en voie de développement - une fois comme aide au développement et une deuxième fois comme aide à la lutte contre le réchauffement climatique. La République tchèque a promis 300 millions de couronnes pour les trois prochaines années, mais cette somme comprend déjà l'aide au développement, à laquelle viendront s'ajouter les projets de lutte contre les changements climatiques.
La mission en Afghanistan qui a commencé en 2001 compte parmi les plus grandes missions, le montant s' élevant à 70 millions de couronnes tchèques en 2008. Cette mission ne comptait à l’origine que quelques employés mais est actuellement active dans 17 provinces avec 250 employés locaux et 11 employés étrangers. En Afghanistan il y a également l’équipe militaire tchèque de reconstruction et des unités de combats.
« L’équipe de stabilisation et de reconstruction est sur place depuis deux ans et est active dans la province de Lógar où nous n’avons jamais travaillé. Nous sommes mutuellement conscients de notre présence mais il n’est pas nécessaire de se retrouver au même endroit. Au contraire, la présence des militaires tchèques est plutôt un inconvénient pour les civils. On peut facilement devenir une cible de compensation. C’est pour cela et aussi pour des raisons de sécurité nous n’avons aucun intérêt pour une telle synergie sur le même territoire. »« Les unités de reconstruction qui apportent une aide devraient travailler en premier lieu dans les endroits où les organisations humanitaires et de développement ne peuvent pas agir pour raisons de sécurité. Là, leur présence est importante car elles réalisent des projets axés sur l’électricité, l’eau potable, les routes et d’autres projets importants pour le développement. Par contre l’augmentation du nombre de soldats demandée intensément par le commandement pour l’Afghanistan aux Etats-Unis et aux autres pays membres de l’OTAN est nécessaire mais il faut essayer de trouver une voie politique de négociation avec une partie des Taliban. Je pense que la communauté internationale doit d’une part lutter pour la paix et d’autre part l’acheter en proposant la participation au pouvoir et peut-être des investissements ou de l’argent à la partie des Taliban prête à coopérer. »