Martina Skala, de Prague à Hollywood (1e partie)
Aujourd’hui entretien réalisé avec Martina Skala, illustratrice aux multiples talents. Née à Prague, elle a émigré dans les années 1980 en France et vit aujourd’hui en Californie. Elle nous a parlé de son parcours sur la terrasse d’un café du centre de Prague :
Bonjour Martina Skala, vous êtes en ce moment à Prague pour la publication d’un livre pour enfants, Hlupýš (éd. Mladá Fronta), que vous avez illustré. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
« L’histoire se passe dans un jardin, ce sont les aventures d’un petit escargot très bête, Hlupýš, parmi les légumes. C’est la troisième fois que je travaille avec l’écrivaine Magdalena Wagnerová, avec qui j’ai déjà illustré deux autres livres. »
Vous êtes partie de Prague en 1983. Pouvez-vous nous parler de ce départ ?
« Je suis née à Mala Strana à Prague. J’étais heureuse ici mais j’ai toujours voulu vivre ailleurs, donc j’ai quitté ce pays en 1983 et suis partie à Paris. J’ai pris le train et ne suis pas revenue. J’avais la permission de visiter Paris pendant une semaine. Après cette semaine j’étais considérée comme réfugiée, et n’avais pas intérêt à revenir... J’étais réfugiée politique parce que j’ai refusé de retourner dans mon pays dans les délais qui m’étaient imposés par le gouvernement. La première fois que je suis retournée à Prague, c’était en 1991. »
Qu’est-ce que vous avez fait en arrivant à Paris ?
« J’avais un peu d’amis, français et tchèques. J’ai fait un peu de tout : serveuse, baby-sitter... J’ai aussi travaillé au musée du cheval à Chantilly, où je dansais avec les chevaux au petit cirque de M. Bienaimé. Après, grâce à Miloš Forman, j’ai rencontré le chef-décorateur Pierre Guffroy, avec qui j’ai commencé à travailler sur le tournage de L’insoutenable légerté de l’être. J’avais étudié l’histoire et la scénographie. A partir de là on a été inséparable pendant huit ans. »
Pour une Tchèque commencer sa carrière dans le cinéma avec l’adaptation d’un roman de Kundera, c’est quelque chose... Vous l’avez rencontré à Paris ?
« Je l’ai vu une seule fois quand il est venu sur le plateau, je ne l’ai pas rencontré personnellement et je ne pense pas qu’il était vraiment impliqué dans le tournage. Oui, c’était étrange : j’ai quitté mon pays et le premier travail sérieux que j’ai trouvé était un travail sur l’histoire de Tereza et son mari qui quittent leur pays. On a fait des décors extérieurs à Lyon, on a construit des décors de Prague en studio à Boulogne. C’était un peu surréel : je voulais m’adapter le plus vite possible à Paris et pendant huit mois j’ai vécu à nouveau dans un décor pragois... »Quel est le souvenir qui vous reste de cette première expérience dans le cinéma ?
« La nostalgie : je n’ai vraiment pas aimé le fait de me réveiller à Paris et d’aller au travail et me retrouver à Mala Strana... Et tous ces problèmes qui sont très bien décrits dans le roman... Je voulais me débarrasser de tout ça et d’un coup, j’étais en plein dedans, il fallait en discuter tous les jours. J’étais nostalgique... Emotionnellement c’était difficile. »
Après ce film vous avez poursuivi votre carrière dans le cinéma, avec des réalisateurs célèbres« Oui, parce que Pierre Guffroy, excellent chef-décorateur, travaillait avec Cocteau, Bunuel, Polanski... Moi j’ai travaillé sur un film de Polanski, La jeune fille et la mort. Puis on a travaillé sur un film, Le double, mais après le premier jour de tournage le projet s’est terminé parce que John Travolta est rentré aux Etats-Unis. On a fait un film en France avec Miloš Forman, Valmont. On a travaillé aussi avec Henri Verneuil... »
J’ai lu que vous aviez rencontré votre mari français sur le tournage d’un film de Polanski
« Oui, c’était sur le plateau de La jeune fille et la mort. Mon mari, François Duhamel, est photographe de plateau et vit à Los Angeles depuis trente ans. On s’est rencontré sur le tournage et je l’ai rejoint à Los Angeles. »
Combien de temps êtes-vous restée en tout à Paris ?
« Douze ans, et j’ai toujours habité Rive-gauche, j’adore. »
Vous aimez vivre à Los Angeles ?
« Pas du tout. Et ça fait douze ans que j’y suis. Mais j’ai des animaux... »
Combien de fois par an revenez-vous à Prague ?
« Une fois par an, mais je reste relativement longtemps et je m’arrête en route à Paris, que j’aime beaucoup. J’ai les passeports français et tchèque. Je m’adapte à l’Amérique, j’aime beaucoup le désert, mais je n’aime pas Los Angeles et Hollywood, mon coeur n’y est pas.»