Jacques Renoir : l’image, une histoire de famille
Jacques Renoir est l’arrière petit-fils du peintre impressioniste Pierre-Auguste Renoir, et le neveu du cinéaste Jean Renoir. L’image et sa composition, c’est donc un héritage de famille. Jacques Renoir est avant tout cinéaste, un cinéaste qui a notamment collaboré aux films du commandant Cousteau, mais la photographie a toujours été son dada. Aujourd’hui, il s’y consacre quasi exclusivement, avec passion. La Galerie Plamínek à Brno expose ses photos jusqu’à la fin octobre. Jacques Renoir est l’invité de cette émission.
« Je travaille par thèmes, et là, en l’occurence, à Brno, il y a trois thèmes : les Collisions et les Empreintes, les Ateliers d’artistes et les Oliviers de Renoir. »
Si on distingue chaque cycle, que sont les Collisions ?
« Les Collisions et les Empreintes est une démarche particulière qui me tient à coeur, c’est-à-dire d’aller chercher le ‘beau’ là où ne l’attend pas. Je me suis beaucoup promené chez les ferrailleurs et les déchetteries aussi bien en France qu’aux Etats-Unis pour chercher les formes, les couleurs, les compositions qui représentaient une certaine esthétique à laquelle j’étais attaché. Les Empreintes sont celles d’affiches d’une station de métro, Champs Elysées-Clémenceau, qui était en rénovation. Ce métro n’avait pas été rénové depuis 40 ans. S’étaient accumulées des couches successives d’affiches qui, arrachées par les employés de la RATP, tout d’un coup, délivraient, révélaient des formes, des couleurs, à travers leurs lambeaux. »
Vous avez parlé d’un autre cycle, celui des portraits d’artistes. On voit là le fameux « atavisme » familial... Vous allez donc photographier des artistes dans leur atelier, et ailleurs...
« La notion d’atelier d’artiste est pour moi plus générale. Ce n’est pas simplement un lieu. Ou alors ce lieu peut être extérieur, dans la rue, ça peut être des tags, des graffitis. C’est plus la démarche de quelqu’un qui cherche à s’exprimer et à traduire d’une façon personnelle l’indicible. En l’occurence, là, dans les photos que je présente, ce sont des photos dans des ateliers qu’on considère comme classiques. Ma démarche n’est pas celle du reportage mais plutôt de voir le rapport de l’artiste avec l’œuvre. »
Et puis il y a un dernier cycle...
« Le dernier cycle, ce sont les Oliviers. Ce sont ceux du domaine de Renoir, où j’ai vécu enfant, la dernière demeure d’Auguste Renoir, mon arrière grand-père. Et, ces oliviers ont été sauvés par Auguste Renoir. Ils étaient menacés d’être arrachés pour installer des serres de fleurs. Renoir qui peignait sur cette colline où se trouvaient ces oliviers millénaires exatrordinaires, a racheté la propriété, a fait construire une maison où il a passé les 17 dernières années de sa vie. Il a ainsi sauvé les oliviers. Ces oliviers sont étonnants et très rares. Il y en a 149 sur cette propriété de trois hectares. Ce sont pour moi pas seulement des arbres, mais des scultpures vivantes, qui évoluent lentement parce qu’au fil des ans. Leurs troncs torturés, leurs racines qui plongent dans la terre, cette écorce qui ressemble à des écailles d’animaux préhistoriques, sont pour moi comme des sculptures. D’ailleurs, je ne les ai traités qu’en noir et blanc, afin que la couleur ne perturbe pas ce que je tenais à souligner, c’est-à-dire, ces sculptures. »
En fait, quand on regarde ces photographies d’oliviers, on voit ces troncs noueux et on dirait presque un enchevêtrement de muscles qui se contractent. Si on avait un microscope, on dirait une peau qui se contracte...
« C’est tout à fait cela. Pour moi c’était aussi une sorte de clin d’œil à Renoir qui, à la fin de sa vie, était paralysé, ses mains paralysées par un arthrisme déformant et donc ses mains étaient comme nouées, repliées et ressemblaient étrangement aux racines de ces arbres. »
Vous l’avez dit vous-même, vous êtes l’arrière petit-fils de Pierre-Auguste Renoir, le peintre, le neveu de Jean Renoir, le cinéaste... Il y a un rapport à l’image, à la lumière, à la composition dans la famille, il doit y avoir un œil familial ! Vous vous êtes tourné vers la photographie : comment, quand et pourquoi ?Au cours des films que j’ai pu faire à l’étranger, notamment avec Cousteau, j’ai fait des photos. Mais on ne peut pas être à la fois responsable de l’image d’un film et être photographe. Donc maintenant, je me consacre pratiquement exclusivement à la photographie et j’y trouve beaucoup de bonheur. »
Est-ce que vous vous situez dans un camp ? Numérique ou argentique ?
« A mon avis, ça n’a aucune importance. L’important, c’est le résultat. Il y a encore des gens qui travaillent avec des sténopées et qui font des merveilles. On peut faire des photos exatraordinaires avec un vieux Leica. Le problème n’est pas là. Le numérique apporte une souplesse d’utilisation qui au niveau de la prise de vue, par une visualisation immédiate, permet de contrôler plus facilement. Peut-être perd-on un peu de rigueur, parce qu’avant quand on avait douze photos sur une pellicule on faisait attention à ne pas les rater. Mais maintenant avec le numérique, on ‘mitraille’ sans réfléchir, et on se dit qu’il y aura bien une bonne photo ! C’est comme ça que des photographes amateurs – ce n’est pas péjoratif – arrivent à faire des photos extraordinaires. Parce que effectivement si vous faites 1 500 photos, il y a une chance pour qu’une ou deux soient bonnes. Je ne jette pas du tout la pierre aux photographes dits amateurs, je les respecte beaucoup et au contraire, je me réjouis de voir qu’il y a une sorte de mondialisation et une universalité de la photographie. »
Et vous donc, vous photographiez comment ?
« Maintenant, en numérique. Il y a des appareils extrêmement sophistiqués aujourd’hui, qui donne de bons résultats. Le gros problème qu’avait le numérique était surtout le noir et blanc : le noir et blanc est beaucoup plus difficile à travailler que la couleur parce que la couleur reste très subjective. Si vous prenez un tableau de Renoir reproduit dans dix catalogues ce sera dix tableaux en couleur différents. Pour en revenir au numérique les appareils photo offrent des gammes évoluées de noir, de gris et de blanc et aussi de sensibilité très poussée, étonnante, comme de reproduction des couleurs. »
Pour finir, j’aimerais parler de votre livre, Le tableau amoureux, paru chez Fayard, également paru en République tchèque il y a quelques temps, même s’il est malheureusement épuisé. Pourriez-vous présenter cette ‘biographie’ de votre grand-père ?
« Il y a eu beaucoup de biographies sur Renoir, de nombreux ouvrages. Mon but n’était pas vraiment de faire un travail d’historien, mais de recréer un climat et une atmophère des dernières années de Renoir, dans cette propriété où, enfant, j’ai vécu. Je n’ai pas connu mon arrière grand-père, mais néanmoins j’ai bien connu ses fils, Pierre, mon grand-père, Jean, mon grand-oncle et mon autre grand-oncle, Claude que l’on appelait ‘Coco’, qui a hérité de cette maison. J’ai réuni les anecdotes qu’on se raconte en famille et j’ai tenu à écrire, plus qu’un livre d’historien de l’art, un récit que j’ai voulu vivant, comme un roman, qui relate la vie aux Collettes, le nom de la propriété, de Renoir, de sa femme, ses enfants, avec les modèles, les histoires de coeur, les troubles, la guerre de 14-18. Je ne vais pas dire comme Boris Vian ‘tout ceci est vrai car je l’ai imaginé’, mais je vais quand même dire comme Boris Vian ‘tout ceci est vrai car je l’ai imaginé’ ! Ou encore, tout ceci est vrai et tout ce que je ne savais pas je l’ai imaginé ! Les petites histoires font la grande histoire. Mais très souvent les petites histoires sont brodées et la grande histoire est faussée par ces petites histoires. Mais là j’ai essayé de tisser les liens entre des événements et des personnages et j’ai essayé d’imaginer ce qu’ils ont pu se dire là où il n’y avait pas de témoins et où je suis le seul témoin privilégié. »
Donc, liberté de l’écrivain, mais aussi vérité historique par votre famille et l’histoire de votre famille...
« Oui, je pense être très fidèle à l’histoire. Si j’ai le temps de raconter une anecdote... Renoir avait un chauffeur qui s’appelait Battista. Ce chauffeur l’accompagnait à Paris ou dans ses déplacements. J’ai imaginé que quand Battista accompagnait Renoir et sa famille à Paris, Battista allait retrouver une maîtresse. Un jour, à la sortie du livre le petit-fils de Battista m’a appelé et m’a dit : ‘Monsieur Renoir, vous le saviez, vous, hein ?’ J’ai demandé : ‘Quoi ?’ ‘Eh bien qu’il l’avait une maîtresse ! Tout le monde dans la famille le savait, mais nous on a caché ça. Il avait bien une maîtresse ! Comment vous le saviez ? ’ J’ai répondu : ‘Ah, vous savez, c’est un secret !’ »