Köcher, espion tchécoslovaque à la CIA, échangé par les Soviétiques contre Sharansky (2e partie)
Suite aujourd’hui de notre entretien avec Karel Köcher, ancien agent des services secrets tchécoslovaques qui a réussi à infiltrer la CIA américaine à une période où la Guerre froide était particulièrement chaude. Resté pendant vingt ans sur le territoire américain, il a transmis un nombre conséquent de précieuses informations à Prague. Des informations qui allaient bien évidemment directement vers Moscou. Et c’est de Moscou que viendra sa perte, puis son salut.
« Ma vie a été en danger au minimum une fois : cela s’est passé lorsque je me trouvais dans une prison à sécurité maximale, après mon arrestation en 1984. Dans la cellule voisine a été placé un jeune meurtrier multirécidiviste, qui s’est mis à me menacer sans aucune provocation de ma part. Le gardien lui a donné des ciseaux sous prétexte de pouvoir se couper les cheveux - alors que c’était une prison à sécurité maximale... Sa cellule, à la différence de toutes les autres, restait tout le temps ouverte. Un jour, au moment où j’ai quitté ma cellule pour aller déjeuner, ce jeune meurtrier s’est jeté sur moi avec un couteau fabriqué avec ces ciseaux. Mais l’attaque a échoué… »
Quelqu’un vous a sauvé la vie...
« Oui. Il partageait sa cellule avec un certain Sandy Alexander, président des Hell’s Angels de New York, qui s’était lié d’amitié avec moi en prison. Il a pu observer toute la préparation de l’attaque. Il m’a averti et puis au moment de l’attaque il a sauté sur l’agresseur et lui a pris le couteau. Tout a été fini, parce que Sandy jouissait d’une autorité immense au sein de la prison, et l’agresseur n’a plus rien osé. Peu de temps après, il a été transporté ailleurs. »
« Plusieurs années après, Sandy a essayé de trouver des informations sur le passé criminel de cet homme. Mais les détectives qu’il avait engagés ont révélé que toute la documentation sur son séjour en prison avait disparu. »
Ce qui vous laisse penser que les services secrets américains ont tenté de vous assassiner
« Oui, je n’ai aucun doute, il s’agissait d’une tentative de meurtre avec préméditation. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois. Avant cela, on a placé dans ma cellule un fanatique musulman, garde du corps personnel de Farrakhan… »
Louis Farrakhan ?
« Oui, le leader de la Nation of Islam… On espérait réussir à l’exciter contre moi. Mais au lieu d’une tension et d’un conflit meurtrier, une amitié s’est créée entre nous. Et après évidemment, on l’a mis dans une autre cellule. »
Pourquoi les autorités américaines auraient-elles chercher à se débarasser physiquement de vous ?
« A mon avis, la justice américaine est arrivée à la conclusion qu’après un procès, le tribunal allait devoir m’acquitter. D’une part à cause du manque de preuves, d’autre part parce qu’avant mon arrestation, les représentants du FBI et de la CIA m’ont promis l’immunité à condition que j’accepte de travailler du côté américain. Evidemment, j’avais accepté pour gagner du temps. Mais en dépit de cela, j’ai été accusé.»
C'est-à-dire qu’ils n’avaient pas assez de preuves et que les seules obtenues l’avaient été en contrepartie d’une promesse d’immunité, donc n'étaient pas valables ?
« Oui. Le procureur à l’époque était Rudy Giuliani (Rudolph Giuliani, devenu par la suite le maire de NYC, ndlr), qui préparait sa campagne au poste de maire de la ville de New York. Un échec aurait compromis sa réputation. »
Dans un documentaire canadien, on voit votre avocat américain raconter comment il a été abasourdi par votre idée de vous faire l’objet d’un échange entre Moscou et Washington entre votre épouse et vous et l’un des dissidents russes les plus connus de l’époque, Anatoly Sharansky et son épouse. Comment vous est venue cette idée ?
« L’explication repose sur ce que je viens de raconter. Le tribunal m’aurait acquitté, mais j’étais certain de ne pas rester en vie jusqu’au procès. J’ai décidé d’écrire une courte lettre au chef des services secrets extérieurs soviétiques, le général Kryutchkov, et je l’ai envoyée à Prague par l’intermédiaire de mon avocat. J’ai décrit la situation et proposé que les Soviétiques m’échangent contre Sharansky. Pourquoi Sharansky ? Pour deux raisons. Si les Soviétiques proposaient un tel échange, les Américains ne pouvaient pas le refuser à cause de leur opinion publique et surtout de l’influence des Juifs américains. Et puis je désirais aider Sharansky, moi aussi je suis d’origine juive. »
Suite et fin de cet entretien avec Karel Köcher mardi prochain. Il décrira notamment cette journée du 11 février 1986, lors de laquelle cet échange s’est déroulé sur le célèbre pont Glienicker Brücke entre Potsdam et Berlin.