Quel destin pour le château baroque de Jezeri ?
Un éboulement de terrain qui s'est récemment produit dans les mines de Most, au nord de la Bohême, a failli ensevelir le château de Jezeri, dernière enclave encore épargnée de l'extraction, qui se dresse, isolée, au-dessus des mines. L'accident a levé une vague d'intérêt pour ce monument précieux qui constitue le tout dernier îlot de civilisation au milieu des mines et des forêts profondes du massif des Monts métallifères. L'une des plus imposantes constructions baroques du pays, depuis 1623 siège familial des Lobkowicz, lutte pour sa survie. Avant d'offrir, en 1996, le château de Jezeri à l'Etat tchèque, les Lobkowicz y ont invité le prince de Galles, Charles, et la reine des Pays-Bas, Beatrix qui se sont engagés en faveur de sa sauvegarde, en cherchant dans les fonds européens des moyens pour sa reconstruction. Rendons-nous à Jezeri pour voir ce que le château peut offrir à ses visiteurs. Une route étroite, non praticable en hiver, nous conduit jusqu'au sommet, où nous sommes accueillis par Hana Krejcova, guide, châtelaine, et responsable des travaux.
Le nom du château Jezeri est dérivé du mot jezero, le lac. Auparavant, il y avait un lac ici, ainsi qu'un grand parc, mais on aurait beau les chercher, aujourd'hui, il n'en reste pas de trace. Ils ont été sacrifiés à l'extraction de lignite à ciel ouvert qui a approché jusqu'aux portes du château. A l'origine, un château fort, Eisenberg, érigé en 1363, occupait cet emplacement. Jezeri a subi deux remaniements : en style Renaissance et baroque. Plusieurs fois dans son existence, il a été sinistré par des incendies. C'est grâce aux Lobkowicz, connus pour leur amour des arts et de la musique, que Jezeri est devenu, au XVIIIe et XIXe siècles, un centre musical d'importance européenne. Il avait son propre théâtre où étaient invités des acteurs viennois. D'illustres compositeurs de l'époque dont Mozart, Salieri, Myslivecek et Beethoven sont liés à Jezeri. Christoph Willibald Glück y a passé son enfance et ses opéras et symphonies étaient donnés au théâtre du château de Jezeri, avant d'avoir leur première à Vienne. Le romancier Goethe qui venait se soigner dans les villes d'eau de Teplice et Karlovy Vary a plusieurs fois séjourné à Jezeri. Les arts et la musique tchèque étaient cultivés à Jezeri par les Lobkowicz encore au cours des premières décennies du XXe siècle. Les Lobkowicz étaient de grands patriotes et lorsque la guerre a éclaté, l'un des derniers propriétaires de Jezeri, Max Ervin a pris une part active à la résistance. Hana Krejcova:
« Le docteur Max Ervin Lobkowicz, ami de Jan Masaryk, est devenu ambassadeur du gouvernement tchécoslovaque exilé à Londres. Le premier jour de l'occupation, le 15 mars 1939, Jezeri est passé sous l'administration nazie directement subordonnée à Himler. Pendant la guerre, un camp d'internement pour hauts officiers français et anglais y a été créé. Parmi les internés, il y avait Pierre de Gaulle, le frère de l'ancien président français, le docteur Ménétrel, médecin personnel du maréchal Pétain, ainsi que le fils de l'ancien premier ministre français Michel Clémenceau. Outre les hauts officiers, près de 250 prisonniers de guerre russes et français étaient internés à Jezeri, pendant la guerre. »
En 1948, le château est passé dans le domaine public. Le début d'une mauvaise ère. Les Lobkowicz ont été contraints de quitter le château et pu emmener avec eux une partie de l'immobilier. Le reste, comprenant des collections de tableaux, des meubles et des trophées de chasse, furent placés en dépôt ou transférés au château de Nelahozeves. Des riches équipements d'autrefois, absolument rien n'est resté à Jezeri. Le château commençait à tomber en ruines. Notre guide raconte :
« Dans les années 1970, il était proposé que le château cède la place à l'extraction de lignite, mais le ministère de la Culture n'a pas admis cette variante. Pour cette raison, la grande carrière Ceskoslovenska armada qui extrait jusqu'à présent au-dessous du château et menace de disparition deux derniers villages dans la région, a dû modifier ses plans. L'existence du château, en tant que symbole d'une lutte contre une dévastation complète de la région, est sans pareil en Tchéquie et sa destinée est elle-aussi tout à fait exceptionnelle. »
Au début des années 1990, le château a été restitué à la famille Lobkowicz mais celle-ci a finalement décidé de le rendre à l'Etat tchèque contre une couronne symbolique estimant qu'il ne serait pas dans ses moyens de réparer et d'entretenir, comme la loi l'exige, un château aussi vaste comprenant plus de 200 pièces. Les Lobkowicz ne cessent de s'intéresser au château et s'y rendent régulièrement. Les réparations subventionnées par l'Etat sont un travail de très longue haleine. Hana Krejcova reste pourtant optimiste.
« Je compare Jezeri à une jolie femme qui, après s'être levée, le matin, ne se maquille pas, mais autrement, elle est bien, normale. Je veux dire par là que le château a un intérieur qui est sain, bien qu'il ne soit pas orné de bijoux. D'autre part, puisqu'il n'a pas subi de reconstructions dans les années 1980, le château peut se vanter d'objets authentiques tels que la porte, les planchers, les objets forgés qui, autrement, seraient remplacés par des copies... »
En dépit des travaux de restauration qui ne s'arrêtent pas à Jezeri, les visiteurs sont relativement nombreux. Le circuit de visites guidées montre la salle d'audience des Lobkowicz donnant sur une terrasse, ensuite la chapelle du XIXe siècle avec fresques précieuses et une exposition de meubles et de trophées de chasse qui donnent une idée de l'image du château tel qu'il était à l'époque de sa plus grande gloire. A quoi, les visiteurs s'intéressent-ils encore ? Hana Krejcova :
« C'est un ostensoir abritant une épine de la couronne de Jésus-Christ. Cette relique est parvenue à Jezeri sous le règne du roi Premysl Otakar II, au XIIIe siècle. La châsse reliquaire était faite au XVIIIe siècle par les Lobkovic. Chaque année à Pâques, les pèlerinages de la couronne d'épines avaient lieu à Jezeri. Les visiteurs s'arrêtent longuement aussi devant la chapelle du château restée inachevée et entourée de légendes : Deux membres de la famille Lobkowicz ont été mortellement blessés près de la chapelle, conçue comme caveau de famille. Trois fois, lors des travaux, la voûte s'est écroulée et la construction n'a jamais été terminée. On dit que le diable y fait son apparition, déguisé en cerf noir. C'est vraiment un endroit très mystique. »