Cinéma : et si l'on se donnait rendez-vous à Besiny ?
Pour l'automne 2006, les distributeurs ont annoncé la sortie d'un nombre record de huit documentaires tchèques et étrangers. Parmi ceux qui sont déjà en salles, le film d'une jeune documentariste, Erika Hnikova, « Sejdeme se v Eurocampu » (Rendez-vous à l'Eurocamp), où elle scrute la vie dans un village tchèque niché au pied des monts Sumava.
Après avoir réalisé, en 2004, un documentaire à succès sur les femmes tchèques soumises au dictat de la mode, Erika Hnikova, 30 ans, s'est tourné cette fois-ci vers un tout autre monde. Dans « Rendez-vous à l'Eurocamp », sorti en salles le 14 septembre, elle nous fait découvrir Besiny, village de 620 habitants situé dans le sud-ouest du pays.
« Quand je suis arrivée au village pour la première fois, j'ai d'abord fait la connaissance du pompier Frantisek Petrzelka, puis des Sokols. J'ai pensé pouvoir y tourner un film sur les uniformes. Mais lorsque j'ai commencé à connaître mieux ce village où il n'y a pas de 'hospoda', juste ce restaurant Eurocamp au bord, où le maire s'occupe de ses affaires et n'écoute pas vraiment les autres... du coup, d'autres thèmes à traiter ont surgi. Sinon, je suis tombée tout à fait par hasard sur Besiny. J'ai des amis qui y ont un chalet. Ils m'ont dit qu'il serait intéressant d'y tourner un film.»
Erika Hnikova suit dans son film trois hommes qui représentent à la fois l'échantillon de la population de Besiny et les trois organisations implantées au village : Frantisek Petrzelka dirige le corps local des sapeurs-pompiers volontaires qui réunit hommes, femmes et enfants, quelque 67 personnes au total. Il a été créé il y a 112 ans. Josef Matejka, surnommé Mates, est maçon et représente l'association des chasseurs de Besiny. Enfin, l'athlète Pavel Vacek s'engage au sein de l'organisation gymnique des Sokols.Un village animé, dirait-on, mais la réalité, révélée par Erika Hnikova, est toute autre. « Film sur un village qui n'a pas de bistrot », tient-elle à préciser dans le sous-titre du documentaire. Cette absence de la fameuse 'hospoda' est, d'après elle, à l'origine de tous les conflits, malentendus et rivalités qui entravent la vie de ce petit village. Personne ne veut le dire ouvertement, mais on sous-entend que les pompiers tournent en dérision (soit disant gentiment) les Sokols, que ces derniers se sentent marginalisés, que les chasseurs ne veulent se pencher ni d'un côté ni de l'autre.
Le bistrot du village, construit sous l'ancien régime dans le cadre de l'initiative Z (c'est-à-dire par les villageois eux-mêmes pendant leurs temps libre), est en ruines. Le maire de Besiny (critiqué à droite et à gauche, mais ne trouvant pas d'adversaires pour les élections) a fait construire au bord du village, avec le soutien européen, l'Eurocamp déjà cité : restaurant, hôtel et centre de loisirs, destiné notamment aux touristes et très peu fréquenté par les gens du coin. Le partenariat entre Besiny et d'autres villages européens semble être la grande fierté du maire Frantisek Vlcek, homme cultivé et réservé : lorsqu'il organise, dans la salle de gymnastique, la sokolovna, une soirée culturelle en l'honneur des invités d'Irlande et de Bavière, les pompiers endimanchés pour l'occasion doivent siroter leur bière dans une salle voisine...
Erika Hnikova fait un constat peu réjouissant de l'état d'âme d'un village tchèque, aussi pittoresque soit le cadre où il est placé, comme c'est le cas de Besiny. Si on rigole tout au long du film, ce rire a forcément un goût amer. Il devient presque désespérant de partager la vie, pendant une heure, de ce village somnolent habité de râleurs éternels. Forcément, le film suscite débat... Ecoutez son héros principal, le pompier Frantisek Petrzelka, venu à la première projection publique du film à Prague :« Bien sûr qu'il y a des problèmes au village, mais des petits problèmes, rien de grave... Le film nous montre sous un jour défavorable. Notre village est beau et son maire, mon camarade de classe Frantisek Vlcek, occupe ce poste depuis presque 20 ans et il sait exactement ce qu'il doit faire. Ce qui est montré dans le film, ce n'est pas OK... Et puis, un critique du journal Pravo a écrit que je ne parlais pas aux Sokols. Mais ce n'est pas vrai ! Bien sûr qu'on parle encore du film, entre nous. Mais il n'a pas changé grand-chose dans le sens positif. Au contraire, il a un peu semé la haine parmi les voisins, les copains... A mon avis, il a été mal monté. Il a dû parler des pompiers, des uniformes et des gens qui les portent, comme cela avait été dit au début... »
La réalisatrice Erika Hnikova confirme :
« Le film a divisé le village. Il plaît à certains et déplaît à d'autres, ce qui est normal après tout. Ceux qui l'aiment pensent qu'il montre la situation réelle. Par contre, il ne plaît pas au maire du village et aux gens qui lui sont proches. Ils trouvent que le film ne montre qu'une partie de la réalité. Je ne sais pas ce qui est vrai. Ce que je montre, c'est ma vision des choses. Il est vrai que je le fais avec l'intention que le film ait une signification plus générale. »Selon Fratisek Petrzelka, le film « n'a pas changé grand-chose ». Erika Hnikova, elle, a l'impression que la vie à Besiny a évolué depuis la fin du tournage, il y a un an, sans se demander si ces changements sont dus au film ou pas. Première nouveauté : cette année, pour la première fois depuis 16 ans, deux candidats se disputeront le poste de maire aux élections municipales. Erika Hnikova ajoute :
« En effet, il y a eu des changements depuis le tournage. Le maire essaye de se rapprocher des villageois. Frantisek m'a dit que pendant l'été, il était venu pour la première fois au bal des pompiers. Je crois qu'il est plus à l'écoute des gens puisqu'il a compris qu'il faisait plein de choses pour son compte. Et puis le bistrot devrait rouvrir dans un an. Une habitante du village l'a racheté et le fait reconstruire en ce moment... Troisième nouveauté - on a rénové l'église du village. »
« Rendez-vous à l'Eurocamp » a été diffusé en février dernier par la télévision publique. Le film est distribué en salles par Aerofilms.