L’Epopée slave d’Alfons Mucha enfin à Prague ?
Alfons Mucha, artiste tchèque considéré comme un des maîtres de l’Art Nouveau, a connu ses plus grands succès en France. Au début du XXe siècle, il revient à Prague et se lance dans la réalisation d’une oeuvre immense, l’Epopée slave, cycle de toiles monumentales sur l’histoire du peuple slave. Dix-huit années de travail en tout pour le peintre, qui fit don de cette oeuvre à la ville de Prague en 1928, avant de mourir en 1939. Pourtant, 80 ans après avoir reçu ce somptueux cadeau, la capitale tchèque n’a toujours pas trouvé le moyen d’exposer cette oeuvre et elle se trouve encore dans le château de la petite ville de Moravský Krumlov à l’Est du pays.
« C’est une question à 60 000 dollars... J’ai du mal à comprendre pourquoi cette oeuvre n’est pas encore ici. Ce n’est certainement pas de la faute de notre famille. Elle a été offerte à la ville de Prague et devrait être exposée ici, mais de la manière dont Alfons l’envisageait, dans un espace approprié, un espace qui permettrait à l’oeuvre de chanter, de développer sa propre musique. »
L’Epopée slave se trouve depuis des dizaines d’années dans le château en mauvais état d’un petit village de Moravie :
« Jusqu’ici elle est à Moravský Krumlov. La capitale, la famille mais aussi le monde entier a une dette envers Moravský Krumlov. Parce que sans Moravský Krumlov, l’Epopée slave n’existerait plus. »
Critiquée par les milieux artistiques lors de sa présentation, l’Epopée slave reste l’oeuvre la plus impressionnante d’Alfons Mucha, connu davantage en France comme l’affichiste de Sarah Bernhardt :« Il a travaillé dessus pendant de nombreuses années et dans nos archives nous avons tout le déroulement. Il a même fait des répliques miniatures de chaque tableau. Chaque réplique mesure 1cm sur 2. Les tableaux font en réalité 6m de haut et huit mètres de large, mais il avait ses maquettes pour s’assurer que les thèmes étaient tels qu’il les voulait. »
« En gros, visuellement parlant, ce que vos auditeurs doivent imaginer, ce sont deux grandes pièces. Une pour dix tableaux avec les moments-clés de l’histoire des Tchèques et des Moraves. L’autre avec dix tableaux concernant les moments-clés de l’histoire des nations slaves comme la Russie, la Bulgarie, etc. »
Jusqu’ici, il avait été question de la construction d’un pavillon Mucha dans le quartier pragois d’Holešovice, à côté du parc des expositions. Un projet qui semble désormais abandonné :
« Eh bien ce sera peut-être un scoop pour vos auditeurs, parce qu’il apparaît que le bâtiment, que la ville de Prague voulait construire et que notre famille ne trouvait pas convenir à l’épopée slave, ne sera pas construit. »
« Pendant des années nous avons essayé d’avoir un dialogue constructif avec la ville de Prague. Un dialogue qui s’est avéré impossible pour des raisons que nous ignorons. Mais depuis moins d’un an, nous avons eu des discussions constructives avec Milan Richter, le responsable de la culture à la mairie de Prague. »
Le musée Mucha qui existe déjà à Prague est le musée privé le plus visité de tout le pays. Pour John Mucha, il ne faut pas manquer l’opportunité que représente un futur immeuble consacré entièrement à son oeuvre :
« J’ai un rêve, comme Martin Luther King. La ville de Prague a aujourd’hui l’opportunité unique de créer quelque chose de mondialement significatif. Quelque chose de similaire au musée Van Gogh d’Amsterdam. Je le vois comme une coopération entre la ville de Prague, la Fondation Mucha et un investisseur parce qu’il y a besoin d’argent. »
« Ce serait un bâtiment minimaliste qui permettrait à l’oeuvre de s’exprimer elle-même. Il contiendrait le pavillon bosniaque, que mon grand-père a dessiné pour l’exposition universelle de Paris en 1900 pour le compte de l’Empire austro-hongrois. C’est en réalisant ce pavillon qu’il a pris connaissance de l’histoire des Slaves et c’est ce qui lui a inspiré le concept de l’épopée slave. Dans ce même bâtiment il y aurait l’épopée slave ainsi qu’un musée Mucha. Et grâce au succès des expositions que nous organisons à l’étranger, comme en ce moment à Madrid, nous serons en mesure de faire des échanges. Nous avons par exemple de très bonnes relations avec le Musée des Arts décoratifs de Bordeaux. Nous pourrions par exemple leur prêter des oeuvres et en échange des objets de leur collection pourrait être exposés à Prague. Donc, c’est le genre de rêve que j’ai... »
« Ce n’est pas exactement dans le centre mais c’est plus près que le Palais des expositions, c’est à côté de Florenc, dans un quartier qui a été rénové. Cela pourrait élargir le champ touristique de Prague, en dehors du trajet entre le Château et le Pont Charles, qui peut devenir parfois trop encombré. Ce projet pourrait élargir l’éventail de ce que Prague a à offrir. »
Les rapports entre Mucha et son pays natal ont souvent été compliqués. Pour son petit-fils, il faut continuer la lutte :
« Une chose que j’ai apprise dès l’enfance. Si vous êtes un Mucha, c’est presque votre devoir de surmonter un à un les obstacles. Il y a quelques années, ma mère et moi avons été violemment attaqués par la presse tchèque. J’étais prêt à tout lâcher et à retourner dans ma banque à Londres. Mais je suis allé à l’exposition que nous avions montée à Prague – inaugurée par Václav Havel, ami de mon père – et j’y ai vu des jeunes de 15 ans ébahis devant les tableaux. C’est ce qui m’a poussé à continuer. Et je me suis souvenu de la chanson guerrière des Hussites. Elle dit : « N’aie pas peur de tes ennemis, ne regarde pas leur nombre ». Je me suis dit : « Oui, ça doit être la devise de notre fondation ! ». Je n’avais pas réalisé à quel point cette devise était prophétique. »