David Dorůžka, jeune espoir du jazz tchèque
Nous vous proposons le portrait d’un jeune guitariste, David Dorůžka, qui est sans doute le plus bel espoir du jazz tchèque. A 28 ans, il a déjà une carrière impressionnante : des études à Berklee, des rencontres avec des légendes du jazz, un disque enregistré à New-York, un séjour à Paris et des concerts dans toute l’Europe.
David Dorůžka a commencé la guitare à 10 ans, ce qui pourrait paraître tardif, mais à peine neuf ans plus tard, il partait pour Berklee, à Boston, une école de musique qui a la réputation d’être la meilleure et la plus prestigieuse dans le monde. David Dorůžka :
« A 10 ans j’ai commencé à jouer de la guitare. D’abord de la guitare classique et après quand j’avais douze ans je pense, j’ai commencé la guitare électrique, d’abord avec le blues, le rock et après le jazz.
Tu viens d’une famille de musiciens ou pourquoi as-tu commencé la guitare ?
Pas de musiciens exactement mais mon père et mon grand-père sont journalistes de musique. Ils écrivent beaucoup, ils font des programmes à la radio. Surtout mon grand-père est un expert en jazz. Il a écrit beaucoup de livres sur le jazz et il est assez connu en République tchèque. Mon grand-père est Lubomír Dorůžka et mon père Petr Dorůžka.Ils t’ont fait grandir dans une ambiance musicale, dans un monde musical qui t’a inspiré, j’imagine, assez tôt ?
Oui, exactement. J’ai entendu beaucoup de musiques, de styles très différents depuis tout petit et aussi c’était très facile de chercher ce que je voulais écouter à la maison. Ils avaient beaucoup de disques, beaucoup de musique. C’était super »
Après son initation musicale en République tchèque, Dorůžka se rend aux Etats-Unis :
« J’ai étudié pendant trois ans à Berklee. J’ai étudié la guitare et aussi la composition et l’écriture pour le Bigband. J’ai rencontré beaucoup de musiciens du monde entier parce qu’il y a beaucoup d’étudiants étrangers à Berklee et après j’ai déménagé à New-York. J’ai vécu à New-York pendant un an.
Comment était la vie là-bas ?
Quand on est à l’école, c’est pas trop difficile parce qu’une école comme Berklee où il y a beaucoup d’étrangers, l’école rend la vie facile à tout le monde. Quand j’ai fini l’école et j’ai déménagé à New-York, ce n’était pas facile du tout de gagner sa vie mais c’était super pour moi. J’ai rencontré beaucoup de monde, je pouvais voir comment se passe la vie là-bas pour les musiciens. Aussi c’était une époque un peu difficile aux Etats-Unis en général parce que j’ai déménagé à New-York un an après le 11 septembre. C’était aussi le début de la guerre en Irak. Ça a beaucoup marqué la vie à New-York, surtout la vie des artistes, parce que l’ambiance a beaucoup changé après le 11 septembre et beaucoup de new-yorkais ont arrêté de sortir, d’aller à des concerts et les gens étaient assez tristes. La première chose où l’on peut le sentir, c’est la vie des artistes. Je l’ai vraiment beaucoup senti parce que j’étais déjà allé à New-York avant dans les années 90 et encore quand j’étais à Berklee. Et aussi il y avait beaucoup de musiciens qui ont quitté New-York et les Etats-Unis. Et vraiment l’ambiance était assez différente après. »
Néanmoins, c’est à New-York que David Dorůžka enregistre son premier disque, avec des musiciens étrangers rencontrés à Berklee. Il est ensuite choisi par le guitariste américain Pat Metheny pour participer à un stage d’été à Aspen dans le Colorado où étaient présents, entre autres, des légendes du jazz tels que Herbie Hanckock, Joshua Redman, Brian Blade ou Christian McBride.
David Dorůžka rentre à Prague en 2003, faute de visa et d’argent, mais il avoue s’être demandé s’il n’allait pas rester aux Etats-Unis. Il renoue ses contacts à Prague, retrouve également des musiciens centre-européens rencontrés à Berklee, et se remet à fréquenter les scènes jazz de la capitale tchèque. En 2006, il décide de se rendre à Paris.
« J’ai toujours eu envie de vivre à Paris, de connaître la ville et je voulais apprendre le français. Je voulais connaître la scène. C’est très bien, c’est une ville très bien pour le jazz, il y a beaucoup de concerts, beaucoup de monde qui vient pour jouer. J’ai joué avec quelques musuciens français supers comme Laurent Coq – c’est un pianiste assez connu en France – et Géraldine Laurent. Il y a aussi beaucoup de musiciens étrangers à Paris. J’ai fait beaucoup de contacs.
On dit parfois en France que Paris était une grande capitale du jazz dans les années 30 mais que ce n’est plus le cas maintenant. Paris est-elle encore une grande ville de jazz ?
C’est difficile à dire, il y a du jazz partout. Je pense même que ce n’est plus comme avant quand New-York était la capitale mondiale du jazz parce qu’aujourd’hui, dans chaque capitale et dans presque tous les pays européens il y a une scène jazz. Partout c’est assez différent. Il y a des pays où il y a une tradition assez forte et d’autres où il n’y en a pas mais à Paris il ya beaucoup de choses qui se passent, pour moi j’ai trouvé ça très bien. »
Aujourd’hui, David Dorůžka est rentré à Prague où il investit la scène jazz locale. Derrière une attitude très timide, David Dorůžka, qui enseigne également au conservatoire de jazz Jaroslav Ježek, a des idées bien arrêtées sur la scène pragoise et sur le monde musical tchèque.
« A Prague c’est mieux maintenant qu’avant mais je pense que l’histoire du jazz tchèque a été très marquée par le communisme malheureusement et surtout pas les années 70 et 80 où le régime communiste était très strict et très oppressif. Ça a beaucoup marqué la culture malheureusement. Dans les années 60, il y avait de très bons musiciens comme Miroslav Vitouš, George Mraz, Jan Hammer qui ont quitté le pays en 1968. Ils sont partis aux Etats-Unis et après il n’y avait pas vraiment de bons musiciens ici. Maintenant, la jeune génération n’a pas vraiment de musiciens qu’elle pourrait suivre, étudier ou jouer et apprendre des choses. On doit partir à l’étranger ou chercher des contacts de musiciens à l’étranger. Mais Prague est une ville très touristique ; il y a des gens qui veulent écouter du jazz. Mais j’espère que le niveau va s’améliorer encore parce je ne suis pas content avec tout ce que j’entends à Prague. »
Guitariste virtuose, Dorůžka est aussi compositeur. Dans son dernier album, la majorité des morceaux ont été composés par lui. Pour les textes, il utilise les poèmes de l’américaine Emily Dickinson, du tchèque Jiři Orten ou encore ceux écrits par la chanteuse de son Quartet Josefine Lindstrand. Dorůžka adapte également des morceaux d’autres musiciens jazz mais aussi pop comme ce morceau de la chanteuse islandaise Björk que l’on écoute maintenant, difficilement reconnaissable pour une oreille non avertie.
David Dorůžka continue donc sa carrière à Prague mais toujours avec une démarche cosmopolite. Il joue beaucoup en Pologne et avec des musiciens polonais qu’il estime particulièrement doués. Ainsi Dorůžka veut s'inscrire dans une sorte de tradition centre-européenne du jazz. On l’écoute :
« Quand je compose ma musique, c’est du jazz mais aussi je veux jouer une musique où il y a une réflexion de mon pays, de ma culture, de mes origines. Finalement ça devient assez différent du jazz américain. Je ne veux pas vraiment être comme des musiciens américains ou comme des musiciens français.
Quelle est la petite marque tchèque qui fait la différence ou qui sonne différemment par rapport au jazz américain ou au jazz français ?
Il y a très peu de musiciens tchèques de jazz qui ont vraiment laissé une marque sur le jazz mondial mais il y en a quelques-uns quand même. Je pense qu’il y a une mélodie qui est très caractéristique, que l’on ne trouve pas dans le jazz américain. C’est quelque chose qu’on entend beaucoup dans la musique classique ou dans la musique folk de Tchéquie ou de Moravie. C’est la même chose que l’on trouve dans la musique de Leoš Janáček ou Antoín Dvořák. Un lyrisme peut-être. C’est quelque chose qui est typique, mais pas seulement pour la Tchéquie mais aussi pour les pays slaves de l’Europe centrale ou de l’Europe de l’Est. »