Pierre Laniau : Il y a en Tchéquie un «chœur» de guitares très important
C’est tout au début de sa tournée centre-européenne qui le mènera en Tchéquie, en Pologne et en Slovaquie, que le guitariste français Pierre Laniau a fait escale dans le studio de Radio Prague. Ce musicien, chevalier des Arts et des Lettres, qui a su renouveler le répertoire de la guitare et qui est souvent l’invité de grands festivals, s’est entretenu avec Vaclav Richter sur l’histoire et les particularités de son instrument et aussi sur la musique qu’il joue.
Vous venez de débarquer à Prague avec votre instrument, la guitare. Quel répertoire allez-vous proposer au public tchèque ?
«Je suis venu avec deux guitares, une guitare baroque qui date à peu près du milieu du XVIIIe siècle pour jouer le programme baroque, et aussi avec une guitare à dix cordes pour jouer la musique française et la musique contemporaine. Donc deux aspects de la guitare et deux répertoires aussi singuliers qui permettent de faire le lien entre l’histoire de cet instrument depuis le XVIIe jusqu’à la fin du XXe siècle.»
Au XIXe siècle la guitare a été mise un peu à l’écart parce que c’était le siècle de la grande musique symphonique. Par contre, au XXe siècle, la guitare est devenue peut-être l’instrument le plus utilisé de tous. N’est-ce pas une profanation, à votre avis ?
«La guitare est un instrument joué à la fois à la cour et dans la rue, au théâtre, à l’opéra. Un instrument du ‘paraître’ autant qu’un instrument de l’intimité. La guitare a cela de particulier que c’est un instrument universel, ce qui est merveilleux parce que c’est un instrument joué partout dans le monde et qui peut jouer toute les formes de musique, du blues au flamenco, en passant par le jazz, le pop, le rock, la musique de la Renaissance. On joue la musique classique, on joue la musique contemporaine.
Il n’y a pas vraiment d’absence de la guitare au XIXe siècle, mais il y a sans doute une moindre richesse harmonique que pour les autres instruments, le piano par exemple. Au XXe siècle, la guitare devient un instrument à la mode, on peut même dire que c’est aussi grâce son aspect. Il est omniprésent par exemple dans la peinture cubiste.»
Revenons encore à votre répertoire. Je me suis aperçu que vous jouiez beaucoup d’adaptations des compositions créées pour d’autres instruments. Aimez-vous jouer ces adaptations ?
«C’est une tradition dans l’histoire de la guitare depuis Segovia et même avant lui, depuis le tout début du XXe siècle. Comme le répertoire de la guitare n’est pas aussi riche que celui d’autres instruments, les guitaristes ont cherché des œuvres à droite et à gauche, des œuvres écrites pour le piano, le clavecin ou pour le violoncelle. Cela dit, dans mon répertoire il y a peu d’oeuvres écrites pour le piano, à part des oeuvres de Debussy et les pièces de Satie. Les pièces d’Eric Satie, que j’interprète sur la guitare à dix cordes, ne sont absolument pas transcrites. Elles sont ‘détournées’ en fait de l’oeuvre pour piano, je joue l’exacte partition grâce à la guitare à dix cordes.»
Jouez-vous parfois ou avez-vous envie de jouer aussi des compositeurs tchèques ?
«Oui, bien sûr, malheureusement ce sont de grands compositeurs qui sont moins connus en France, et on n’a pas encore cette tradition de les jouer. Bien sûr, quant au répertoire pour orchestre, on connaît tous les compositions tchèques, mais peu d’oeuvres pour piano. Elles sont peu transcrites, alors qu’à mon avis il y a une très grande école de guitaristes tchèques. Depuis trente ans je connais des guitaristes tchèques qui ont gagné des concours internationaux, qui se sont installés en France et qui ont composé, des guitaristes et des musiciens merveilleux. Il y a en Tchéquie un ‘chœur’ de guitares très important.»