Jacques Renoir : établir des passerelles entre les arts
Jusqu’au 27 février, la Galerie 35 de l’Institut français de Prague propose les photographies de Jacques Renoir, qui est également cinéaste et auteur du roman biographique ‘Le tableau amoureux’. Jacques Renoir, c’est l’arrière petit-fils du peintre impressionniste Auguste Renoir et le neveu du cinéaste Jean Renoir. Suite de l’entretien avec Jacques Renoir.
Jacques Renoir, on s’était déjà rencontrés en octobre dernier pour une exposition de vos photographies à Brno. On se retrouve aujourd’hui à Prague pour une nouvelle exposition, cette fois dans la galerie de l’Institut français. Le thème, c’est toujours Empreintes et collisions. Pourriez-vous nous présenter à nouveau ces deux cycles ?
« Je suis très heureux de voir cet ensemble de deux thèmes exposé ici, parce que cette salle permet de déployer les photos sur les murs et d’avoir une vision d’ensemble. Il y a donc deux thèmes qui me sont chers, Empreintes et Collisions. Le thème des empreintes vient de la rencontre fortuite que j’aie eue dans une station de métro à Paris qui était en rénovation. Elle avait la particularité de ne pas avoir été rénovée depuis un demi-siècle et toutes les affiches collées les unes sur les autres, arrachées par les employés de la RATP découvraient, révélaient des choses extraordinaires, de formes, de textures. Je n’ai eu de cesse pendant trois mois de venir et revenir sur ces lieux pour capturer des formes, des détails, qui, une fois agrandis, se retrouvent par magie dans cette galerie de l’IFP. »C’est intéressant car ces affiches sont la plupart du temps des anciennes publicités qui ont vocation à être éphémères puisque l’une en remplace une autre. Finalement le fait d’avoir toutes ces strates leur donne paradoxalement une histoire, un passé...
« Ça leur donne une histoire, un passé et j’espère un avenir ! Mais vous avez raison de parler de cela, cette matière qui semblait être condamnée revit finalement, et continue de vivre. C’est un peu le thème que nous avons abordé, ma compagne Claude Montserrat-Clas et moi. Elle a écrit un essai qui s’appelle Petite ontologie du reste, qui est une réflexion sur l’être et le non-être, tiré du poème de Parménide. C’est une réflexion sur l’exsitence des choses inanimées qui continuent de vivre. Autant Claude avait une démarche philosophique et poétique, autant moi j’ai une démarche esthétique. Je vais chercher, dans des endroits inhabituels qu’on n’a pas l’habitude de fréquenter, des endroits qu’on peut trouver repoussants comme les déchetteries ou chez les ferailleurs, dans la matière, des textures, des formes, une dynamique. Je les capte avec mon objectif et les ramène à la surface dans des lieux ‘mieux fréquentés’ puisqu’il s’agit de galeries. »
Vous évoquez les déchetteries... Il y a en effet ces autres photographies intitulées Collisions. Ce sont des amas de feraille, de métal, compressés, malaxés. Quand on regarde notamment la photo avec les canettes Pepsi, ça évoque d’une certaine façon le Pop-art, ce qui fait d’ailleurs un lien avec les publicités des affiches...« Oui, c’est très juste. Je ne renie pas les influences. Tout artiste a subi des influences. L’histoire de l’art n’est faite que d’une série de plagiats... »
Et de réactivation...
« Et de réactivation de sujets. On traite toujours des mêmes sujets, mais on apporte sa propre vision, son style ou un procédé personnel. Là, pour ces photographies, parfois on me demande souvent : ‘est-ce des photographies, des tableaux, des sculptures ?’. En fait, ce qui m’intéresse dans la photographie, c’est d’établir des passerelles entre les arts que sont la peinture, le dessin, la gravure, la sculpture et la littérature. Donc, en ce sens, ça m’intéresse de passer d’un domaine à un autre. En fait, c’est peut-être parce que je suis un peintre raté et que je suis un bon photographe. Je ne voudrais en tout cas pas me risquer sur le terrain de la peinture. »
En tout cas, il y a un œil familial puisque vous l’avez utilisé, tout comme votre arrière grand-père Auguste Renoir, puisque vous avez également été directeur de la photographie, vous avez tourné des films notamment avec le commandant Cousteau pendant sept ans. Et toutes ces activités, vous les conciliez aussi avec l’écriture. Vous avez publié il y a quelques années un roman biographique évoquant le peintre Pierre-Auguste Renoir, qui s’appelle Le tableau amoureux. Alors pourquoi le ‘tableau amoureux’ ? C’est vrai qu’on parle beaucoup d’amour dans ce livre, et de femmes... C’est un univers très féminin même si vous évoquez évidemment Renoir et toute la famille Renoir...
« Autant l’avouer : nous aimons par tradition les femmes et leur rendons hommage comme on peut. C’est un peu comme un tableau de famille et ‘amoureux’ parce qu’il y a de l’amour. Mais il y a aussi dans ce livre des aventures, la détresse, la guerre, la souffrance d’un peintre qui à la fin de sa vie souffre de rhumatismes et qui continue de peindre malgré la souffrance, avec amour... Souffrance aussi parce que ses fils ont été blessés, parce qu’il a perdu son épouse. Mais il y a aussi l’amour naissant de ces jeunes adolescents qui découvrent l’amour. C’est aussi un roman. Tout ce que je dis est vrai, mais tout ce que personne ne sait, je me suis permis de broder dessus. »
Vous-même, vous avez passé une partie de votre enfance et de votre adolescence aux Collettes, dans ce domaine de la famille Renoir. Quels sont vos souvenirs de l’époque ?
« Effectivement j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans la propriété familiale qui par la suite est devenue un musée. Cette propriété a surtout la particularité d’être implantée dans une oliveraie magnifique où les arbres sont millénaires, leurs troncs sont noueux, comme des sculptures. Ca a été un thème aussi de mes photographies de considérer ces troncs comme des sculptures, d’y trouver aussi du fantastique dans lequel on peut se projeter. Et depuis que nous nous sommes vus à Brno, il y a un nouveau thème qui m’intéresse énormément. C’est le mouvement en photo puisque je suis cinéaste, donc quelqu’un qui aime les images en mouvement. »
C’est paradoxal parce que la photo fige...
« Justement. Quand on m’a demandé de traiter les ballets d’opéra en thème photographique, je n’ai pas voulu le faire comme traditionnellement avec de magnifiques poses de danseuses en équilibre sur leurs pointes ou de jeunes éphèbes suspendus en l’air. Tout cela me semblait un peu amusant. Ce que je voulais faire, c’est au contraire donner le sentiment de mouvement en photographie. »
Dans votre livre 'Le tableau amoureux', il y a une scène où Renoir dit que finalement l’impressionnisme n’aurait peut-être pas existé sans l’invention du tube de peinture...
« Je pense que toute la peinture contemporaine eut été différente. Prenez le cas de Delacroix. Il part au Maroc où il a aussi une mission diplomatique. Il est aussi peintre. Or la couleur était broyée, mélangée avec de l’huile et séchait très vite. On la mettait dans des petits sacs en cuir qui permettaient de conserver la pâte. Mais ça séchait vite. Les peintres faisaient donc des dessins, des esquisses et revenaient dans leur atelier et faisaient leurs toiles dans leur atelier. En fait, toutes les scènes marocaines de Delacroix ont été peintes dans son atelier, rue de Furstenberg à Paris. Et quand on a inventé le petit tube d’aluminium dans lequel on pouvait conserver une pâte moelleuse, et qu’on pouvait utiliser en extérieur, les peintres se sont dit : allons peindre à l’extérieur. Il y a eu cette raison. Et puis sous Napopléon III, on en était arrivé à un excès de maniérisme, de style pompier. Les peintres se sont révoltés, ils voulaient traiter de sujets sociaux, des gens au quotidien, et pas seulement des aristocrates ! Renoir peignait des bugandières, des femmes qui lavaient dans la rivière. Il y a aussi eu le train qui a permis aux Parisiens de s’évader de Paris et d’aller dans la forêt de Fontainebleau. On partait avec son petit balluchon, son pique-nique, ou on s’installait pendant plusieurs jours dans une auberge et on peignait sur le motif les impressions que l’on ressentait, de la lumière changeante... On peignait rapidement parce qu’on voulait capturer ces châtoiements de couleurs et de lumières. »A un autre passage du roman, Renoir prône une peinture ‘joyeuse’... C’était sa manière d’appréhender la vie ?
« Oui... A la différence d’autres peintres comme Degas, Toulouse-Lautrec, qui peignaient des choses dont ils étaient les témoins, et tout n’était pas merveilleux à Paris au XIXe siècle, il y avait cette misère, ces difficultés, Renoir a toujours prôné une sorte de bonheur de vivre, de joie... Il disait qu’une peinture au mur, ça devait être un plaisir de la regarder, ça doit être décoratif. Il peignait donc des jeunes femmes, des enfants, des scènes de bal, de repas, comme le Déjeuner des cannotiers. Comme je le disais, il a souffert terriblement à la fin de sa vie de rhumatismes déformants, mais il a toujours conservé cette conception de la vie. »Empreintes et Collisions, c’est jusqu’au 27 février à la Galerie 35 de l’Institut français de Prague.