Pierre Kende, un regard franco-hongrois sur les évènements de 1968.
L’Institut pour l’étude des régimes totalitaires a organisé du 7 au 9 septembre dernier une conférence internationale intitulée « Appareil de sécurité, propagande et printemps de Prague ». Parmi les nombreux chercheurs étrangers et les différents témoins de 1968, le sociologue hongrois Pierre Kende, exilé en France après 1956, est donc venu présenter la réception française de 1968. Nous l’avons également interrogé sur la façon dont ont été vécus les évènements de 1968 en Hongrie.
«Il y a 40 ans, je me trouvais à Paris en tant qu’exilé de la révolution de 1956 de Budapest. J’ai donc regardé ce qui se passait à la fois en France et en Tchécoslovaquie avec les yeux de quelqu’un qui avait vécu la pré-histoire de cette révolution de 1956, ce qui m’a rendu autrement intéressé par ce qui se passait en Tchécoslovaquie car pour moi, c’était en quelque sorte la poursuite de la lutte des Polonais et de Hongrois de 1956. Dans mon esprit, il y avait un très grand malentendu entre les soixante-huitards parisiens et français car leur système de pensée était un peu en sorte de changer la signification des évènements de Prague. Dans leur esprit, tout ce qui se passait dans le monde à ce moment-là, la lutte des étudiants américains contre la guerre du Vietnam, la grande révolution culturelle chinoise, la révolution silencieuse en Tchécoslovaquie, faisaient partie d’une même grande lutte contre l’autorité, le système institutionnel etc. Or, cela était en quelque sorte faux, dans la mesure où les jeunes de la révolution de Paris voulaient se débarrasser d’un système qu’ils considéraient comme conservateur alors que le gens de Prague luttaient précisément pour la reconquête d’un système semblable, c’est-à-dire une démocratie libérale où on pouvait parler librement, où on pouvait défendre la souveraineté de la Tchécoslovaquie. Donc il y avait un malentendu. D’ailleurs, quelques décennies plus tard, les ex-dirigeants de ce mouvement de Paris, comme par exemple Cohn-Bendit, ont bien reconnu qu’ils avait mal apprécié ce qui se passait en Tchécoslovaquie et que sur les problèmes politiques, c’est les Tchèques qui avaient raison et pas eux. Eux avaient raison dans un autre domaine mais en tous cas pas dans les termes qui étaient les leurs à l’époque actuelle. »
Vous êtes hongrois justement, la révolution de Budapest est la première révolution d’un des pays satellites de l’Union soviétique. Comment ont été perçus les évènements de 1968 en Hongrie ?
« En Hongrie il y avait une grande sympathie à l’égard des Tchèques et l’invasion soviétique a été considérée comme une chose extrêmement dramatique et même tragique. Il y avait d’ailleurs des militaires hongrois qui, en tant que personnes privées, cherchaient à prévenir leurs interlocuteurs tchèques de l’invasion qui se préparait. Et donc l’opinion publique à Budapest était consternée si bien que le régime Kadar, qui était quand même assez différent des autres régimes communistes du bloc cherchait à minimiser l’importance des évènements. Il n’y avait pas de propagande violente contre les Tchécoslovaques. Dans les journaux politiques diffusés dans les cinémas, ils essayaient de ne pas trop parler, et même de passer sous silence les évènements de Prague et de dire que tout allait déjà mieux, qu’il n’y avait pas de drame etc. Ce qui était un peu ridicule dans la mesure où la population, le public hongrois s’informait à travers les émissions radiophoniques de l’Occident – Radio free Europe, la BBC, etc. – donc quelque soit la propagande de Radio Budapest, ce n’est pas cela qui donnait l’information au public hongrois. »