Aux « Délices » de Žižkov
Malgré sa gentrification de ces dernières années, Žižkov reste un des rares quartiers populaires du grand centre de Prague. C’est là, dans une rue Koněvova très animée, à quelques pas du parc de Vítkov, que se trouvent « Les Délices », une des rares boulangeries-pâtisseries françaises existantes dans la capitale tchèque. Puisque l’on a beaucoup entendu parler, durant la période de confinement, de l’importance des boulangeries dans la vie quotidienne des Français, nous avons rendu visite dans son magasin à Joachim Cheutin, boulanger-pâtissier français à Prague.
« J’ai beaucoup voyagé par le passé. J’ai travaillé en Angleterre, au Canada ou sur des bateaux de croisière jusqu’au jour où je me suis dit qu’il était temps de revenir en Europe. Je voulais trouver un travail qui me permette d’apprendre une nouvelle langue et de découvrir de nouvelles habitudes. Et le hasard a voulu que la première offre qui répondait à mes attentes était à Prague. »
« Je me suis donc retrouvé chef-pâtissier dans un restaurant semi-gastronomique à la Maison dansante. J’y suis resté cinq ans, jusqu’à ce qu’il soit de nouveau temps de changer d’air. »
Et c’est ainsi que vous vous êtes installé à Žižkov. Pourquoi ce quartier ?
« Déjà parce que les loyers y sont plus abordables... Pour limiter les papiers, je voulais aussi avoir directement la ‘kolaudace’ en gastronomie (procédé administratif d’homologation qui permet de jouir d’un bâtiment dont les travaux ont été achevés). J’ai pris le premier endroit que j’ai trouvé qui répondait à mes critères. Je voulais éviter d’avoir à dépenser des millions de couronnes sans avoir de certitudes. Cela était aussi une question de rapidité, je ne pouvais pas me permettre d’attendre trop longtemps pour m’installer. »
« Quelques années après, je peux dire que j’ai fait un bon choix. Certes, il y a moins de touristes qu’ailleurs et les prix sont moins élevés, mais les gens sont contents que je sois là. Non, je n’ai pas de raison de me plaindre. Mes clients sont les gens qui habitent ou qui travaillent dans le quartier. Et il y a parfois quelques curieux ou de nouveaux visages... »
Quels sont les principaux produits que vous proposez ?
« Les croissants ! Et je parle là de croissants avec beaucoup de beurre... En boulangerie, je fais du classique : baguettes, pains de seigle et autres pains que je renouvelle. Mais je fais aussi beaucoup de tartelettes, au chocolat, au citron ou comme en ce moment aux fraises, à la rhubarbe, aux fruits de la passion et d’autres suivant les périodes de l’année. Les autres patisseries changent elles aussi au fil des jours. »
Et de quels produits les Tchèques sont-ils les plus friands ?
« Beaucoup aiment mes croissants, parce qu’ils affirment ne pas en trouver de pareils ailleurs. Mais je vends aussi beaucoup de tartelettes, de meringues... En fait, ça dépend des jours et des gens. »
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Les Tchèques ont l’habitude de faire beaucoup de patisseries chez eux et sont très attachés à leurs gâteaux https://francais.radio.cz/les-petits-gateaux-de-noel-une-affaire-de-famille-8143580). Cette réalité complique-t-elle la donne pour vos affaires ?
« Cela dépend de la catégorie d’âge et de l’origine aussi peut-être des gens. Les personnes de plus de 60 ans sont souvent très conservatrices. Elles rentrent, regardent ce qu’il y a, en ont peur et ressortent du magasin parce qu’il n’y a rien qu’elles ne connaissent. Les 30-55 ans, eux, n’ont pas forcément le temps de faire des choses à la maison et cherchent des produits de qualité tant pour eux que pour leurs enfants. Donc eux, ils viennent, ils goûtent et ils reviennent. »
« Une boulangerie-patisserie fonctionne très différemment en République tchèque de ce que l’on connaît en France. Pourquoi ? Parce qu’en France les gens ont l’habitude d’acheter du pain tous les jours. Ici, ils en achètent pour plusieurs jours, dont le contact avec la clientèle n’est forcément pas le même. »
« Les pains tchèque et français ? Le jour et la nuit »
Où trouvez-vous vos matières premières ?
« J’utilise essentiellement des farines tchèques, car elles sont en consommation courante de meilleure qualité qu’en France, où trouver de la farine panifiable est très difficile. Ici, il y en a partout. En revanche, pour mes croissants, j’utilise du beurre hollandais. Au niveau du goût, c’est autre chose que le beurre tchèque, polonais ou allemand. Il y a une grosse différence tout en étant un peu moins cher que le beurre français. »
On sort d’une période de confinement qui pour beaucoup de commerçants a été synonyme de fermeture. Comment avez-vous traversé cette épreuve et comment ont repris les affaires ?
« Financièrement, cela a été difficile comme pour tout le monde, même si j’étais plus ou moins préparé. Depuis la réouverture, les gens reviennent peut-être même plus nombreux qu’avant, donc pour moi tout va bien. »
« Ceci dit, il est certain qu’ici les boulangeries ne sont pas aussi importantes qu’en France. Les gens, qui pour beaucoup achètent leur pain dans les supermarchés, y sont moins attachés. Pour moi, le pain au niveau du chiffre d’affaires, c’est vraiment négligeable. »
« J’ai sollicité les quelques aides que l’Etat tchèque a bien voulu nous laisser, mais ce n’est pas ça qui va payer les charges. »
Vous travaillez seul dans votre magasin pour la production comme pour la vente. Cela signifie que vous devez parler tchèque...
« Disons que cela a été difficile surtout la première année quand je me suis lancé. Même si je me débrouillais déjà, je n’avais encore jamais dû parler autant en tchèque quotidiennement. Aujourd’hui, je dirais que c’est devenu une langue comme une autre. Je peux mélanger le tchèque et l’anglais. Ce n’est ni un plaisir ni une contrainte, c’est juste une nécessité pour converser. »
Quelles sont les patisseries tchèques que vous conseilleriez à un visiteur étranger ?
« J’ai un peu de mal à conseiller. Je trouve que la patisserie tchèque est trop sucrée et qu’elle n’a pas bougé depuis peut-être des siècles. Bon, je sais quand même que mon père, qui était lui aussi boulanger-pâtissier, apprécie les ‘špičky’, ces petits gâteaux en forme de pointe avec de la liqueur à l’intérieur. »
Et quid du pain tchèque ? Les Tchèques qui ont émigré ou vivent à l’étranger, disent souvent que ce qui leur manque le plus, c’est ‘le bon pain tchèque’.
« Il est très différent du pain français. Personnellement, j’aime bien en manger une fois de temps en temps, mais pas tous les jours. Il y a du cumin dedans, la mie est plus serrée et il est souvent avec du seigle. C’est presque le jour et la nuit... »