Alain Fantapié: "Aujourd'hui nous avons le sentiment que Karel Ancerl nous est complètement rendu."
C'est au disque que le chef d'orchestre tchèque, Karel Ancerl (1908-1974), doit sa renommée internationale. Lorsqu'il est devenu, en 1950, directeur musical de l'Orchestre philharmonique tchèque, l'industrie du disque prenait un grand essor et le niveau technique des enregistrements augmentait rapidement. Grâce aux disques édités dans les années cinquante et soixante en Tchécoslovaquie par Supraphon, le public de nombreux pays a pu découvrir la sonorité inimitable de la Philharmonie tchèque et l'art de son directeur musical. Le génie de Karel Ancerl n'a pas échappé à l'Académie du Disque Charles Cros.
"Le premier disque d'un musicien tchèque qui ait été primé par l'Académie, c'était justement un disque de Karel Ancerl, c'était en 1960, à l'occasion de l'enregistrement de la VIe symphonie de Bohuslav Martinu avec la Philharmonie tchèque. Mais Karel Ancerl nous a tellement impressionné à l'époque (en 1960, je ne faisait pas encore partie de l'Académie) qu'en 1964, quatre ans plus tard, on lui donnait à nouveau un grand prix de l'Académie Charles Cros, cette fois pour le superbe enregistrement de la Messe glagolitique de Janacek par l'Orchestre et le Choeur philharmonique de Prague. "
Peut-on présenter plus en détails la collection des enregistrements de Karel Ancerl réédités par Supraphon ?
"Ce qui nous a beaucoup marqué c'est que ce sont les disques dont nous avons été privés en France très vite, après 1968. On ne pouvait plus en disposer. Aujourd'hui nous avons le sentiment que c'est pour la première fois que Karel Ancerl nous est complètement rendu. Je voudrais dire aussi que cet hommage à Karel Ancerl est aussi un hommage qu'on rend à travers lui à la vitalité de la musique tchèque, à l'Orchestre philharmonique tchèque, à Supraphon, parce que dans les années qui ont suivi ces deux prix donnés à Karel Ancerl nous avons eu quatre, cinq, six prix donnés encore à des musiciens tchèques."
Revenons quand même encore à Karel Ancerl. Quelles étaient d'après vous ses qualités de chef d'orchestre, en quoi résidait son originalité artistique ?
"Karel Ancerl a été un chef qui devant la musique était d'une très très grande intégrité. C'était un chef qui n'a jamais amené les oeuvres à lui, qui s'est plongé dans les oeuvres d'une manière qui était très droite, très naturelle et qui était pourtant très inspirée. Je pense que dans les domaines où la musique exhale un certain romantisme, il a donné une vision très très chaleureuse et toujours très naturelle des oeuvres qu'il interprétait. Quand on dit qu'un chef est un musicien, c'est une chose, mais c'était aussi un technicien. Il a reconstruit l'Orchestre philharmonique tchèque, il en a fait un instrument qui a été l'un des trois ou quatre très grands orchestres de ces années-là avec un son particulier au point que lorsqu'il a fallu chercher un chef pour l'Orchestre de Paris qu'on venait de créer, beaucoup de gens avaient espéré que Karel Ancerl soit nommé. Finalement, cela a été Charles Munch, mais cela exprime le sentiment qu'on avait, que Karel Ancerl était aussi un homme qui aurait donné à un orchestre en formation un caractère et un son, et ces sons ce sont ceux de ses enregistrements, c'est la souplesse, la couleur, c'est le naturel."