Zuzana Hulka : « Les plus grands peintres, c’est Beethoven ou Janáček »
Zuzana Hulka est une peintre française d’origine tchèque. Elle émigre en 1978 et après quelques années en Tunisie, elle s’installe en France en 1981. Aujourd’hui, elle se consacre exclusivement à une création que les critiques désignent comme « abstraction lyrique ». Jusqu’au 27 février, l’Institut français de Prague, l’Alliance française et la Galerie municipale de Plzeň exposent ses œuvres, en parallèle avec celles d’une autre Tchèque installée en France, Terry Haas.
Vous êtes née en 1951 à Zlín, qui s’appelait à l’époque Gottwaldov en Moravie. Est-ce que vous venez d’une famille d’artiste, est-ce que c’est quelque chose de famille le goût pour la création ?
« Malheureusement non. Mais je me souviens, le plus lointain souvenir que j’ai : j’ai été attrapée par la col de la chemise et assise dans l’atelier d’un peintre académique de Gottwaldov - ou Zlín - qui devait faire le portrait d’un enfant de Moravie. Je ne sais pas pourquoi j’ai été choisie. Ca sentait très bon la térébenthine, il y avait une lumière extraordinaire. Ce sont des éléments que je n’oublierai jamais. Il a vendu ce tableau-là et j’ai été obligée de recommencer et de refaire des pauses avec lui pour en faire un deuxième. J’ai toujours été attirée par les arts mais je viens d’un milieu très simple où il n’y avait aucun contact avec l’art. Un jour – je crois que j’avais 15 ans – j’ai vu dans la ville d’Ostrava une rétrospective fantastique, reprise d’une exposition pragoise, de František Kupka. Je ne connaissais rien de l’art abstrait. J’ai trouvé cette grande composition appelée ‘Printemps cosmique’ extraordinaire. Je l’ai tout de suite comprise, j’étais très émue. Et petit à petit j’ai découvert que l’art est un monde très vaste et très profond. »
Donc à l’origine une odeur, la térébenthine, et un peintre, Kupka…
« Et la lumière… »
Et la lumière. Vous parliez de Kupka, avez-vous fait des études d’histoire de l’art et d’arts plastiques pour mettre en pratique cette découverte ?
« Je suis rentrée à la faculté de philosophie d’Olomouc à l’époque où il y a eu des renvois de professeurs après le printemps de 1968. Nous nous sommes retrouvés dans deux disciplines, la langue tchèque mais surtout les arts plastiques sans vraiment de professeurs conducteurs. On nous a donc laissé pousser comme de la mauvaise herbe, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Bien sûr, le chemin par la suite est beaucoup plus long. Vous devez vous trouver vous-même, mais vous ne risquez pas de vous retrouver dans une sorte de moule et vous y rigidifier. »
Donc vous avez fait une sorte d’autoformation ?
« Quelque part oui, mais avec une liberté axée vers l’espace d’un grand atelier. »
Est-ce que ce sont de beaux souvenirs pour vous cette époque ?
« Tout à fait, nous n’étions que sept dans l’atelier. Ce furent des expériences extraordinaires, humaines surtout. »
Est-ce que vous vous souvenez du premier tableau que vous avez réalisé, quand vous vous êtes dit : ‘je veux devenir peintre’ ?
« Je me souviens surtout du premier tableau réalisé dans les ateliers en cours du soir. Il n’y avait qu’un seul modèle, un citron jaune. J’ai réalisé le portait jaune d’un personnage. Mais je n’ai jamais pensé à devenir peintre. J’ai quitté mon pays en 1978, j’avais trois enfants. Je suis restée deux ans en Tunisie, j’arrive en France où je commence à travailler et à m’occuper de mes enfants. Parallèlement je peignais, pendant la nuit. Jusqu’au moment où je travaillais tellement que j’ai réalisé à un âge assez tardif que j’étais devenue peintre. Il n’y a pas de possibilité de retour en arrière. Je ne peux pas vivre autrement, je ne peux pas vivre sans peinture. »
Vous dites que vous êtes partie en Tunisie et au début de l’entretien vous évoquiez l’importance de la lumière. Est-ce que vous avez trouvé en Tunisie une lumière particulière qui vous aurait inspirée par la suite ?
« Je ne pense pas qu’elle m’a vraiment inspirée directement mais peut-être indirectement bien sûr. Imaginez : voir pour la première fois la mer, sentir l’odeur de la mer, voir ces espaces dans le désert, ça vous imprègne certainement. »
Les critiques désignent votre peinture comme de l’ « abstraction lyrique ». Peut-être vous-même ne plaquez pas de notion sur votre peinture puisque vous la faites. Qu’est-ce que cette définition de votre peinture évoque-t-elle pour vous ?
« On donne toujours des ‘sceaux’ aux peintres. Mais les critiques n’avaient pas tort pendant une longue période : je travaillais beaucoup de façon lyrique et gestuelle. Aujourd’hui on peut parler d’un lyrisme beaucoup plus maîtrisé. Mes références aujourd’hui sont plutôt des intenses pensées vers l’intérieur de moi-même ou d’un peintre et son monde intérieur. Il faut trouver un langage pour exprimer tout ça. »
Vous aimez la couleur en tout cas, ça se voit dans vos tableaux, où vous multipliez les aplats de couleur. Il se dégage de ces aplats qui se superposent sans se mélanger une impression presque musicale. La musique rentre-t-elle en compte dans votre création ?
« J’aime énormément la musique. Pour moi, les plus grands peintres, c’est Beethoven, c’est Janáček… Je compose ma peinture comme un compositeur construit sa musique. Ma démarche est assez semblable à celle du contrepoint. Je commence par exemple sur une grande surface blanche avec un sentiment, une couleur choisie. Je sais où elle va être placée, je sais dans quelle orientation elle va être placée. Ce premier pas franchi, je suis obligée d’ajouter une autre couleur. Après je travaille vraiment comme un compositeur. Dans ce travail qui se découle apparemment de façon libre, il y a un ordre très strict, très exigeant. J’obéis à ce qui se passe sur le tableau jusqu’au moment où le tableau se referme lui-même et je deviens son spectateur, le premier spectateur. Quand je dis qu’il se termine tout seul, ça signifie que rien ne gêne mon œil et je sens que peut-être il a ajouté un petit plus à mon travail. »
Avant cet entretien, vous me parliez d’une définition du peintre… Qu’est-ce qu’un peintre pour vous ? Ou qu’est-ce qu’un peintre accompli pour vous ?
« Si quelqu’un a un peu d’expérience artistique et a l’occasion de regarder une œuvre d’art, il peut découvrir facilement les motivations du créateur. Cela peut être une virtuosité, mais qui est creuse. Cela peut-être un laborieux artisanat. Cela peut-être un désir de réussir socialement. Pour moi un vrai peintre, c’est quelqu’un qui a un besoin intérieur, profondément intérieur, de communiquer. Moi, je ne parle pas donc je peins. Un vrai peintre essaye de formuler sa propre attitude intérieure envers lui-même et son attitude envers le monde extérieur, vers son organisation et vers sa vérité. »
Est-ce à dire que le peintre se met à nu devant ses potentiels spectateurs ?
« Parfois oui. Pour certains, on ne peut pas lire absolument tout. Il s’agit d’une communication. Si on communique, on communique généralement à deux. Dans ce cas le spectateur devrait avoir des données, un vécu assez semblable pour qu’un dialogue puisse s’établir et qu’il puisse comprendre l’œuvre qu’il a en face de lui. »