Thomas Gunzig : Le tchèque a été la première langue dans laquelle on a traduit mes livres
Un humour corrosif, une imagination déchaînée, le goût de l'absurde, mais aussi un réalisme sauvage de certaines situations - tels sont les aspects principaux des romans et des nouvelles de l'auteur belge Thomas Gunzig. Ses romans et ses nouvelles commencent souvent comme des histoires de la vie quotidienne tout à fait inoffensives mais virent bientôt au cauchemar et l'écrivain finit par traiter des thèmes explosifs comme le suicide, la guerre, le sexe, le racisme, la torture, la solitude. Heureusement grâce à son d'humour teinté d'ironie, la réalité sauvage et terrible de notre monde qu'il nous présente sans complaisance et avec une cruauté allègre, devient quand même plus supportable.
Thomas Gunzig est né en 1970 à Bruxelles. Il a reçu le prix Victor Rossel 2001 pour son premier roman « Mort d'un parfait bilingue ». En 2003 on lui a décerné le Prix des Editeurs pour son recueil de nouvelles « Le plus petit zoo du monde ». Aujourd'hui il ne manque pas de lecteurs et la liste de ses oeuvres s' allonge. On lui doit entre autres : « A part moi personne n'est mort », « Situation instable penchant vers le mois d'août », « Il y avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu. » Rien qu'en lisant les titres de ses livres on se rend compte qu'il s'agit d'un auteur capable de marier humour et originalité. « Tout se construit sur les détails, dit-il. On peut écrire ce qu'on veut, si le personnage a froid, il faut que le lecteur ait froid avec lui. Un roman a beau être bien construit, d'une écriture élégante, si la réalité n'y est pas, c'est foutu. Il faut faire très gaffe à ne pas vouloir faire de l'écrit pour l'écrit. »
Récemment Thomas Gunzig est venu à Prague pour participer à une rencontre et un débat d'écrivains francophones de divers pays. Il ne s'y sentait pas tout à fait à l'aise et s'en est confié à Radio Prague :
« Je me sentais un tout petit peu pas à ma place. J'avais l'impression d'être avec beaucoup de gens extrêmement brillants et qui avaient beaucoup de choses à dire, et moi j'ai souvent le problème d'avoir le sentiment de ne pas avoir d'autre chose à dire que ce qu'il y a dans mes bouquins. Donc c'est vrai que comme le monde parlait pour dire des choses intelligentes sur des sujets intelligents, souvent c'est un défi qui me dépasse un petit peu. Il y a des gens qui sont très professionnels pour cela et ce n'est pas mon cas. »
C'était un débat sur l'exil. Est-ce que vous vous sentez exilé de temps en temps ?
« Alors, par rapport à votre question il y a deux attitudes possibles. Soit essayer d'avoir l'air brillant en vous répondant oui et le développer, soit vous dire que non mais que mon bonheur serait complet si j'avais une maison, puisque je loue un appartement. C'est très bête de vous dire ça, mais je vous jure que j'en souffre. J'adorerais avoir une maison à moi ... ou un appartement, enfin un endroit qui m'appartienne. »
Si je me rappelle bien vous avez des parents ou des ancêtres tchèques. Est-ce vrai ?
« Tout à fait. Mon grand-père paternel était tchèque, mais mon père n'est pas né en Tchécoslovaquie à l'époque. Il est né en Espagne et moi même je suis né en Belgique. Mais c'est vrai. Mon père a souvent parlé de la Tchécoslovaquie. On sentait dans sa voix un brin de fierté d'avoir un père tchèque. J'ai du mal à dire la République tchèque parce que quand j'étais petit j'ai toujours entendu dire la Tchécoslovaquie. En tout cas quand mon père en parlait, c'était quelque chose un peu mythique. Cette Tchécoslovaquie était à la fois fantastique et terrible, effrayante et sublime. Et ce qui est paradoxale est que le tchèque a été la première langue dans laquelle on a traduit mes livres. Je reviens donc assez souvent et j'ai fini par connaître des gens et puis par me sentir, je ne veux pas dire bien en République tchèque, mais bien à Prague en tout cas. Je ne connais pas encore le reste. »
Quand vous arrivez en République tchèque, est-ce que vous avez, de temps en temps, le sentiment de déjà vu ?
« Oui et non, mais, vous savez, on vit dans ce grand mouvement de mondialisation, les grandes capitales commencent à se ressembler les unes aux autres. Alors il faut voir ce qu'il y a derrière les grands panneaux publicitaires, derrière les grandes voitures 4X4, derrière les touristes. Et c'est vrai qu'il y a une couche uniforme qui se dépose sur les capitales, donc le sentiment de déjà vu est là. Mais c'est aussi une ville qui est assez proche de Bruxelles, donc la ville où je vis, qui n'est pas trop grande et où il y a encore de très belles choses assez bien conservées et un côté - j'ai l'impression mais peut-être je me trompe - un côté modeste. Cela me plaît et fait que je me sens beaucoup mieux à Prague qu'à Paris, ou à Londres, dans les grandes villes un peu arrogantes, éclatantes, etc., mais qui n'ont pas une modestie qui me donne envie de fraterniser quelquefois. »
Vous avez parlé de vos livres traduits en tchèque. De quels livres s'agit-il ?
« Alors attendez, en tchèque il y a des traductions de deux recueils de nouvelles « Il y avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu » et « Take five », je pense. Et maintenant je viens de rencontrer un traducteur et ami qui va traduire mon dernier roman qui s'appelle « Kuru ».
Pouvez-vous résumer ce roman ?
« J'ai essayé de parler d'une aventure un peu drôle, burlesque de cinq trentenaires qui se décident un jour d'aller manifester contre la mondialisation, un problème auquel ils n'entendent pas grand-chose, qu'il ne comprennent pas forcément très bien qui vont être confrontés pour la première fois dans leur vie à la véritable violence policière. Et tout cela dans une étrange ambiance conspirationiste un peu magique. Il y a donc des gens un peu étranges etc. Et tout cela se passe à Berlin. C'est une ville que j'aime bien aussi et dans laquelle j'ai rencontré ma fiancée. Donc c'est une attache particulière. Et voilà... »
Est-ce que Prague pourrait vous inspirer, elle aussi, un roman, un conte ... ?
« Oui, d'ailleurs Prague est dans le roman que j'écris pour l'instant. Oui, Prague est là. Ce roman que je suis en train d'écrire qui s'appelle « Manuel de survie à l'usage des incapables » se passera en partie à Prague. Mais c'est très difficile d'écrire sur une ville qu'on ne connaît pas. Parce qu'on risque de tomber dans le cliché, dans la vision touristique de la chose. C'est donc un exercice compliqué et dangereux. Mais j'ai envie de parler de Prague et je ne veux pas tomber dans le cliché du genre « Prague la Mystérieuse » parce que la Prague d'aujourd'hui a encore cette dimension mystérieuse mais n'a pas que ça. Il y a Prague la Cosmopolite, Prague la Touristique, Prague la Nerveuse, etc. elle a aussi ce côté magique. Enfin on a l'impression de le sentir quand on arrive. Cette sensation magique, c'est un truc qui me plaît. Je le trouve encore à Berlin, à Bruxelles, dans les villes qui ne sont pas trop grandes. Ca part quand ça grandit.
Vous connaissez mieux Berlin que Prague ?
« Je crois que je pourrais me perdre à Berlin, mais j'ai plus lu sur Berlin parce que j'ai écrit ce livre sur Berlin. Mais je ne me perdrais jamais à Prague et je connais moins Prague. C'est bizarre, hein? Mais vous verrez, d'ici deux ans, je connaîtrais très bien Prague. Enfin je la connaîtrais très bien pour quelqu'un qui n'habite pas la ville. »