"La Passion grecque" - testament artistique et humain de Bohuslav Martinu
Ce jeudi, le Théâtre national de Prague a présenté la première de l'opéra "La Passion grecque " de Bohuslav Martinu, oeuvre qui s'inspire de la passion du Christ et rapproche ce thème biblique de notre temps.
L'opéra "La Passion grecque" est basé sur le roman "Le Christ recrucifié" de Nikos Kazantzakis. "A notre époque, a écrit Martinu, l'artiste passe par une étape de confusion des valeurs et recherche l'ordre, le règlement, qui sauvegardent et garantissent les valeurs humaines et artistiques; c'est le cas du roman de M. Kazantzakis et c'est pourquoi je l'ai choisi comme texte d'opéra tragique." La production du Théâtre national dont la première a eu lieu ce jeudi, a été préparée par le musicologue Ales Brezina qui a fait aussi une nouvelle traduction du livret.
"La Passion grecque est le dernier opéra de Bohuslav Martinu, ou plus précisément les deux derniers opéras de Bohuslav Martinu, car il l'a écrit deux fois en deux versions très différentes et c'est le sommet de l'ensemble de son oeuvre lyrique. Déjà dans les années vingt à Paris, il a créé un plan des opéras qu'il envisageait d'écrire et ce projet devait aboutir à un grand drame lyrique. Il considérait cette oeuvre comme le credo de toute sa vie."
L'opéra raconte l'histoire du pâtre Manolios qui doit jouer le rôle du Christ dans le Mystère de la Passion dans un village grec. Il prend son rôle au sérieux, se lance passionnément à la rescousse des pauvres et des démunis, entre en conflit avec les villageois et est finalement tué par un fanatique. Selon Ales Brezina, c'est un opéra moins religieux que spirituel.
"Martinu était de confession catholique romaine, mais ce n'était pas un chrétien pratiquant, il n'allait pas à l'église. La foi était pour lui une affaire intime. Je ne dirais pas que son opéra soit religieux, parce qu'il ne s'agit pas d'une foi concrète. Il n'est pas important si c'est l'Eglise orthodoxe grecque ou l'Eglise catholique, il s'agit plutôt de savoir quel changement peut-on subir quand on est confronté au malheur des autres et quand on s'identifie avec l'être divin."
Le metteur en scène Jiri Nekvasil et le scénographe Daniel Dvorak ont procédé à une actualisation de l'opéra. Les costumes des villageois situent l'action dans les années cinquante du XXe siècle et peut-être encore plus près de nous. Certains détails vestimentaires font allusion à l'américanisation du monde actuel. Les décors sont inspirés de la chapelle Notre-Dame de Ronchamp de Le Corbusier. Ales Brezina apprécie toutes ces trouvailles scéniques y compris le final de l'opéra où les spectateurs assistent à une espèce de résurrection du pâtre assassiné, scène qui ne figure ni dans le roman de Kazantzakis ni dans l'adaptation de Martinu :
"C'était une excellente idée de Jiri Nekvasil. Le moment où Manolios se lève et emprunte le chemin de la lumière a provoqué chez moi une très forte émotion. Le cercle se referme. Au début Manolios est chargé de représenter le Christ et à la fin il le devient."
Le public a longuement applaudi cette première. Elle a pris des dimensions monumentales grâce, notamment, à Jiri Belohlavek qui a dirigé l'orchestre, les solistes et le choeur du Théâtre national d'une façon magistrale.