L'art médiéval français des collections tchèques a inauguré le nouveau Musée archidiocésain d'Olomouc
Le 1er juin a été inauguré le Musée archidiocésain à Olomouc, en Moravie centrale. Cet événement va de paire avec le retour du Musée des Arts de la ville dans le giron financier de l'Etat. Une occasion de visiter, aujourd'hui, ce nouveau Musée, consacré à l'art spirituel en Moravie, d'autant que c'est avec une exposition d'art médiéval français qu'il a ouvert ses portes au public.
« Du bon du coeur », c'est le titre qui a été choisi pour cette exposition, une centaine d'objets sélectionnés parmi quelque 300 à 400 oeuvres d'arts médiévales françaises, issues des collections tchèques et moraves dispersées à travers le pays. « Du bon du coeur », c'est aussi une inscription provenant d'une bague en argent datée du XVe siècle, probablement un anneau de fiançailles, comme le suggèrent ces mots tendres. La collection d'objets présentés, acquis pour la plupart au XIXe siècle par des collectionneurs, est éclectique et diverse de par ses origines mêmes : l'artisanat d'ivoire y sera notamment représenté, depuis des éléments détachés ayant appartenu à des autels, des madones, en passant par de simples objets utilitaires comme des manches de couteaux, des peignes, mais aussi des pièces de monnaie, frappée notamment pour la cour des Papes en Avignon, des émaux de Limoges, de la ferronnerie, et bien sûr, les manuscrits enluminés...
Pavol Cerny, professeur d'histoire de l'art à l'université d'Olomouc, spécialiste de l'art médiéval, a activement collaboré à la préparation de l'exposition. Ecoutons-le nous détailler un peu plus, une autre série d'objets exposés, particulièrement intéressants quant à ce qu'ils nous révèlent des mentalités médiévales :
« C'est pour la plupart les manuscrits qui dominent, du point de vue de leur qualité, mais aussi de leur importance textuelle, puis ce sont les enseignes de pèlerinages, qui sont à notre avis très intéressantes, malgré le fait qu'il s'agisse d'objets produits de manière sérielle, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'objets individuels, originaux. Mais ils sont très intéressants du point de vue de l'histoire culturelle en général, car ils sont des documents concernant les pèlerinages, particulièrement entre la France et les pays tchèques. On fait remonter ces liens à Saint Adalbert, c'est-à-dire le second évêque de Prague, qui est allé à Tours, à Saint-Denis, peut-être au Mont Saint-Michel, à la fin du Xe siècle. Il y a des enseignes qui ont bien sûr été achetées à la fin du XIXe siècle, mais certaines proviennent aussi de pèlerins tchèques qui sont allés en France à la fin du Moyen Age. C'était bien sûr une sorte d'industrie du pèlerinage : on a des pèlerins qui se rendaient dans certains centres de culte, comme le tombeau de Saint Martin à Tours, ils y achetaient une enseigne et revenaient avec dans le pays tchèques. »
A quoi ressemblent ces objets ? Que représentent-ils et quels sont les symboles ?
« Ce sont pour la plupart des représentations de saints qui ont donné le nom au lieu, comme pour le tombeau de saint Martin à Tours, on a la représentation de cet évêque dans son vêtement liturgique et épiscopal. D'ailleurs pour le Mont Saint Michel est connue une enseigne sous forme de cet archange qui combat le diable etc. »
Des petits objets tout simples, pour les petites gens, en plomb, en étain pour la plupart. En exagérant un peu, on pourrait les comparer avec les ventes de souvenirs dans les hauts lieux touristiques à l'heure actuelle. Ils n'en restent pas moins un témoignage vivant d'une ferveur religieuse qui était l'essence même d'une existence chrétienne, une foi sans laquelle on ne peut comprendre les hommes du Moyen Age...
Mais les enseignes de pèlerinage ne sont bien sûr pas les seuls objets à découvrir. Pavol Cerny attire l'attention sur quelques autres « incontournables » :
« Pour le public qui se contente des qualités esthétiques, je crois que c'est pour la plupart les manuscrits et leurs peintures. Par exemple, nous avons un exemplaire de texte juridique qui a été copié à la fin du XIIIe siècle à Paris et qui a été illuminé par Maître Honoré, un grand personnage. A côté de cette qualité exceptionnelle du point de vue historique, les enluminures sont très belles et peuvent servir d'emblème de cette exposition. Puis ce sont aussi les autres manuscrits de caractère liturgique : nous avons un livre d'évangile de l'école franco-saxonne qui date du milieu du IXe siècle et qui est décoré de très riches miniatures. Il fait aussi partie des plus grandes oeuvres de notre exposition. »
L'exposition est une occasion de rappeler une fois encore, combien les liens entre la France et les pays tchèques ont été importants sous le règne de Charles IV. Non pas du fait de la provenance originelle des oeuvres, puisque nous avons dit qu'elles ont été acquises bien souvent beaucoup plus tardivement, mais parce qu'elles viennent appuyer une réalité : l'influence de l'art médiéval français sur la création artistique dans le royaume de Bohême au XIVe siècle.
« Du bon du coeur » s'achèvera le 30 juillet, après avoir servi d'exposition inaugurale à l'ouverture prévue du Musée archidiocésain d'Olomouc, le 1er juin. Ondrej Jakubec, commissaire de l'exposition d'art médiéval français mais aussi conservateur au nouveau musé, nous rappelle la genèse de l'établissement :
« C'est vraiment lié avec la visite du pape Jean-Paul II à Olomouc en 1995. Il est intervenu personnellement auprès de l'archevêque à l'époque pour que soit fondé ce musée. C'est vraiment uniquement grâce à cela que du côté de l'archevêché, il y a eu la volonté et que l'énergie a été trouvée pour réaliser ce projet, car vraiment, c'était très compliqué. Il était nécessaire que de nombreux acteurs importants coopèrent ensemble, c'est-à-dire pas seulement l'Eglise, l'archevêché, mais aussi l'Etat tchèque, représenté dans le cas présent par le Musée des Arts d'Olomouc qui, en 1998, a conclu un contrat avec l'archevêché. De là date la fondation du Musée archidiocésain : l'archevêché se chargeait de fournir les bâtiments, ceux de l'ancien doyenné capitulaire, et de fournir les collections. »
Avec une collection permanente axée sur l'art spirituel en Moravie, avec des objets d'art à la fois issus de l'activité de mécénat des évêques et archevêques d'Olomouc, comme par exemple leurs collections de tableaux de maîtres néerlandais ou italiens, avec une période balayant un millénaire, le Musée archidiocésain ne cache pas ses ambitions, et se devait d'élire domicile dans un lieu non moins prestigieux. Ondrej Jakubec :
« Il est indéniable que toute la zone avec la cathédrale Saint-Venceslas et ce que l'on appelle le château fort d'Olomouc, car c'est là qu'ont siégé autrefois les princes d'Olomouc, de la dynastie des Premyslides, et le siège de l'archevêché, tout cela n'a d'équivalent en République tchèque que le Château de Prague. Il n'y aucun autre ensemble, qui du point de vue de sa signification et de ses fonctions soit comparable. Déjà de ce point de vue, il s'agit d'un ensemble architectural exceptionnel du point de vue historique qui remonte au moins au XIè siècle sinon plus. »
Ainsi, toute la zone est classée monument historique. Et si par le passé les multiples usages qui ont été faits des bâtiments capitulaires, transformés en université par exemple, n'ont été forcément synonymes de respect des éléments d'époque, il n'en va pas de même aujourd'hui. Dès le début des projets de reconstruction et de restauration, les exigences esthétiques ont été scrupuleuses. Une juste harmonie devait être trouvée entre la conservation des éléments architecturaux d'époque et les nécessaires aménagements de la modernité. Et le résultat ? Qu'en pense Ondrej Jakubec, dont les bureaux se trouvent également dans les locaux restaurés :
« Le résultat, c'est à chacun de juger, je pense. Personnellement, j'estime que c'est une des réalisations les plus intéressantes d'Olomouc depuis 1989. Ici, on a travaillé avec une approche que l'on peut qualifier de « pieuse » : les architectes ont essayé de conserver dans la mesure du possible les parties originelles et, consciemment, ils se sont efforcés de ne faire qu' « apposer » leurs nouveaux éléments dans ce vieil organisme. Ils n'ont pas cherché à les lier entre eux, ils ont clairement défini où ils allaient placer de nouvelles formes et où commençaient les anciennes parties du bâtiment. C'est très clair pour les sols par exemple : quand ils installent de nouveaux sols, ils laissent une sorte de ceinture entre eux et le mur. Bien sûr, cela fait contraste, car ils travaillent avec des matériaux comme le béton, l'acier, le verre, une approche très puriste et très minimaliste qui peut sembler irrespectueux à certains, à cause du contraste avec les alentours pittoresques. Je pense toutefois que c'est là un exemple intéressant de mise en relation de l'ancien et du neuf. »Pour avoir rencontré Ondrej Jakubec sur son lieu de travail, les locaux administratifs refaits à neuf ne manquent en effet pas d'un cachet certain, qui ne peut pas laisser indifférent : les cages d'escalier étroites au marches sombres semblent surgir, comme un trompe l'oeil, là où on ne les attend pas et où l'on croit à un reflet quelconque, de sorte qu'elles sont paradoxalement la discrétion même tout en frappant fort lorsqu'elles se dévoilent. Et il semble en aller de même pour tout l'ajustement moderne-ancien des travaux de restauration déjà achevés, ce qui laisse augurer du mieux pour la partie exposition.
Rendez-vous donc, à partir de ce début juin, au Musée archidiocésain de la ville d'Olomouc. Chapeauté par le Musée des Arts de la ville, il voit l'avenir de manière un peu plus sereine qu'il y a quelques mois, puisque le ministère de la Culture a annoncé récemment qu'il en reprenait la gestion financière, jusqu'alors assurée par la région. Rappelons, enfin, que l'exposition d'art médiéval français, « Du bon coeur », sera ouverte jusqu'au 30 juillet prochain.