Une petite histoire du journalisme en terre tchèque
Jusqu'en mars 2006, se tient au Musée National de Prague, une exposition consacrée à l'histoire des médias tchèques. Nous ne pouvions rater l'occasion de retracer l'histoire du journalisme en pays tchèques, une histoire qui a rimé, aux XIXème et XXème siècle, avec engagement et conscience nationale
"L'âge d'or des médias dure depuis 4 siècles déjà !". Voilà ce qu'affirme avec enthousiasme Martin Sekera, le commissaire de l'exposition actuelle sur les médias tchèques. Un constat lyrique mais pas si éloigné de la réalité car c'est bien l'imprimerie qui sert de genèse à la presse moderne.
Vers 1720, u au XVIIIème siècle, le comte Spork installe une imprimerie dans son château afin de diffuser des écrits jansénistes, alors interdits. Cela lui vaudra une perquisition de la police en 1729 et la confiscation de ses livres. Ce n'est pas encore du journalisme mais la voie à l'implication politique de la presse est dès lors toute tracée.
Et quand le journalisme moderne naît en Bohême, au XIXème siècle, il sait se souvenir de cet épisode fondateur. Car très vite, les journalistes se font les vecteurs engagés de la conscience nationale, phénomène moteur de l'histoire tchèque tout au long du siècle. En 1826, Palacky fonde la "Revue du Musée National", qui existe alors dans une édition tchèque et allemande. En 1831, il ne reste plus que la version tchèque. Tirant alors à 500 exemplaires, la revue passe à 2 500 exemplaires en 1846. Un symbole puissant de l'affirmation nationale deux ans avant les révolutions nationalistes d'Europe, en 1848 ! En cette période agitée et tendue, on ne donne pas à lire entre les lignes. Fondé en 1846, le "Journal de Prague" (Prazske Noviny), dirigé par Havlicek, appartient à un club au nom pour le moins expressif : "Repeal", en référence au mouvement d'indépendance irlandais en lutte contre l'Angleterre.
Après 1848, les journalistes pragois ne cessent de s'impliquer dans la vie politique de leur époque. Dans les années 1860, l'écrivain Jan Neruda et le journaliste Eduard Gregr, rédacteur en chef des "Narodni Listy" (Journal National), critiquent avec virulence le néo-absolutisme autrichien, qui réduit à peau de chagrin le poids politique des Tchèques dans la nouvelle monarchie austro-hongroise. En janvier 1861, la revue sort un numéro spécial, dans lequel Frantisek Ladislav Rieger réclame l'égalité des droits civiques et nationaux ainsi qu'une certaine autonomie pour les Tchèques.
Il faut dire qu'à Prague, le journalisme est de haut niveau et cela concerne aussi bien la presse tchèque que la presse allemande, qui compte des titres comme "Bohemia" ou la "Neue Freie Press" : articles d'humeur, réflexions sur la vie sociale et intellectuelle, le ton se fait souvent vif. L'exemple de Jaroslav Preiss symbolise à lui seul la compétence de ces journalistes pionniers. Il tient la rubrique économique des "Narodni Listy" mais s'imposera bientôt à la tête de la Zivnostenska Banka pour devenir l'un des plus éminents représentants du grand capitalisme tchèque.
Dans les années 1880 et alors qu'il est professeur à l'université de Prague, le futur président de la République tchécoslovaque, Masaryk, exerce quant à lui une grande influence par l'intermédiaire de ses revues "Cas" (le Temps) et "Nase Doba" (Notre Epoque).
Notons que le journalisme est à alors à l'image de la vie pragoise puisqu'il reflète les préoccupations des 3 communautés de la ville. A côté des revues tchèques et allemandes, il existe aussi une presse juive, de langue allemande. Ainsi en est-il du "Prager Tagblatt", dont presque tous les journalistes sont juifs. On y retrouve notamment le brillant Egon Erwin Kisch. Siècle de genèse active pour le journalisme tchèque, le XIXème siècle impressionne par sa modernité. Car on y trouve déjà de tout : du sensationnel, avec le "Prazsky denik" (le quotidien de Prague), du très sérieux, avec "Osveta" (Information) ou encore du moderniste, avec "Rozhledy" (Panorama).
Dans un contexte cette fois démocratique, la 1ère République voit naturellement se développer une presse diversifiée. Un nom restera, celui de Ferdinand Peroutka. Ce journaliste multicarte se démarquait par son ton direct et sans concessions, qu'il développe d'abord dans le journal politique "Tribuna", avant de fonder "Pritomnost" (le Présent) avec le soutien de Masaryk, journal phare des intellectuels tchèques. Après avoir connu les géôles de la Gestapo pendant la guerre, cet insoumis s'exilera après le coup de Prague en 1948.
Dans les années 50, le régime stalinien ne laisse aucun espace à une presse libre. Des livres clandestins, les samizdats, sont bien imprimés mais au lance-pierre et le journalisme entre dans une décennie d'hibernation. C'est pourtant bien d'un organe du Parti qu'il renaîtra avec vigueur dans les années 60.
Autrefois courroie de transmission du Parti, la revue de l'Union des Ecrivains, "Literarni Noviny" (la Gazette littéraire), devient, de 1963 à 1968, la tribune des idées réformistes. Parmi ses signatures, on trouve quelques grands noms du Printemps de Prague, comme Ludvik Vaculik ou encore Antonin Lihem. La "Gazette littéraire", rarement le nom d'un journal n'aura été aussi trompeur que celui-ci. Car le thème qui reviend de plus en plus souvent sera est le régime lui-même, dont on critique la bureaucratie et la sclérose. Après la rupture entre les intellectuels et le Parti en 1967, le ministère de la Culture congédie la rédaction et prend en main la direction du journal. Résultat : les abonnés retournent leurs numéros et les invendus s'entassent dans les kiosques. En plein communisme, la presse tchèque revient à l'avant-garde du combat pour la liberté.
Depuis 1989 et le retour de la démocratie, la presse a renoué avec la diversité. Mais la qualité est-elle toujours au rendez-vous ? L'histoire se chargera de juger...